Clément Beaune : "L’UE montre qu’elle est réactive et efficace"
Décideurs. Pour certains, le Brexit va accélérer la construction européenne. Qu’en pensez-vous ?
Clément Beaune. Le Brexit est d’abord l’expression d’une mauvaise nouvelle. Plus qu’un réel rejet de l’Europe, il montre un vrai scepticisme envers une Union européenne perçue comme bureaucratique et éloignée des gens. C’est une situation qui n’est pas propre au Royaume-Uni, en témoigne l’essor des mouvements populistes sur le continent. Nul ne peut s’en réjouir et nous devons en tirer les leçons.
En revanche, il est vrai que le départ des Britanniques a permis à l’UE d’avancer sur certains points. Le meilleur exemple est sans doute le plan de relance qui instaure une mutualisation de la dette. Londres aurait probablement pesé de tout son poids pour ne pas adopter cette mesure ou s’en exonérer. En outre, dans la négociation sur le Brexit, l’UE ne s’est pas affaiblie, elle a défendu ses intérêts, notamment grâce au travail de Michel Barnier.
J’ajoute que les faits montrent que les principaux perdants du Brexit sont les Britanniques eux-mêmes : le NHS n’est pas plus efficace, la City ne va pas mieux, l’industrie ne se relocalise pas, les pêcheurs sont déçus. Les promesses mirifiques n’ont pas été tenues, et ce sera également le cas à moyen terme.
Vous mentionnez le plan de relance européen. Où en sommes-nous ? Quand la France recevra-t-elle la somme promise de 40 milliards d’euros ?
Les étapes décisives ont été franchies : accord franco-allemand du 18 mai qui en a jeté les bases, accord unanime entre les États membres le 21 juillet, accord définitif en décembre… Désormais, le prochain objectif est la ratification du plan par tous les parlements nationaux. La France devrait voter dès le mois de février et, d’ici au printemps, tous les États membres auront fait de même.
"L'argent du plan de relance sera versé en juin, comme prévu"
L’argent devrait donc, comme prévu initialement, être versé en juin. Je souligne que ce plan s’est mis en place très rapidement, preuve que l’UE sait être réactive. Il est également très cohérent puisque tous les pays se sont engagés à dépenser plus de 30 % du budget alloué dans la transition écologique et 20 % dans le numérique.
Que se passerait-il si un parlement rejetait le plan dans les mois à venir ?
C’est juridiquement possible. Mais cela semble fictif puisque les Vingt-Sept ont confirmé le plan de relance à l’unanimité, le soutien des parlements a été garanti en amont, notamment dans les pays "frugaux" tels que les Pays-Bas, la Suède ou le Danemark. Enfin, un élément de poids n’est pas à négliger : les conséquences économiques de l’épidémie de coronavirus sont telles que tous les pays ont besoin de financements.
Cela est peu connu du grand public, mais l’achat des vaccins contre la Covid-19 s’effectue au niveau communautaire…
Dès l’été les États membres ont choisi d’acquérir les vaccins en commun, non pour une raison symbolique mais pour des questions d’efficacité. Cela a permis de commander à ce jour 2,3 milliards de doses pour 450 millions d’habitants. Le fait de grouper les achats donne un poids plus grand lors des négociations, des moyens de pression plus forts en cas de retards de livraison et permet de diversifier l’accès aux vaccins. L’homologation des vaccins s’effectue également à l’échelle communautaire grâce à l’Agence européenne des médicaments. Cela fait gagner du temps à tous.
Pourtant, lorsque l’on regarde la situation, fin janvier, le pays le plus en avance dans la vaccination de sa population est la Grande-Bretagne…
La Grande-Bretagne a fait des choix différents de ceux recommandés par nos autorités scientifiques européennes et nationales, notamment celui d’autoriser le vaccin d’AstraZeneca très rapidement et d’espacer de 12 semaines les deux injections du vaccin. Personne ne peut affirmer que, sur la durée, cette stratégie sera plus efficace et protectrice que celle des pays de l’UE. L’achat commun n’est pas un frein, au contraire. La France a commencé moins rapidement que l’Allemagne, par exemple, mais sur la semaine du 18 au 25 janvier, elle a injecté plus de doses par jour, et nous aurons autant vacciné que les autres d’ici quelques semaines.
"À ce stade, la France n'est pas favorable à un passeport vaccinal"
Où en est la réflexion sur un éventuel passeport vaccinal ?
Certains pays, comme la Grèce, demandent sa mise en place d’ici l’été, notamment pour faire redémarrer l’industrie touristique. Mais la majorité n’est pas de cet avis. La France considère que le débat est prématuré. Notre priorité est en premier lieu de vacciner les personnes les plus fragiles et à risque. A ce stade, le passeport vaccinal pose deux problèmes : il entraîne une inégalité de traitement entre les personnes vaccinées et les autres à un moment où tout le monde n’a pas encore accès au vaccin. De plus, nous n’avons pas encore le recul qui permet de montrer que le vaccin supprime le risque de contamination, a fortiori dans un contexte où de nouveaux variants apparaissent.
Il y a quelques mois, vous aviez regretté que les médias français ne parlent pas assez de l’Union européenne. France Télévisions envisage de verser une prime aux journalistes qui mettent ce sujet en avant. Est-ce une bonne solution ?
Cette initiative fait réagir et a le mérite d’ouvrir le débat. Je m’en réjouis, même si je n’ai pas à juger telle ou telle méthode choisie par un média en particulier. Nous avons besoin que les médias mettent davantage le sujet en avant, non par militantisme, mais pour ne pas escamoter une partie essentielle du débat démocratique. L’UE a un impact concret sur nos vies, et il me paraît juste de le montrer, que ce soit pour s’en réjouir ou pour critiquer.
Pour Clément Beaune, "Cela fait plusieurs décennies que la France n'était plus aussi influente en Europe".
Depuis 2017, le gouvernement clame que la France "est de retour" sur le devant de la scène européenne. Quels sont les apports concrets de notre pays ?
Le discours de la Sorbonne prononcé par Emmanuel Macron en septembre 2017 est un acte fondateur qui a permis de lancer ou d’accélérer des réalisations majeures en matière de défense, de dette commune, de protection des droits d’auteur… Nous avons une méthode simple mais en pratique assez nouvelle, qui consiste à parler à tout le monde, par exemple avec les pays du Nord sur les questions budgétaires, avec ceux de l’Est sur les droits des travailleurs. Cela se matérialise par des avancées sur la mutualisation de la dette ou sur le travail détaché. Les discours français poussant à être moins naïfs vis-à-vis de la Chine par exemple, commencent à se traduire par des politiques concrètes. Globalement la France n’a jamais été aussi influente dans l’Union européenne depuis deux ou trois décennies. La France prendra la présidence tournante de l’UE début 2022. Cela nous permettra encore de faire avancer des causes qui nous tiennent à cœur, par exemple sur la régulation des géants du numérique.
Propos recueillis par Lucas Jakubowicz