Une dizaine de membres du gouvernement, une cinquantaine de parlementaires et des élus locaux s’échinent à faire triompher la social-démocratie au sein de la majorité. Objectif : faire d’Emmanuel Macron un DSK amélioré et non un Sarkozy numéro 2.

Fini le temps de LREM toute-puissante. Pour remporter les régionales de 2021 et la présidentielle de 2022, l’état-major macroniste mise désormais sur les notions de "fédération" ou de "maison commune". Sur l’aile droite, le Modem et Agir sont en ordre de bataille depuis le début du quinquennat. Avec un peu de retard, le flanc gauche a lui aussi lancé son opération de structuration autour d’un parti qui, malgré sa relative discrétion, bâtit les fondations d’un mouvement appelé à peser dans les années à venir. Son nom : Territoires de progrès.

Les grands brûlés de l’ère Hollande

Si le parti a mis du temps à se lancer officiellement, le courant social-démocrate a très tôt commencé à s’organiser au sein de la majorité parlementaire. "Les premières réunions informelles remontent à l’été 2017 entre quelques anciens élus socialistes reconduits sous l’étiquette LREM et de nouveaux élus à la sensibilité social-démocrate", se remémore Anne-Christine Lang, ancienne cadre du PS et députée de Paris. Pourtant, les participants réalisent vite qu’au sein du groupe les ministres et élus issus de LR sont plus organisés et plus méthodiques. Résultat, plus les mois passent, plus l’exécutif est perçu comme de droite.

"Nous avons été traumatisés par les frondeurs du quinquennat Hollande. Impossible de revivre cette situation"

Face à cette situation, les macronistes sociaux-démocrates, bien souvent Marcheurs de la première heure, peinent à faire entendre leur voix. Anne-Christine Lang le reconnaît volontiers : "Il est apparu peu à peu que notre sensibilité n’était ni suffisamment audible, ni suffisamment visible." Comment expliquer cela ? Par timidité ? Par une mauvaise connaissance des arcanes du Palais-Bourbon ? Par manque de relais dans les ministères ? Aucunement. La raison est à chercher dans le quinquennat Hollande. "Nous avons été traumatisés par les frondeurs. Ils ont contribué à tuer le parti et nous ne voulons plus jamais revivre cela", assène la députée.

Loyauté totale

Ce qui explique sans doute pourquoi l’aile gauche de la Macronie a eu autant de scrupules à passer du cercle de réflexion plutôt timide au véritable parti. Après avoir sondé l’Élysée et Matignon qui ont donné leur aval, elle franchit pourtant le Rubicon en janvier 2020 en enregistrant les statuts de Territoires de progrès. Au poste de délégué général de la structure, l’ancien député PS de Gironde Gilles Savary qui a manqué de très peu sa réélection en 2017. "Dès le départ, nous avons garanti que nous ne créerions pas de crise politique et que notre principale boussole était la réélection d’Emmanuel Macron en 2022", déclare Gilles Savary qui précise que l’engagement de son parti derrière le président est total, quitte à le payer très cher : "Bien que parti politique, nous avons choisi, à l’inverse d’Agir, de ne pas créer de groupe parlementaire. Cela nous prive d’une importante recette financière, mais c’est pour nous un gage de loyauté."

Sans faire insulte au parti, les débuts sont plus que discrets : la réunion de lancement à Pantin en février 2020 accueille moins de 100 personnes, le premier secrétaire du PS Olivier Faure compare l’initiative à "un club d’alcooliques anonymes qui a trahi la gauche", la crise sanitaire complique le lancement de réunions publiques et le travail de terrain. Enfin, les hommes d’État issu de la gauche ne sont pas les plus enthousiastes "Si Jean-Yves Le Drian nous soutient, il est plutôt frileux et ne met pas trop la main dans le cambouis pour le moment. Approché, Bernard Cazeneuve nous a paru trop hostile à l’action d’Emmanuel Macron".

Des personnalités "qui pèsent"

Cahin-caha, Territoires de progrès trace pourtant son sillon et commence à peser en Macronie. Sa principale richesse est avant tout humaine. Le jeune parti peut s’appuyer sur un nombre non négligeable de ministres et de députés venus de divers horizons, ce qui lui donne de la consistance et de la crédibilité. Quarante-neuf députés sont pour le moment encartés. Citons notamment l’un des premiers Marcheurs, Sacha Houlié, élu dans la Vienne. Émilie Chalas députée de l’Isère, Alexandre Freschi, député du Lot-et-Garonne, Lionel Causse, député des Landes, Francis Chouat qui a repris la circonscription de Manuel Valls dans l’Essonne ou François Pupponi, successeur de Dominique Strauss-Kahn dans le Val d’Oise, sont également de la partie. Atout non négligeable pour la majorité, la plupart sont élus et implantés dans des circonscriptions traditionnellement acquises à la gauche modérée. De quoi couper l’herbe sous le pied du PS lors des prochaines législatives.

Dans son manifeste, Territoires de progrès se targue "d'incarner une social-démocratie adaptée à notre époque au sein de la majorité présidentielle"

Le gouvernement n’est pas en reste. Sans surprise, des ministres importants issus du PS sont pleinement engagés. C’est le cas de la ministre des Armées Florence Parly, d’Olivier Véran, ministre de la Santé, ou d’Élisabeth Borne ministre du Travail. Gilles Savary se réjouit également de voir "des membres du gouvernement jeunes, prometteurs, appelés à gagner en influence dans les années qui viennent, faire partie de cette aventure". Parmi eux, Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, Clément Beaune, secrétaire d’État aux Affaires européennes, ou encore Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État aux Transports.

Le délégué général est également satisfait de voir le parti se structurer de plus en plus rapidement : le nombre d’adhérents a dépassé les 1 500, dans les territoires des antennes se déploient, menées par des élus locaux souvent bien ancrés. À terme, Territoires de progrès espère que la "maison commune" réservera circonscriptions et villes à ses candidats. "Nous voulons avoir des mandats électifs et peser dans la procédure d’investiture de la maison commune progressiste et si possible passer un contrat de gouvernement", souligne Gilles Savary qui, toutefois, n’envisage "aucunement de présenter des candidats contre LREM".

Les gardiens de la social-démocratie

Des ministres, des députés, des adhérents et bientôt, peut-être, des conseillers régionaux ou encore des maires. Il faut bien cela pour mener une tâche importante : construire un mouvement inspiré du SPD allemand, mais aussi de Georges Clemenceau.

Le manifeste du parti se targue "d’incarner une social-démocratie adaptée à notre époque au sein de la majorité présidentielle", de défendre "la liberté d’opinion" mais aussi "une laïcité non négociable" et "le respect de l’autorité républicaine". Pour cela, tous les moyens sont bons pour influencer l’exécutif : tribunes, réunions, travail parlementaire…

Comme le résume Gilles Savary, pour que l’aile gauche pèse, il faut "de la sueur et du travail de fond qui va au-delà des réunions parisiennes et des réseaux sociaux". Dans l’hémicycle, les députés estampillés Territoires de Progrès ne ménagent pas leur peine pour imposer leurs vues. Face à une ligne dure incarnée par Gérald Darmanin, Anne-Christine Lang et ses alliés travaillent à "réformer l’IGPN pour y faire siéger des membres venus d’ailleurs que des forces de police". Un combat politique visant à faire d’Emmanuel Macron non pas un Sarkozy numéro 2 mais plutôt un Dominique Strauss-Kahn amélioré. Un travail de longue haleine qui vaut bien la création d’un énième parti politique.

Lucas Jakubowicz

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