Le paradoxe Yannick Jadot
Gauche française recherche candidat sérieux pour la présidentielle de 2022. Qualités requises : expérience, charisme et capacité à rassembler, du PS à EELV, voire plus si affinités. Sur le papier, Yannick Jadot pourrait bien être la perle rare.
Le candidat idéal
Député européen depuis 2009, celui qui est notamment passé par Greenpeace et l’Alliance pour la planète est rodé aux marathons électoraux. C'est lui qui a mené la campagne réussie des Verts lors des européennes de 2019 qui s’est conclue par un score encourageant de 13,5%. Autre corde à son arc, une habileté à s’exprimer dans les médias où il se distingue régulièrement, qu’il s’agisse des matinales radio ou des débats télévisés, où sa faconde et son langage simple lui permettent de faire passer un message garanti sans langue de bois. Alors que les électeurs de la "France périphérique" se sentent trop souvent délaissés par les partis politiques, notamment de gauche, Yannick Jadot, enfant de professeurs de l’Aisne (département où prospère le RN), est capable de comprendre les attentes de cette population et d’incarner cette fameuse gauche populaire.
Pour mener à bien une campagne présidentielle, une qualité est primordiale : rassembleur. Cela tombe bien, si Yannick Jadot est un homme de gauche et un écologiste qui s’assume, il est à des années-lumière des lubies clivantes et des dérives des néo-maires écolos. Avec Yannick Jadot, les électeurs ne doivent pas s’attendre à des interdictions de sapin de Noël, des soutiens à la misandrie, une condamnation du Tour de France jugé sexiste, une promotion au forceps de l’écriture inclusive ou une alliance de raison avec les indigénistes. Attaché à la laïcité, il est également l’un des principaux dirigeants de gauche à avoir soutenu publiquement Mila, lycéenne menacée de mort en décembre 2019 pour avoir critiqué l’islam avec véhémence.
Si la politique obéissait à une certaine logique, "Yannick Jadot serait nommé dès maintenant candidat unique du PS et des Verts", estime Daniel Boy, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste de l’écologie politique. Du côté des socialistes, le premier secrétaire du parti à la rose, Olivier Faure, s’est même déclaré, en septembre 2020, prêt à "aller vers une coalition de projet dès aujourd’hui pour rendre possible une candidature unique en 2022". Quitte à se placer derrière un écolo. Un boulevard pour Yannick Jadot, qui, en 2017, après avoir renoncé à une candidature, s’est rangé derrière Benoît Hamon pour un piteux 6,36%. Hélas pour le député européen, le principal obstacle à sa candidature pourrait venir… de son propre parti !
Nul n’est prophète en son pays
Chez les Verts, les règles du jeu sont claires : le candidat doit être désigné par les militants. Et ces derniers sont souvent bien plus à gauche que leurs électeurs, ce qui conduit parfois à des choix électoralement aberrants. C’est ainsi que, lors des primaires de 2011, les 23 000 adhérents ont préféré Eva Joly, garante d’une "ligne pure", à Nicolas Hulot jugé trop à droite. À la clé : 2,31% à la présidentielle de 2012. Yannick Jadot incarne désormais la ligne droite. Concrètement, cela signifie se déclarer "favorable à l’économie de marché et à la libre entreprise", appeler au "pragmatisme" ou assumer que "le burkini n’a rien à faire dans une piscine". Si ce positionnement est le plus à même de rassurer les électeurs d’une présidentielle, il heurte une large partie de la base militante…
Il est probable que les militants désignent un candidat "chimiquement pur" au détriment de la logique électorale
Au-delà des idées, il semble que la méthode Jadot dérange quelque peu en interne. "Quand il parle dans les médias, il se présente ou se laisse présenter comme le patron des Verts français, alors qu’il est député européen", déplore une militante et candidate EELV de Paris qui souhaite garder l’anonymat. Une indignation que conçoit parfaitement Daniel Boy, qui note que, chez les écolos plus qu’ailleurs, "les militants ont une sainte horreur de ceux qui ne tiennent pas compte de la démocratie participative et qui se clament chefs naturels sans avoir été formellement désignés". Autre épine dans les pieds du candidat potentiel, sa compagne, la journaliste Isabelle Saporta, dont le soutien à Cédric Villani et le franc-parler hérissent une partie de l’appareil. A fortiori lorsqu’elle s’en prend sur RMC aux nouveaux maires Verts accusés de "tenir des propos fracturants" et "d’avoir une idée à la con par jour". Conception de l’écologie politique, attitude : Yannick Jadot dérange une large partie des siens qui cherchent à le faire rentrer dans le rang, voire à tout mettre en œuvre pour court-circuiter son éventuelle candidature.
Jadot l’isolé
Dans le camp Jadot, on tente donc de brusquer les choses. Les partisans de sa motion interne nommée "Le Temps" tentent de peser en interne pour que le candidat à la présidentielle soit désigné avant les régionales de mars 2021, manœuvre pour le moment infructueuse. "C’est bien la preuve que la ligne Jadot est minoritaire chez EELV, elle l’était déjà en novembre 2019 lorsque Julien Bayou, bien plus à gauche, a été élu secrétaire national du parti."
Si les jadistes font tout pour que leur poulain soit désigné au plus vite, c’est pour une raison simple que la militante parisienne décrypte : "Pour voter à la primaire interne, il faut trois mois d’ancienneté. Or, les nouveaux adhérents font de plus en plus pencher la barre à gauche, ce qui n’est pas bon pour Yannick Jadot". Dans le même temps, de nombreux écolo-centristes tels que Barbara Pompili ou François de Rugy sont partis avec armes et bagages en Macronie. Lui restent en interne des profils comme l’ancienne députée Éva Sas, le candidat EELV parisien David Belliard ou le pro-Macron Daniel Cohn-Bendit, accusé par certains militants d’être devenu réac avec l’âge.
"Nos militants ont une sainte horreur de ceux qui se clament chefs sans avoir été désignés"
Si Jadot est mal vu par ses "amis", reste à lui trouver un rival crédible. Certains évoquent le nom de Julien Bayou, pour le moment très discret. "Il est dans son rôle de secrétaire national, il doit se placer au-dessus de la mêlée et faire cohabiter toutes les tendances", analyse l’universitaire qui ajoute toutefois "qu’on sent que l’attitude de Jadot le fait bouillir". Pour le moment, un nom semble sur toutes les lèvres pour affronter le député européen lors d’une primaire : celui du maire de Grenoble Éric Piolle.
Et pourquoi pas Piolle ?
Sur le papier, il incarne à la perfection "l’anti-jadisme". Facilement réélu aux municipales, Farouchement anti-capitaliste, défenseur acharné des sans-papiers, pourfendeur de la 5G "qui ne sert qu’à regarder du porno dans l’ascenseur", il plaît à une large partie de la base qui le pousse à un destin national qui semble prendre forme. Depuis cet été sur Internet un site et un compte Twitter nommés Et pourquoi pas Piolle ? suscitent des spéculations dans le microcosme vert…
Celui qui gouverne sa ville en alliance avec Génération.s, le PCF et les Insoumis pourrait potentiellement rallier une partie de la gauche de la gauche qui apprécie notamment son appel à voter Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la primaire de 2017. Hélas, le patron Insoumis semble bien parti pour se représenter et le PS entretient un rapport plutôt tendu avec l’édile grenoblois. Pourtant, il est probable qu’il sorte vainqueur d’un duel interne avec Yannick Jadot. Si, pour reprendre les propos de Daniel Boy, "Éric Piolle n’a pas d’ennemis à la gauche de la gauche », les relations peuvent s’avérer plus difficiles avec un PS encore adepte de la social-démocratie. Une tendance politique qui ne tient pas forcément à s’associer à un homme qui sera accusé "d’islamo gauchisme", de "pastèque" ou de "Khmer vert" et risque de rebuter les plus modérés. Dommage, car le PS est, pour le moment, la seule force politique prête à se ranger sous la bannière d’un candidat écolo, à condition qu’il ne soit pas trop dogmatique.
Lucas Jakubowicz