Marlène Schiappa, gendarme de la citoyenneté
"Soyez vous-même. Les autres sont déjà pris" : Marlène Schiappa a toujours fait de cette maxime d’Oscar Wilde l’alpha et l’oméga de sa personnalité qu’elle a édifiée depuis 37 ans. Faisant fi du qu’en-dira-t-on, du protocole et des assignations, elle a cette capacité à sentir l’opinion voire à la devancer, ce qui en matière politique est plus qu’une qualité : une nécessité.
Marlène Schiappa était donc de ces rares ministres ayant anticipé le remaniement, et avait fait savoir qu’elle désirait "faire plus" comme un écho au souhait de Gérald Darmanin qui désirait "peser davantage" au sein du gouvernement. Emmanuel Macron les a entendus et promus. Le chef de l’État, qui souhaite mettre en avant la valeur travail et l’engagement maximal de ses équipes, a choisi d’associer ces deux forçats de l’action au sein d’un ministère de l’Intérieur qui doit retrouver à la fois une assise et un allant. Mais au sein d’une structure qui, ici plus qu’ailleurs, fait du respect des portefeuilles et de la hiérarchie une valeur cardinale, la ministre déléguée à la Citoyenneté, qui aime dépasser les feuilles de route assignées, va devoir composer avec un ministre de tutelle déjà comparé à Nicolas Sarkozy pour sa volonté de faire feu de tout bois.
Une légitimité sur la laïcité
Alors que cette fameuse feuille de route de la "citoyenneté", l’exécutif en convient, doit être précisée, Marlène Schiappa s’est d’ores et déjà octroyée le stratégique et éruptif thème de la laïcité. Précisons d’emblée qu’on ne peut que lui considérer une légitimité sur cette thématique. Auteur en 2017 de l’opuscule "Laïcité, point !", la conduite de son secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes a également démontré sa recherche constante du point d’équilibre entre le respect des pratiques religieuses et la primauté des lois républicaines en matière de lutte contre les discriminations. À ce titre, dans une interview accordée au JDD, l’une de ses premières déclarations en tant que ministre déléguée à la Citoyenneté concernait l’unité de la République : "Je ne veux pas d’un pays composé de simili-communautés ne se parlant plus : il n’existe que la communauté nationale, indivisible".
Voilà qui fait écho "aux passions tristes", ces "forces de division" dénoncées une fois encore par Emmanuel Macron lors de son intervention du 14 juillet. Les collaborateurs de Marlène Schiappa ne s’en cachent d’ailleurs pas : "le Président voulait la mettre sur des sujets régaliens". Cela tombe bien pour celle qui n’a de cesse de clamer depuis sa nomination qu’à 17 ans, elle "rêvait de devenir gendarme".
Un projet abandonné à l’époque mais qui faisait frémir un père, libre penseur et plus inspiré par les figures de gauche radicale que par les charmes discrets du maintien de l’ordre : Elle confie d’ailleurs : "enfant, je pensais que Marx et Trotski étaient des amis de la famille", tant ils étaient évoqués au sein du foyer. De quoi poser les fondations d’un parcours, contre, tout contre un père historien qu’elle chérit et contredit, mais à qui elle est éternellement reconnaissante de lui avoir permis d’acquérir "une conscience de classe".
La tutelle du ministre des Cultes
C’est donc tout naturellement qu’elle souscrit à l’intitulé que Gérald Darmanin donne à son ministère : "le premier des ministère sociaux". Mais le Ministre de l’Intérieur est également celui des cultes, une attribution qui, si elle fut délaissée par Christophe Castaner, passionne au plus haut point Gérald Darmanin. L’homme issu de familles à la fois d’obédience musulmane et judaïque avait d’ailleurs dès 2016, rappelle Le Monde, remis un document aux candidats de la primaire de la droite et du centre intitulé « Plaidoyer pour un islam français. Contribution pour la laïcité » dans lequel il envisageait la création d’une organisation de l’islam de France inspiré du consistoire. Autant dire qu’en matière de laïcité, la séparation des pouvoirs pourrait s’avérer complexe entre la tutelle et sa déléguée.
En attendant le partage à venir des missions régaliennes, Marlène Schiappa tient à faire savoir qu’il ne faudra pas la ranger du côté des angélistes comme d’aucuns auraient aimé la cataloguer. À ceux qui en doute, elle répond : "Je vais m’attacher à mettre les lois et décisions du Gouvernement en application" et rappelle son adhésion aux deux piliers de la gouvernance Macron, "l’humanité et la fermeté" et son action passée afin que "soit actée l’expulsion des étrangers coupables de violences sexuelles et sexistes (…) C’est du bon sens : si la maison de votre voisin s’effondre, vous l’accueillez. Mais s’il se met à tabasser votre sœur, vous le virez !"
"Il faut que soit actée l'expulsion des étrangers coupables de violences sexuelles et sexistes"
"Humanité et fermeté". Jusqu'où ?
L’image est forte. Trop forte ? Ne risque-t-elle pas de brouiller un positionnement qu’elle a patiemment construit, et avec succès, d’une passionaria engagée pour la défense de la veuve et l’orphelin ? Et si au contraire, le choix de Marlène Schiappa qui n’a de cesse de mettre en avant "une maternité, mère de (ses) inspirations" s’avérait judicieux dans un domaine parfois testostéroné jusqu’à la caricature ?
Si les contours de sa feuille de route, on l’a dit, doivent être précisés, sa capacité d’écoute et de dialogue peuvent faire mouche au sein d’un ministère régalien et ce en droite ligne de la confiance et de la concertation qui doivent caractériser le nouveau chemin dessiné par Emmanuel Macron. Mieux, ce dernier ayant fait le choix de renouveler sur d’autres domaines, la convention citoyenne qui vient d’être menée avec succès en matière d’écologie, la chargée de la citoyenneté pourrait être associée à cette nouvelle pratique politique. Un beau challenge pour celle qui en moins de trois ans, a elle aussi contribué à renouveler une manière de faire et d’être en politique.
Sébastien Petitot