Grégory Doucet, le manager militant
C’est une scène un peu triste, une confidence désabusée qui flirte avec la lucidité. La citation émane de Gérard Collomb, ancien maire de Lyon : "J’ai créé une ville qui s’oppose à moi." Glané par le magazine Lyon Capitale, l’aveu dit tout du changement qui agite la capitale des Gaules. Pour confier son destin à un homme qui vient de loin : pendant les vingt ans de règne de Collomb, pratiquement au même moment, quasiment dans le même laps de temps, Grégory Doucet arpentait le monde, en long, en large, mais sans travers.
Son parcours ? S’il devait se limiter à quelques mots, voici comment certains pourraient résumer la vie de l’écolo : Katmandou, un bouc, des pétitions, du compostage, du recyclage. Manque le banjo reprenant un air de Tryo sur les bords de Saône et se dessine une possible caricature à même d’effrayer les électeurs de la capitale du centrisme.
Un homme "très ambitieux"
Comment expliquer dès lors la majorité (52,4 % avec trois candidats) récoltée par le représentant EELV ? Parce que, comme souvent, la vie d’un homme s’appréhende dans sa complexité. Et si les éléments précédemment évoqués sont avérés, il convient d’y ajouter plus qu’une pincée, de pleines poignées d’autres vérités. Grégory Doucet vu par les autres ? "Calme", "réfléchi", "excellent manager", "militant", "attentionné"... On cherche un défaut et, un peu las, on se prépare à entendre "perfectionniste", quand une esquisse d’aspérité semble percer, relayée par une colistière citée dans Les Échos: "Il est très ambitieux..." Ouf, mais celle-ci poursuit: "Pas pour lui, mais pour changer les politiques en profondeur." N’en jetez plus. Un peu mystique peut-être, en témoignent ses premiers mots adressés à sa ville quelques instants après sa victoire? "Lyon est au rendez-vous, nous sommes au rendez-vous. Lyon a choisi l’écologie, alors on peut dire que Lyon est fait de cette étoffe dont sont tissés les rêves. Et ce soir le rêve n’est plus immatériel. Grâce à l’énergie de toutes et de tous, le rêve n’est plus suspendu dans les airs. Lyon a atterri maintenant. Lyon est redevenu terrestre."
À Manille, l’effondrement
La première prise de conscience politique de Grégory Doucet commence dès l’enfance lorsqu’il découvre les écrits de Gandhi. À l’adolescence, il écrit au maire de sa ville des Ulis dans l’Essonne pour lui dire que sa ville « était défigurée par les panneaux publicitaires ». Jeune adulte, il persiste dans la quête d’idéal mais avec, encore et toujours, les pieds ancrés dans le réel. Prépa HEC puis ESC Rouen où sa conscience écologique s’éveille. Ses années "école de commerce" coïncident avec les débuts dans le monde associatif où il prend la tête de l’association Genepi, structure d’aide conduite par des étudiants qui prennent de leur temps pour enseigner auprès de personnes incarcérées. Puis, c’est le grand saut dans l’humanitaire, où son sens de l’organisation va faire des merveilles auprès d’une association spécialiste en micro-crédit ou chez Inter Aide avant de rejoindre Handicap International, l’ONG lyonnaise où il occupera les fonctions de responsable des opérations en Afrique de l’Ouest et dont il ne s’est mis en disponibilité que récemment, pour mener campagne.
Ces pérégrinations au service de l’autre le mèneront en Casamance, à Katmandou, en Sierra Leone en pleine épidémie d’Ebola, ou à Manille qu’il raconte avec émotion : "J’ai découvert une misère insupportable. Je me souviens d’un bidonville construit sur une montagne de déchets. Ils s’en servaient comme matière première et, un jour, il y a eu un effondrement."
Les mêmes questions qu’en juin 1940
L’effondrement, justement, ce concept théorisé par les penseurs de l’environnement, celui quinous attend si nous ne luttons pas contre le réchauffement et qui l’a conduit à envisager un combat d’ordre éthique, une autre forme d’engagement: la politique. Évidemment à son retour en France, c’est auprès des Verts qu’il milite. Il choisit Nicolas Hulot à la primaire de 2011, mais fait campagne pour Eva Joly quand celle-ci est choisie et gravit localement les échelons d’EELV. Vint alors l’heure du choix, une décision des plus difficiles quant à sa candidature à la mairie: "Je voulais sortir de ma zone de confort. Je me suis posé des questions presque kantiennes, du même ordre que celles que se sont posées les Français en juin 1940. Sur le climat et la biodiversité, il faut savoir choisir son camp", lâche-t-il avec gravité.
"Nous ne rejettons pas le terme de créations d'entreprises"
Un allié à la métropole
Plus civilisées sont les batailles politiques. Même si ses adversaires ont joué la carte "khmer vert" ou "vert pastèque", il a reçu les ralliements d’anciens fidèles de Collomb, de gauche mais aussi de droite. Il balaye du revers de la main ces césures d’un autre temps: "Une certaine gauche a longtemps été productiviste. Dans le même temps, nous ne rejetons pas le terme de créations d’entreprises, plutôt porté historiquement par la droite. Pour nous, aujourd’hui, le clivage est entre ceux qui acceptent les limites de la planète et ceux qui ne s’en préoccupent pas. L’écologie politique, c’est penser les limites du monde."
Les limites de son action auraient pu être bornées par la métropole de Lyon, laquelle tient les cordons de la bourse (avec un budget cinq fois supérieur à la ville) et peut bloquer des initiatives par trop radicales. Mais là aussi, c’est un écologiste, Bruno Bernard qui a emporté la majorité absolue. L’homme est chef d’entreprise et se présente comme "écologiste responsable". De quoi augurer d’un binôme à l’encontre des clichés entourant parfois la pratique économique des écologistes...
Le manager et l’entrepreneur: il y a des Verts qui ont bien changé. À Lyon comme ailleurs, à droite comme à gauche, certains devraient commencer à se méfier...
Sébastien Petitot