A Colin-Lebedev : "Beaucoup de Russes ne savent pas ce qui se passe à Moscou"
Décideurs. Quels sont les pouvoirs de la Douma de Moscou ?
Anna Colin Lebedev : Cette Chambre possède des prérogatives limitées en matière décisionnelle, mais elle peut contrôler l’utilisation des finances publiques par la mairie et les instances municipales. Il s’agit d’un pouvoir important puisque Moscou gère un budget de 35 milliards d’euros sur lequel pèse de réels soupçons de corruption. Les membres de la Douma ont en outre un statut officiel, peuvent visiter des prisonniers, s’exprimer plus facilement dans les médias… Pour l’opposition, il est impossible d’accéder aux instances nationales qui sont verrouillées par le pouvoir. Elle s’oriente vers le local pour essayer de changer les choses. La Douma de Moscou est donc stratégique pour elle.
Quel est le profil des candidats qui n’ont pas pu se présenter ?
Ce sont des personnes aux parcours différents. Certaines sont issues de la société civile, c’est le cas de Lioubov Sobol, une juriste de 31 ans spécialiste de la lutte anticorruption, devenue la figure la plus médiatique du mouvement. D’autres ont un profil plus « politique », notamment Ilia Iachine, figure des manifestations de 2011 et proche de l’opposant assassiné Boris Nemtsov, ou encore Dmitri Goudkov qui a siégé à la Douma de Russie.
"L'opposition ne peut accéder aux instances nationales, elle s'oriente donc vers le local"
Pourquoi les autorités s’opposent-elles à ces candidatures ?
Traditionnellement, la population se désintéresse des élections locales. Les autorités municipales ne s’attendaient pas à un si grand nombre de candidats. Dépassées, elles ont préféré sacrifier la pluralité pour préserver le statuquo. Une opposition trop virulente à la Douma pourrait placer certains responsables locaux notoirement corrompus sur un siège éjectable. Désormais, les élections se rapprochent et la commission électorale ne peut plus revenir un arrière car elle se désavouerait.
Qui sont les Moscovites qui se mobilisent dans les rues ?
Pour le moment, il n’existe pas d’études précises sur le sujet. Mais les contestataires appartiennent globalement à la jeunesse éduquée et urbanisée. Elle réclame de nouvelles têtes et le droit de voter en ayant le choix entre plusieurs candidats, tout simplement. Un Russe vingtenaire a connu Vladimir Poutine et Russie unie à la tête du pays quasiment depuis sa naissance… Les communistes ont aussi défilé dans leurs propres cortèges, mais c’est une force vieillissante de nostalgiques de l’URSS qui, en réalité, ne se situe pas vraiment dans l’opposition.
Existe-t-il d’autres mouvements dans le pays ? La grogne peut-elle s’étendre ?
Cela fait des années que les Russes sont mobilisés, en général sur des questions précises telles que la protection de l’environnement, notamment les décharges publiques. Le Kremlin admet ces formes de contestations ponctuelles tant qu’elles ne remettent pas en cause le régime. Mais la situation économique est mauvaise et le pays s’appauvrit, Vladimir Poutine ne veut pas prendre le risque de voir sa légitimité mise en cause.
Toutefois, le mouvement a peu de chances de s’étendre à toute la Russie. Rappelons que malgré les réseaux sociaux, la majorité de la population s’informe sur les chaînes de télévision nationales qui restent muettes sur ce qui se passe dans la capitale. Nombreux sont ceux qui ne savent pas ce qui se passe à Moscou et ne connaissent pas le nom de Lioubov Sobol.
Anna Colin Lebedev est maîtresse de conférences à l'université Paris-Nanterre
Propos recueillis par Lucas Jakubowicz