Emprisonnée dans des querelles d’appareil, en proie à une dérive communautariste, l’Unef n’est plus que l’ombre d’elle-même. Le syndicat étudiant, pépinière de plusieurs responsables politiques de gauche s’est scindé en deux. Le début de la fin ?

Jean-Christophe Cambadélis, Benoît Hamon, Julien Dray, Bruno Julliard, Pascal Cherki… De nombreux responsables socialistes ont commencé leur ascension politique à l’Union nationale des étudiants de France (Unef). Pendant des années, la structure a été omniprésente sur les campus de l’Hexagone. Avec un positionnement résolument ancré à gauche.

Une histoire qui appartient désormais au passé. Depuis 2016, l’Unef a perdu sa place de premier syndicat étudiant au profit de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), au profil plus centriste. La cause du déclin de l’Unef pourrait être liée à celui des syndicats en général. C’est une hypothèse avancée par Robi Morder, politologue spécialisé dans les mouvements étudiants. D’après lui, « les jeunes sont à l'image du reste de la société, ils demeurent politisés mais sous d'autres formes restent dans la vie de la cité via un engagement dans des associations qu'elles soient de filières, de solidarité, sportives, culturelles, ou dans les coordinations ». En revanche, « ils considèrent les syndicats comme peu représentatifs, sclérosés. Et l’Unef est en première ligne ». Mais expliquer la chute de ce mouvement né en 1907 par une crise de la représentation est une solution de facilité. Le mal est en réalité plus profond. Le syndicat paie notamment des prises de position peu consensuelles.

« Groupuscule communautariste » ?

Traditionnellement, l’Unef a été le repaire d’une gauche « de combat » axée sur la défense des étudiants plus que sur les questions sociétales. Les choses ont peu à peu changé il y a une dizaine d’années, « L’Unef a voulu s’ouvrir davantage sur ldes  couches populaires auparavant éloignées de ses rangs, notamment des immigrés de seconde et de troisième génération pour attirer de nouveaux militants », observe Robi Morder. Une aubaine pour les mouvements indigénistes, les ultra-communautaristes, les salafistes ou les frères musulmans qui sont se sont peu à peu infiltrés dans le syndicat. Introduisant avec eux leurs propres revendications. Désormais, l’Unef organise des ateliers « réservés aux personnes racisées », défend la cause palestinienne et le port du voile dans les universités. La présidente de la section Unef de Paris IV la Sorbonne Maryam Pougetoux porte désormais le hijab. C’est aussi de l’Unef la Sorbonne qu’est parti le mouvement réclamant et obtenant l’interdiction des Suppliantes, une pièce de théâtre d’Eschyle, sous prétexte que les acteurs portent des masques bruns.

La direction nationale du syndicat ne sait plus sur quel pied danser. Opter pour un retour à une ligne plus laïque et sociale quitte à perdre une partie de ses adhérents ? Poursuivre sur cette nouvelle idéologie communautariste ? Pour le moment, le syndicat dirigé par Mélanie Luce essaie de maintenir l’équilibre mais semble opter pour la seconde solution. Les actions menées par les nouveaux venus sont acceptées. La physionomie du syndicat change et rien n’indique une inflexion, bien au contraire.

Les étudiants modérés ne se sentent plus forcément les bienvenus à l'Unef

Car désormais, les étudiants plus modérés ne se sentent plus forcément les bienvenus à l’Unef. Restent les plus radicaux. « Il’y a moins de discipline, de recherche du consensus. Le syndicat cherche-t-il comme il l'affirme s'adresser plus à l’ensemble des étudiants ? », s'interroge Robi Morder pour qui « si la volonté de rassembler n’est plus là, rien n’empêcherait les prises de positions centrifuges». Le point de non-retour semble atteint et certains médias grand public commencent à tirer la sonnette d’alarme. En mai 2019, Alba Ventura, chroniqueuse sur RTL a même qualifié l’ancienne chasse gardée du PS de « groupuscule communautariste anti-blanc ». Que les propos de la journaliste soient exagérés ou non, force est de constater que la radicalisation affaiblit le syndicat qui ne peut plus se placer comme le garant de l’intérêt général des étudiants.

Le 22 mai 2019, un autre événement a porté un rude coup à la prédominance de l’Unef. Dans une longue lettre, un tiers du bureau national a annoncé qu’il quittait le syndicat pour fonder une nouvelle structure : la Fédération syndicale étudiante (FSE). Ce ne sont pourtant pas les questions sociétales qui ont entraîné la scission, bien au contraire. Parmi les fondateurs de la FSE se trouvent l’ex-vice-présidente de l’Unef Lille, Hafza Askar, tristement connue pour avoir qualifié sur Twitter l’émotion faisant suite à l’incendie de Notre-Dame de Paris de « délire de petits blancs ». Notons qu'en 2017, toujours sur Twitter, elle avait appelé à « gazer les blancs, cette sous-race »  Un autre « sécessionniste », Édouard Le Bert, qui a pour sa part twitté « Drame national, une charpente de cathédrale brûle », fait lui aussi partie de l’aventure. Ce qui ne semble pas déranger Thibaud Moreau, étudiant en licence d’Histoire à Limoges et responsable de la FSE qui considère les deux syndicalistes comme des « victimes de cyber-harcèlement de la part de l’extrême droite ». Le jeune homme de 24 ans refuse également de condamner la tenue d’ateliers non mixtes pour « personnes racisées. » Qualifiant ces réunions de « non-événement majeur », il estime « quil n’y a aucun souci à donner un cadre pour parler de problèmes concrets comme la discrimination », l’interdiction de participation pour les personnes considérées comme blanches est selon lui logique puisque « cela reviendrait à mettre le patron dans la discussion, ce que l’on ne fait pas dans les rassemblements dédiés aux ouvriers ».

Apparatchiks des campus

Les auteurs de la La lettre aux camarades de l’Unef sont pour la plupart issus d’une fraction nommée la TUAS (Tendance unité et action syndicale), traditionnellement communiste. « Mais la direction originaire s'est retrouvée minoritaire et s'est faite déborder », observe Robi Morder. Le motif de discorde semble lié au fonctionnement interne du syndicat. Le principal grief est l’importance accordée aux congrès par rapport au militantisme de terrain. « Tout est organisé autour du congrès qui pousse les militants à s’affronter les uns avec les autres au détriment du travail de terrain », regrette Thibaud Moreau qui déplore une « organisation bureaucratique qui affaiblit l’Unef et le syndicalisme étudiant ».

La lettre met en avant le mode de fonctionnement de l’Unef qui oscille entre manipulation des foules et tambouille politique. Les sécessionnistes évoquent notamment des « jeux de pouvoir permanents », une « guéguerre interne » ou encore « des rendez-vous secrets pris en amont pour des centaines de personnes dans des couloirs, des cafets pour sectariser les adhérents et expliquer précisément la procédure de vote afin qu’ils ne puissent pas être retournés par une autre tendance ». L’étudiant affirme que lui et certains autres membres ont essayé de faire évoluer la situation. En vain. « La structure est verrouillée. Il s’est avéré impossible de changer les choses de l’intérieur. Notre décision de fonder la FSE est mûrement réfléchie ».

Marginalisation

L’enfermement dans une ligne politique communautariste couplé à la perte d’une partie de ses forces vives peuvent-il être fatals à l’Unef ? Quelles sont les projections à moyen terme ? Difficile pour le moment de répondre à la question. Une chose est certaine : « C’est un véritable affaiblissement pour l’Unef qui perd des profils expérimentés et le contrôle de plusieurs campus », note Robi Morder qui perçoit une véritable rupture dans la création de la FSE : « Les sécessions sont fréquentes dans les syndicats étudiants. Mais il y a quelques années, les frondeurs se seraient battus, pour garder le sigle Unef. Ce n’est pas aujourd'hui le cas. »

"Le terme Unef est démonétisé, il dégage du négatif"

Un avis partagé par Thibaud Moreau qui ne veut plus rien avoir en commun avec son ancienne organisation : « Le terme Unef est totalement démonétisé. Pour la majorité des étudiants, il dégage du négatif, il est lié à l’électoralisme, à la démagogie et à la manœuvre politique. » Reste à savoir si la FSE arrivera à changer les choses et représenter les étudiants ou si elle basculera, elle aussi, dans des batailles de tendances qui semblent inspirées de la révolution russe de 1917.

Lucas Jakubowicz

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

{emailcloak=off}