Que reste-t-il de la gauche ?
Si l’union fait la force, alors la gauche est un patient atteint de maladie grave. À tel point qu’imaginer revivre un programme commun (alliance entre communistes et socialistes en 1972) ou une gauche plurielle chère à Lionel Jospin relève de la science-fiction. Du moins à court terme.
Le PS affaiblit la gauche
Sous la Ve République, l’union des forces de gauche s’est toujours nouée autour des socialistes. Avec à chaque fois le même modus operandi : le PS rallie à lui écologistes, communistes et autres petits partis tels que le parti radical de gauche. Tous ont la garantie d’obtenir des postes de ministres, de secrétaires d’État, de sénateurs, de députés, de maires, de conseillers généraux…. Et les financements publics associés à ces fonctions. Une aubaine qui vaut bien quelques sacrifices idéologiques sur l’autel du pouvoir.
Pour dominer ce petit jeu, le parti à la rose a longtemps disposé d’une carte maîtresse : être le parti ultra-dominant à gauche depuis les années Mitterrand. Conséquence : s’il pouvait se permettre d’agir seul, les autres forces étaient dans la quasi-obligation de s’allier avec le grand frère socialiste pour espérer exister. L’exemple des Verts est éclairant. Le parti doit tout aux socialistes. Ainsi, en 2012, les écologistes ont pour la première fois obtenu un groupe parlementaire de 17 députés… Pour un score de 5,7% des voix seulement aux législatives. Cette performance défiant les règles arithmétiques a été rendue possible par le fait que les équipes de François Hollande ont laissé des circonscriptions gagnables au « petit frère » écolo.
En 2012, en s'alliant au PS, les écologistes ont obtenu 17 sièges de députés pour 5,7% des voix aux législatives
« Mais l’élection présidentielle de 2017 a tout bouleversé », souligne Florent Gougou, enseignant chercheur en sciences politiques à Sciences Po Grenoble. Avec 6% des suffrages, le PS a été largement devancé par la France insoumise et a perdu sa place de première force de gauche. « On ne sait pas actuellement, sous quelle forme existera le PS dans les prochaines années », constate l’universitaire spécialiste de la gauche pour qui, « la division, est la marque des faibles. Lorsque l’on est en position de force, les partenaires potentiels viennent frapper à notre porte ».
Or, le parti qui a été contraint de quitter son siège mythique de la rue de Solférino pour s’installer à Ivry-sur-Seine, est devenu si faible qu’aucune force ne souhaite s’allier avec lui : Jean-Luc Mélenchon méprise son ancien parti et estime que le principal chef de la gauche… c’est lui-même. Les Verts, pour leur part, ont été échaudés par le retrait de la candidature de Yannick Jadot à la présidentielle de 2017. Désormais, ils laissent entendre qu’ils agiront seuls pour toutes les prochaines échéances électorales. Du côté des communistes, Pierre Laurent a été mis en minorité et remplacé au poste de secrétaire général par Fabien Roussel en novembre 2018. Le député du Nord a été élu sur une ligne claire : une stratégie autonome du PS et des insoumis. Et ne parlons même pas de Génération.s. À l’heure actuelle, une réconciliation entre Benoît Hamon et ce qui reste du PS, qu’il a contribué à détruire, semble illusoire.
Autre point à mentionner : le PS va chercher à stopper son déclin lors des municipales de 2020 ou encore des législatives de 2022. Aux abois, le parti dirigé par Olivier Faure va tenter de sauver ce qui peut encore l’être. Il sera probablement moins enclin qu’auparavant à faire des concessions aux « petits partenaires » qui, de toute manière, estiment désormais boxer dans la même catégorie.
De quoi tendre encore plus les relations entre les leaders de la gauche qui semblent en guerre entre eux. Depuis 2017, les noms d’oiseaux sont échangés, le mépris affiché. Ce qui rend les alliances potentielles hypothétiques. Imagine-t-on la France insoumise s’allier à un candidat qui ne serait pas Jean-Luc Mélenchon ? Comment espérer que le PS enterre la hache de guerre avec Benoît Hamon qui, après une campagne présidentielle calamiteuse, a quitté le navire avec armes, bagages, militants, et élus ? Est-il réaliste d’imaginer un rapprochement entre insoumis peu ouverts au compromis et communistes qui craignent pour leur survie ?
Valeurs communes
L’alliance des différents partis de gauche se noue également autour d’idées qui rassemblent : le programme de gouvernement de Lionel Jospin qui, entre 1997 et 2002, a associé socialistes, communistes et écologistes est un bon exemple. « Il s’agissait d’un véritable projet de société global qui comportait de vraies mesures marquées à gauche : emplois jeunes, régularisations, mise en place des 35 heures… », énumère Erwan Lestrohan directeur d’études chez BVA Opinion.
Désormais, si l’on ne tient pas compte des querelles d’ego, l’hypothèse d’une alliance programmatique a pris du plomb dans l’aile. Il est vrai que l’idée des « deux gauches irréconciliables », théorisée par Manuel Valls en 2016, semble correspondre à la réalité. L’Europe est par exemple un marqueur fort. « Seuls 43% des sympathisants de la gauche de la gauche éprouvent de l’attachement à l’égard de l’Union européenne. Contre 73% chez les électeurs qui se considèrent comme plutôt à gauche », souligne Erwan Lestrohan.
Toutefois, les électeurs de gauche ont toujours été très divers et cela n’a jamais empêché les alliances. « Les électeurs communistes dans les années soixante-dix, se positionnaient nettement en faveur de la peine de mort, ce qui n’était pas le cas chez les socialistes », note Florent Gougou. « Cela n’a pas empêché de trouver des intérêts à partager ». Selon, l’universitaire, il n’est pas important de partager une vision intégrale. Des valeurs socles, parfois généralistes peuvent suffir à rassembler : « le peuple de gauche a toujours été prêt à mettre de côté des différends si cela donne la quasi-certitude de l’emporter », poursuit-il.
Heureusement pour la gauche, aujourd’hui encore, ces valeurs communes existent. Pour Erwan Lestrohan, il s’agit « du désir d’égalité sociale, de tolérance, d’ouverture et d’humanisme ». Ce sont des valeurs très globales, interprétables de bien des manières. Mais ce ne sont pas les seules autour desquelles la gauche peut tenter un jour de se rassembler.
Tous écolos !
« Il se peut également que des thématiques comme l’écologie ou la redistribution deviennent à terme si importantes chez les électeurs, qu’elles suffiront à ressembler à nouveau la gauche. Surtout si un nouveau leader charismatique émerge », estime Florent Gougou. S’il semble actuellement difficile d’unir la gauche sur les questions sociales, l’écologie pourrait potentiellement servir de point de rassemblement.
"L'anti-macronisme ne pourra à lui seul servir de rassemblement"
Il faut dire que toutes les forces de gauche semblent faire la course à qui sera le plus écolo. Le PS, sur son logo proclame désormais défendre la « social-écologie », tandis que la charte du mouvement Génération.s commence par la phrase : « nous sommes de gauche, nous sommes écologistes ». Même les communistes, dans l’imaginaire collectif, chantres de l’industrie et du productivisme ont remis à jour leur logiciel. Dans un discours prononcé le 16 mai 2019, son secrétaire général Fabien Roussel a déclaré : « Nous sommes des écolo-cocos, nous sommes des biolcheviques ! ». Il en est de même pour Jean-Luc Mélenchon qui ne cesse de verdir son image et son discours. Allant même jusqu’à poser dans Gala en train de manger du quinoa.
Que l’union passe par l’écologie ou non, une chose est certaine pour Florent Gougou : « L’anti-macronisme primaire ne pourra à lui seul servir de rassemblement. » Un avis partagé par Erwan Lestrohan : « L’union se fera sur un projet et non contre une personne ». D’après le sondeur, « une partie du PS préfère encore voter pour Emmanuel Macron que de s’allier avec les hamonistes ». Pour l'emporter un jour, pas le choix. La gauche doit travailler, réfléchir et renoncer à la guerre des ego. Pas gagné.