LR, la stratégie de la godille
Dès son élection à la tête du parti Les Républicains (LR) en décembre 2017, Laurent Wauquiez a annoncé la couleur. Il souhaite incarner une « droite qui ne s’excuse pas d’être de droite » et qui se place dans l’opposition à Emmanuel Macron, notamment sur les questions régaliennes. Le but est simple : empêcher l’hémorragie de son électorat vers le RN et accueillir les électeurs déçus par Marine Le Pen.
Séduire à l’extrême droite
Un calcul cohérent pour asseoir son autorité auprès d’un électorat de plus en plus conservateur, notamment sur le plan identitaire. Si cette évolution touche les électeurs, elle concerne également l’appareil dirigeant. Pour Christophe Bellon, spécialiste de l’histoire parlementaire et enseignant à Sciences Po ainsi qu’à l’université catholique de Lille, les élus de droite sont dans leur immense majorité opposés à tout dialogue avec le RN : « Mais la frange modérée du parti est de moins en moins importante, surtout depuis 2010 et la création de l’UDI puis avec la création du groupe parlementaire Agir Les Constructifs en 2017. » Et les dernières élections législatives ont accentué les choses : le nombre de députés LR est passé de 194 à 99 entre 2012 et 2017. « Les élus restants sont majoritairement implantés sur des terres ancrées à droite comme le Nord-Est ou les Alpes-Maritimes. Confrontés à un RN de plus en plus puissant qui devient le principal adversaire, ils sont prêts à muscler leur discours », analyse l’universitaire qui note également une baisse très forte d’élus venant de terres centristes comme la Bretagne ou les Pays de la Loire. Une donnée peu relevée par les observateurs et qui pourrait expliquer la droitisation du parti.
Pour asseoir son autorité et développer son identité politique, Laurent Wauquiez n’a pas ménagé ses efforts : immigration, islam, laxisme judiciaire, perte de l’héritage chrétien ont tour à tour été dénoncés par le nouveau leader. Sans pour autant attirer les électeurs de Marine Le Pen. Selon Pierre-Hadrien Bartoli, sondeur politique chez Harris Interactive, « seul un quart de l’électorat LR pourrait voter pour l’extrême droite. Et les électeurs RN sont réputés préférer l’original à la copie, ce qui est statistiquement vrai. »
En revanche, l’engagement des élus LR contre la réduction de la vitesse sur les routes ou encore la hausse de la CSG pour une partie des retraités a eu un résultat : attirer une frange de la classe moyenne de la France périphérique, moins diplômée que la moyenne nationale qui se sent représentée par la ligne Wauquiez, plus que par les discours de François Fillon. Une orientation qui lui a valu d’être considéré comme « le candidat des gars qui fument des clopes et qui roulent au diesel, » par le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux. Une forme de consécration pour l’homme fort de LR qui souhaite incarner une droite populaire et anti-élite.
Garder les centristes
Mais cette réorientation s’est faite au détriment des électeurs centristes. Comme le souligne le spécialiste des sondages politiques, cette stratégie a détaché de LR « les cadres europhiles et libéraux qui votent désormais majoritairement LREM ». Et c’est là que le bât blesse. « L’histoire électorale est catégorique : la droite ne peut ni gagner en campant sur une ligne droitière ni gagner seule », assène Christophe Bellon. LR n’a pas le choix et doit ratisser large et rassembler : des centristes à la frange la plus droitière. Au risque d’être condamné à devenir la voiture balais de Marine Le Pen ou d’Emmanuel Macron.
"Les cadres europhiles et libéraux votent désormais pour Emmanuel Macron."
Un travail d’équilibriste, difficile mais pas impossible puisque Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy l’ont mené à bien. « Il est faux d’affirmer que Laurent Wauquiez va continuer à miser sur l’électorat d’extrême droite », estime Christophe Bellon qui rappelle que « l’actuel président de LR est à l’origine un chiraquien. Il va progressivement se recentrer. » Et cela a commencé. Certes, il a nommé en tête de liste pour les élections européennes le jeune philosophe versaillais François-Xavier Bellamy, un catholique pratiquant proche de Sens commun. Mais celui-ci est secondé par l’eurodéputé Arnaud Danjean, proche d’Alain Juppé, et par Agnès Evren, fidèle lieutenant de Valérie Pécresse, chantre d’une ligne libérale et modérée. Un signal bienvenu à une frange pro-européenne échaudée par l’exclusion ou le départ volontaire du parti de nombreuses personnalités centristes et trop Macron-compatibles.
Un leader menacé ?
En plus d’une difficulté à positionner ses idées dans un champ politique bousculé par l’émergence de LREM, la droite républicaine traverse actuellement une crise de leadership. Certes, Laurent Wauquiez a été largement élu par 75% des votants à la tête du parti en décembre 2017, mais cela reste insuffisant pour en faire le chef de file de l’opposition.
Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes souffre d’une mauvaise image auprès de l’opinion publique. Sur ces trois derniers mois, il recueille moins de 20% d’opinions favorables. Pire encore, seule la moitié des sympathisants lui fait confiance. « C’est un score très faible », glisse Pierre-Hadrien Bartoli qui précise que dans les autres partis, le taux est bien plus élevé : « Il est d’environ 80% pour Marine Le Pen, Emmanuel Macron ou encore Jean-Luc Mélenchon. ».
Un véritable handicap pour un électorat qui a traditionnellement le culte du chef. « La droite est de tradition bonapartiste. Électeurs et sympathisants désirent suivre un homme fort. Pour le moment, le constat est cruel : son cœur de cible ne le voit pas président de la République, ce qui rend la mobilisation hors du noyau dur assez difficile », estime Pierre-Hadrien Bartoli pour qui sa seule solution est de se présidentialiser. Ce qui, pour le sondeur, va demander du temps : « Dans l’opinion, il est perçu comme fake. » Elle pointe notamment une dissonance entre l’image qu’il souhaite donner : jeune, antisystème et sans langue de bois et la réalité. Celle d’un homme politique agrégé d’histoire, major de l’ENA, élu député à 29 ans, entré au gouvernement trois ans plus tard et passé du centrisme pro-européen à une ligne plus identitaire.
Pour le moment, Laurent Wauquiez n'est pas menacé par un putsch interne.
Il possède pourtant un atout dans sa manche : il n’a pas de concurrent. Certes Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand sont dans les starting blocks ; mais, pour Pierre-Hadrien Bartoli, « les différents tests menés montrent que personne n’incarne le sauveur, le rassembleur. Toutes les personnalités testées obtiennent les mêmes résultats que lui ».
Une situation qui semble exclure le risque de putsch interne, y compris après des élections européennes qui s’annoncent peu prometteuses. La tâche s’annonce toutefois titanesque pour Laurent Wauquiez, qui persuadé de la justesse de sa ligne, continue à tracer son sillon. Patiemment. Et dans un relatif silence. Comme le fait remarquer Christophe Bellon : « Il parle beaucoup moins que ces prédécesseurs et opte pour une parole rare qui a du poids. » Comme le futur président qu’il ambitionne de devenir ?