Après des mois de turbulences, la marque au losange s’est dotée d’une gouvernance bicéphale. Mais l’ombre de Carlos Ghosn devrait encore hanter ses successeurs.

Jusqu’au bout, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie aura défendu l’emblématique patron du constructeur français en insistant à juste titre sur la présomption d’innocence. Arrêté au Japon le 19 novembre et incarcéré depuis cette date, l’industriel qui tenait fermement la barre de Renault depuis 2005 a été lâché publiquement. La raison évoquée ? Le besoin d’une direction pérenne. Le 16 janvier, l’ancien candidat à la primaire de la droite et du centre a donc déclaré qu’il « était temps de mettre en place une nouvelle gouvernance parce qu’aujourd’hui, le plus important, c’est de préparer le futur de Renault et de l’alliance ».

Et le nom du successeur n’a pas tardé à être dévoilé. Ou plutôt des successeurs. Le 24 janvier, Renault a officialisé la mise en place d’une direction bicéphale. Elle comporte Jean-Dominique Senard, 65 ans, président de Michelin ainsi que Thierry Bolloré, 55 ans qui était jusqu’à présent directeur général adjoint de Renault.

Une annonce qui devrait rassurer les observateurs. Fin connaisseur des arcanes du groupe et de l’Asie, Thierry Bolloré est connu des autres dirigeants de l’alliance, notamment ceux de Nissan. De son côté, Jean-Dominique Senard est réputé proche de l’exécutif. Un point important puisque l’État est actionnaire majoritaire de Renault (15,1% du capital). Les deux dirigeants devront rassurer leurs alliés japonais Nissan et Mitsubishi et continuer le travail de Ghosn qui a fait du groupe le premier constructeur mondial en 2017. Une performance remarquable qui a permis à l’homme d’affaires d’être bien mieux rétribué que son prédécesseur Louis Schweitzer, notamment grâce à un système de rémunération complexe. Qui risque de devenir un casse-tête pour la nouvelle direction. Les statuts du groupe ont en effet prévu bien des éventualités. Mais pas celle d’une éventuelle condamnation de son patron.

La peur du parachute doré

Le document de gouvernance de Renault est clair : quel que soit le motif, le président du groupe ne peut toucher d’indemnités de départ, le fameux « parachute doré ». Une mesure sur laquelle l’Etat s’est montré intransigeant.En revanche, est prévue une clause de non-concurrence de deux ans qui peut atteindre jusqu’à deux années de rémunération brute. Celle-ci doit être acceptée par l’assemblée générale du groupe.

À cela, il faut ajouter les parts variables différées. Ces dernières années, Carlos Ghosn a accumulé des actions qu’il ne peut débloquer qu’au bout de quatre ans. Cela représente un pactole de près de cinq millions d’euros. En février 2019, il aurait dû toucher les actions de 2014, soit 1,36 million d’euros. Puis celles de 2015 en 2020, celles de 2016 en 2021… Le montant total des actions est estimé à 5 millions d’euros. Si Ghosn venait à être condamné, pourra-t-il continuer à toucher de tels dividendes ? Ici encore, les statuts sont muets

Pour le moment, la résolution de ces questions n’est pas à l’ordre du jour. Cela sera abordé lors de l’assemblée- générale du groupe en juin. L’avancée de l’enquête devrait aider à prendre la meilleure décision qui pourrait répondre au dilemme suivant : faut-il récompenser un patron performant mais éventuellement condamné pour avoir confondu trésorerie d’entreprise et tirelire personnelle ?

Lucas Jakubowicz (lucas_jaku)

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