C’est une jeune femme novice en politique qui mènera la France insoumise aux européennes. Sa mission : donner une image ouverte du mouvement et l’installer comme première force de gauche.

La nouvelle est tombée le samedi 8 décembre. Pour les élections européennes de mai 2019, les insoumis seront menés par Manon Aubry, 29 ans et fraîchement lancée sur la scène électorale. Un choix aussi surprenant que logique.

Si elle n’a jamais milité dans un parti, la jeune femme possède un profil résolument ancré à gauche. Originaire de Bonifacio, elle grandit dans le Var et fréquente le lycée Saint-Exupéry de Saint-Raphaël. Le même que David Rachline, désormais maire frontiste de la ville voisine de Fréjus. C’est au bord de la Méditerranée qu’elle milite contre la loi Fillon en 2005 puis combat le CPE un an plus tard. Son engagement se poursuit à Sciences Po Paris où elle s’engage à l’Unef, syndicat étudiant, traditionnel vivier de responsables socialistes.

Diplômée dans la même promotion que Gabriel Attal, marcheur de la première heure récemment nommé secrétaire d’État à la Jeunesse, elle n’opte ni pour la fonction publique ni pour le secteur privé. Son choix ? S’engager dans l’humanitaire. Elle travaille notamment pour Médecins du monde au Liberia et pour la Fondation Carter en République démocratique du Congo.

En octobre 2014, elle rejoint Oxfam, confédération d’ONG active dans la lutte contre la pauvreté, les inégalités et pour la justice fiscale. Porte-parole d’Oxfam France, actuellement dirigée par l’ancienne ministre écologiste Cécile Duflot, elle se spécialise dans les questions liées à l’évasion fiscale. Elle est notamment coauteur du rapport « Banques en exil, comment les grandes banques européennes profitent des paradis fiscaux », publié en 2017. En plus de ce poste à responsabilité, elle enseigne également les droits de l’Homme à Sciences Po Paris et trouve le temps de s’entraîner plusieurs fois par semaine avec son équipe de water-polo à l’association Montmartre Natation Sauvetage.

Jeune, femme, issue de la société civile, sportive… Manon Aubry coche toutes les cases pour incarner le renouvellement politique au sein d’une gauche française en quête de figures de proue. C’est donc logiquement que Manon Aubry a été courtisée par Europe Écologie Les Verts et par Génération.s, le parti de Benoît Hamon. Mais c’est finalement La France insoumise qui recrute la pépite.

En août 2018, lors de la rentrée politique du mouvement à Marseille, elle s’entretient avec Jean-Luc Mélenchon au sujet d’une potentielle candidature. Mais la jeune femme prend le temps. Un entretien de six heures avec Jean-Luc Mélenchon et Manuel Bompard au court duquel elle se rend avec une dizaine de pages de questions permet à l’automne de lever les derniers doutes. Oui, elle accepte de relever le défi.

Changer l’image des Insoumis

Pour Jean-Luc Mélenchon, cette nomination est un coup politique qui pourrait lui rapporter gros. La personnalité de Manon Aubry semble être aux antipodes du sectarisme qui est reproché à certains responsables insoumis. La future députée européenne ne s’en cache pas : elle n’est pas encartée, défend des idées et non une personne. Elle s’est solennellement engagée à ne pas critiquer les autres partis de gauche et à mettre en avant l’intelligence collective pour ne pas donner le sentiment d’une « chef omnisciente ». Un état d’esprit qui plaît à Jim Delémont, militant insoumis et candidat aux européennes : « Je ne la connaissais pas mais j’ai pu la rencontrer à plusieurs reprises en décembre dans les réunions de candidats. C’est une personne très chaleureuse, accueillante, ouverte à la discussion et aux avis de tous ». Pour lui, « nos opposants pourront nous traiter de bien des choses, mais plus de sectarisme ou de parti qui fonctionne à l’ancienne ». Car comme il le reconnaît lui-même : « Connaissez-vous beaucoup de partis qui confient la tête de liste à une jeune femme venue de l’extérieur ? »

"On ne pourra plus accuser les insoumis de sectarisme"

Autre atout : si certains insoumis, Jean-Luc Mélenchon en tête, nourrissent une relation conflictuelle avec les médias, parfois par stratégie populiste, parfois par méconnaissance du métier, ce n’est pas le cas de Manon Aubry. Sa mère, Catherine Poggi-Aubry, ancienne candidate LFI aux dernières élections législatives, est journaliste et a notamment travaillé plus de 30 ans pour Var Matin. Les fonctions occupées par Manon Aubry chez Oxfam lui ont également appris à nouer de bons rapports avec la presse. Ce qui devrait éviter des tensions et améliorer l’image du parti.

Séduire les bobos

Bien plus qu’une tête de gondole ou qu’un coup de com, sa candidature pourrait également permettre aux insoumis d’élargir leur base électorale. Activiste humanitaire et pro-européenne convaincue, la tête de liste ne devrait pas évoquer la renégociation des traités, thème qui peut effrayer l’électorat de gauche pro-européen. Comme le résume Clément Fayol journaliste d’investigation et auteur de l’ouvrage Mélenchon aux portes du pouvoir (Editions First), « elle va permettre de séduire ce que j’appelle la gauche France inter : verte, écolo, progressiste, qui fait confiance à l’UE. C’est important car cette partie de l’électorat est plus mobilisée que la moyenne aux européennes ». Si la tête de liste mène à bien sa mission, elle devrait garder les suffrages de la base du parti, tout en marchant sur les plates-bandes du PS, d’EELV et de Génération.s. Objectif : permettre à LFI de s’affirmer comme la place forte de la gauche.

"Son expertise va nous aider à mettre au centre du débat la justice fiscale"

Pour décrocher cette position, LFI compte dicter le tempo de la campagne en se focalisant sur l’injustice sociale et fiscale. Sur ces thématiques, Manon Aubry peut facilement tirer son épingle du jeu : « Son expertise va nous permettre de traiter avec professionnalisme les sujets qui sont importants aux yeux des électeurs et qui sont la principale raison du mouvement des gilets jaunes : justice fiscale, lutte contre l’évasion fiscale… », se réjouit Jim Delémont.

Une rupture pour LFI ?

Cette nomination n’est pas un « simple fait du prince ». Comme le souligne Jim Délémont, « La présence de Manon Aubry comme tête de liste a été validée par un comité électoral de trente personnes dont dix-huit militants tirés au sort ». Elle ne constitue toutefois pas une rupture selon le jeune homme originaire de Loire-Atlantique qui rappelle notamment que le groupe France insoumise à l’Assemblée nationale comporte plusieurs députés de moins de trente ans ou vierges de toute expérience politique. Clément Fayol, de son côté, évoque une ouverture artificielle qui rappelle que la liste insoumise respecte surtout un savant équilibre qui place en position éligible « des membres du Front de Gauche, des députés mélenchonistes sortants comme Younous Omarjee ». Ainsi qu’ « Emmanuel Maurel député européen ancienne figure de l’aile gauche du PS ». Mais c’est bel et bien Manon Aubry, tête de liste oblige, qui sera la plus exposée dans la presse et sur les réseaux sociaux. Consciente de la situation, elle compte sur son expérience de championne de waterpolo pour encaisser les coups. Et riposter.

Lucas Jakubowicz (lucas_jaku)

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