Christophe Chalençon, une des figures radicales des gilets jaunes a déclaré le 15 février que la France était au bord de la guerre civile. Des propos qui montrent que le mouvement est de plus en plus scindé entre une minorité vindicative et une majorité plus modérée. L’occasion de revenir sur les leaders du mouvement.

Les Gilets jaunes, un mouvement spontané ? Pas si sûr. Il existe bien un groupe de meneurs à leur tête. Derrière les images Instagram et les comptes Facebook, il y a bien des modérateurs et coordinateurs. L'improvisation n'est qu' apparente. Ces meneurs sont plus synchronisés et coordonnés qu’il n’y paraît, ce qui explique sans doute le succès du mouvement. 

Ce groupe de meneurs est scindé en deux parties. Il existe désormais les Gilets jaunes libres, qui prônent « le dialogue » et « pas le saccage ». Et les autres, fédérés autour d’Éric Drouet, qui croient à la violence et appellent à marcher sur l’Élysée. Ces derniers tendent plutôt vers l’ultradroite ou l’ultragauche, voire le complotisme, tout en se revendiquant apolitiques, pour tenter de rassembler autour d’un élément plus fédérateur, la colère. Décideurs Magazine vous propose un panorama des leaders du mouvement.

Les meneurs extrémistes

Éric Drouet, le révolutionnaire

Ce chauffeur routier, originaire de Melun, est l’inattendu centre de gravité des plus colériques des Gilets jaunes. Après s’être fait connaître par son Facebook « La France énervée », qui rassemble plus de 45 000 followers, il a mis en place la coordination avec d’autres meneurs ou lieutenants. Il coanime avec Priscilla Ludosky la page La France en colère (350 000 followers). 

Mais ses ambitions semblent noires et dangereuses. Ainsi, concernant le Pacte mondial sur les migrations, texte de l’ONU très équilibré visant à réduire et humaniser l’immigration, il veut voir la volonté d’« abolir les frontières aux immigrés » et de promouvoir « le mélange racial » au profit d’un « supergouvernement mondial ». Ce complotisme révèle une inspiration d’extrême droite, qui verse depuis mercredi, sur BFM-TV, dans la révolution, avec un appel à marcher sur l’Elysée (« Samedi, si on arrive à l’Elysée, on rentre dedans !) et à la « destitution » du président de la République.

Les dernières positions d’Éric Drouet ont déclenché une riposte judiciaire avec une enquête préliminaire. Il faut dire qu’après avoir été reçu par un ministre, Francois de Rugy, il déclinait l’invitation du Premier ministre, prétextant de l’absence de mesures concrètes préalables. Une esquive logique : comment pourrait-il surfer sur la colère si le dialogue s’installe? 

Le militant est également à l'origine d'un projet de "nuit jaune". Il s'agirait d'étendre le mouvement la nuit. Une vision insurrectionnelle qui risque de tomber sous le coup de la loi.

Maxime Nicolle : le cyberactiviste

Casquette à l’envers, barbe rousse : Maxime Nicolle, également connu sous le pseudo de Fly Rider est l’une des figures les plus identifiées des gilets jaunes radicaux. Breton et intérimaire, l’homme de 31 ans maîtrise « l’art du buzz » grâce à des prises de positions iconoclastes reprises par les réseaux sociaux et les médias. Dernière initiative en date : le 30 janvier 2018, il menacé de quitter la France et de demander l’asile politique dans un autre pays si le gouvernement continuait à rester sourd aux demandes des gilets jaunes. Il est également connu pour avoir demandé la démission d’Emmanuel Macron.

Priscilla Ludosky, la repentie

Priscilla Ludosky représente la seconde figure radicale et probablement le cerveau, très politique, du mouvement. A l’origine de la pétition sur les carburants, très proche d’Éric Drouet avec qui elle se coordonne systématiquement, elle utilise et pilote depuis l’origine le compte Facebook « La France en colère » pour souffler sur les braises. Sa pétition « Pour une baisse des prix du carburant à la pompe » a été un succès et a recueilli plus d’un million de signatures. 

Mais, au-delà de la revendication de mesures économiques compréhensibles (baisse des taxes sur le carburant), elle formule des demandes plus populistes (baisses des salaires du gouvernement et suppression de leurs privilèges), voire très politiques en allant jusqu’à exiger une Assemblée citoyenne ou des référendums d’initiative populaire. Sa pensée très politique l’a conduite aussi à réfléchir à la structuration du mouvement,

Depuis le début de l’année 2019, les relations entre Ludosky et Drouet semblaient être de plus en plus compliquées, le second devenant de plus en plus extrémiste, autoritaire et anti-républicain. Le lundi 14 janvier, Priscilla Ludosky a officialisé sa rupture avec les gilets jaunes radicaux.

Dans un message publié sur son compte Facebook, elle explique notamment qu’Eric Drouet « menace les membres du groupe de travail duquel je fais partie ». Elle et d’autres leaders radicaux subissent depuis « des semaines son comportement. Nous recevons ses menaces et aujourd’hui, je suis personnellement attaquée. Et ça, je ne l’accepte pas ».

A la fin du mouvement, elle promet également, preuve à l’appui de rendre public des preuves montrant la dangerosité d’Éric Drouet : « je compte, quand tout sera terminé, expliquer tout ce qu’il a pu faire pour nuire au mouvement ».

De son côté, Éric Drouet a déclaré qu’il s’agissait d’un faux communiqué. Une déclaration contestée publiquement par Priscilla Ludosky.

Steven Lebee et Christophe Chalençon : les lieutenants

Steven Lebee fait partie des trente-cinq porte-parole désignés par Éric Drouet et Priscillia Ludosky. Il admet s’accorder chaque jour en visioconférence. Comme Priscilla Ludosky, il peut apparaiîre très politique et ambitieux : « Une énorme majorité des Français sont pour une VIe République. » Comme Eric Drouet, il sait être subtilement menaçant : « si un porte-parole avait un passé politique ou syndical, il serait lynché tant le divorce est important. » Pour les hommes de Drouet, pas question de partager l’éventuel gain de pouvoir.

Christophe Chalençon est un forgeron du Vaucluse, qui fut candidat aux législatives en 2017 sous l’étiquette divers droite. Il faut lire très à droite. Il dénonce « l’intégrisme musulman, la burqa et ceux de banlieues qui arrivent en fin de manif, parce que le matin, ils dorment… ». Il a réclamé, le 3 décembre sur Europe 1, « la démission du gouvernement actuel » et l’arrivée à Matignon « d’un homme à poigne comme le général de Villiers ». Fustigeant « l’oligarchie des énarques », il se classe dans les révolutionnaires en affirmant :« Samedi, on va sortir les fourches et la VRépublique sera à terre. » .

De plus en plus complotiste et violent, il a tenu à la télévision italienne des propos séditieux le 15 février. Selon lui, "Le peuple, il rentre à l'ELysée et démonte tout. Macron, sa femme et tout sa clique (...). On a des gens, des paramilitaires qui peuvent intervenir (...). On est à la limite de la guerre civile". Il souffre visiblement de paranoia et se voit plus puissant qu'il ne l'est puisqu'il estime qu'il "peut se prendre une balle dans la tête à n'importe quel moment, mais je m'en fous".

Les Gilets jaunes libres

Les Gilets jaunes libres sont des radicaux modérés, qui veulent une révolution fiscale et sociale, mais pacifiquement.

Benjamin Cauchy, l’homme de droite modérée

Cet ancien militant de l’UNI, syndicat de droite, a été élu UMP à Laon. Il est chargé de clientèle chez Groupama en Haute-Garonne. Il a commencé à prendre conscience de la dérive du mouvement, affirmant que « peu à peu s’est insinuée, au milieu des revendications fiscales, cette histoire de référendum, de VIe République et toute la sémantique de La France insoumise, avec l’infiltration de syndicalistes de SUD et de la CGT ».

Les « Gilets jaunes libres », dont il fait désormais partie, sont clairement à droite, mais aussi moins contestataires des institutions. « Destituer Macron, supprimer le Sénat, c’est n’importe quoi. Avec Drouet, on s’était pris ensemble des lacrymos le 25 novembre. Mais maintenant, il est dépassé, et, entre nous, c’est un peu comme Chirac et Balladur », explique t-il. Inquiet des violences du 1er décembre, il a appelé à ne pas venir à Paris la semaine suivante.

Jacline Mouraud, l'égérie

La légitimité initiale de Jacline Mouraud (que la rédaction de Décideurs Magazine a longuement rencontré) est née de sa vidéo où elle protestait contre les taxes sur le carburant, vue plus de 6 millions de fois, faisant d’elle la première égérie du mouvement. Un mouvement dont elle avoue qu’il « échappe aujourd’hui aux Gilets jaunes eux-mêmes ». Cette hypnothérapeute de 51 ans, basée dans le Morbihan, sait pousser un vibrant cri du cœur qui déclenche l’empathie (fiscale). 

Alors que la France en colère d’Éric Drouet devenait violente et sans limite, elle s’en est dissociée : avec trois “cofondateurs”, elle a signé un appel à la modération publié dans le Journal du dimanche le 2 décembre, avec neuf autres cosignataires représentant la plupart des régions, mettant ainsi en scène « les Gilets jaunes libres ». Comme quoi, les Français ont du talent (politique). 

Sa nouvelle modération vient sans doute aussi du choc d’avoir reçu des “menaces de mort” qui l’ont dissuadée de se rendre à Matignon, malgré la main tendue du gouvernement. Véhémente au départ, elle paraît désormais presque modérée et semble parfois s’inquiéter de la radicalisation des manifestants. « On augmenterait leur smic, ils seraient encore en colère et je ne sais plus quelles sont les mesures qui permettront une sortie de crise. »

Son activité professionnelle (hypnothérapie à domicile) dépendant de son véhicule, ses exigences sont très tournées vers l’automobile, les carburants et la fiscalité plus généralement. Des demandes entendues puisque le gouvernement a accepté l’essentiel de ces demandes (annulation de la hausse sur les carburants, annulation des nouvelles mesures sur le contrôle technique). 

Fabrice Schlegel, le promoteur immobilier

Celui qui revendique d’avoir initié le mouvement dans le Jura, reconnaît que « les barrages se sont tellement radicalisés qu’on vient me défier parce que j’incarne le chef et donc un petit bout d’institution ». Électeur de François Fillon au premier tour de la présidentielle, il affirme s’être abstenu au second car il ne voulait pas voter pour le Front national.

Ce petit entrepreneur réclame « plus de justice sociale » mais s’inquiète de voir la lutte des classes réapparaître. Fabrice Schlegel constate tristement que « des gens en grosses bagnoles se font insulter ou demander leur salaire ».

Son orientation principale porte sur la fiscalité. Pour lui, le mouvement est d’abord celui « des gens qui gagnent 3 000 euros à deux et de beaucoup de retraités complètement apolitiques ».

Ce Gilet jaune, chef d'entreprise dans la promotion immobilière reconnaît ne pas être « le plus impacté » par la hausse de la taxe sur le carburant, mais a dénoncé sur LCI un impôt "confiscatoire", reprochant au gouvernement « d'aller toujours chercher l'argent dans la poche du petit contribuable ». De plus, début 2018, ce quadragénaire s'était déjà engagé contre la baisse de la limitation de vitesse à 80 km/h.

Il s’oppose aux excès révolutionnaires d’un Éric Drouet et appelle au dialogue. Pour lui les demandes de destitution d’Emmanuel Macron et de suppression du Sénat décrédibilisent le mouvement. En lieu et place, il réclame « la réduction du nombre de parlementaires et l’introduction d’une dose de proportionnelle ». Mesures qui sont programmées par la réforme constitutionnelle en cours.  En attendant, il est en liaison avec le préfet de son département et avec certains parlementaires pour « garder le calme et éviter qu’on ait un mort sur les bras ». Il soigne ses discours, est intervenu sur l’émission de Pujadas sur LCI et pense nécessaire de « se structurer » car « ce mouvement va durer très longtemps ». 

En synthèse

 

Le clivage entre les Gilets jaunes libres et les Gilets jaunes « de Drouet » est un événement de cette crise, discret mais majeur. Il marque l’ouverture d’un possible dialogue, que les partisans de la page Facebook la “France en colère” faisaient tout pour bloquer, y compris par des menaces de mort. 

Emmanuel Macron et son gouvernement ne s’y sont pas trompés : d’abord en acceptant plusieurs demandes des Gilets jaunes libres, puis en les recevant dans un second temps, au niveau du Premier ministre. 

Pierre-Etienne Lorenceau

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