François Mitterrand avait lancé la mode avec son ascension annuelle de la Roche de Solutré. Arnaud Montebourg et maintenant Laurent Wauquiez ont eux aussi pris l’habitude de réunir proches et presse chaque année au pied d’une montagne. Et ce n’est pas un hasard…

Le dimanche 25 août, Laurent Wauquiez entame l’ascension du mont Mézenc sur ses terres de Haute-Loire. À ses côtés, François-Xavier Bellamy, Annie Genevard, vice-présidente de l’Assemblée nationale et députée du Doubs ou encore Bruno Retailleau patron de l’influent groupe LR au Sénat. Durant son discours, celui qui est devenu à la faveur de la dissolution député de Haute-Loire et président du groupe LR à l’Assemblée nationale a prononcé un discours de politique générale. "C’est la 13e ascension que nous faisons ensemble et pourtant elle résonne comme une première. C’est la première pierre de la reconstruction de la droite", a-t-il notamment déclamé.

Celui qui se rêve en sauveur de la droite a observé une mise en scène quasi mitterrandienne. En 1946, le premier président socialiste de l’Histoire fait un serment à son beau-frère Roger Gouze. Il s’engage à grimper chaque dimanche de Pentecôte la Roche de Solutré, un escarpement de calcaire de 500 mètres de hauteur qui surplombe la commune de Solutré-Pouilly. Une région importante puisque c’est là qu’il s’est caché pendant la Seconde Guerre mondiale sous le pseudonyme de Morland. C’est ici aussi qu’il a rencontré son épouse Danielle. Dès 1981, ce rassemblement initialement privé est devenu public. Ministres et élus se rassemblaient autour du Président, guettant ses moindres faits et gestes. Au fil des années, le rendez-vous annuel au pied de la Roche de Solutré est entré dans l’histoire de la Ve République. Arnaud Montebourg, qui s’est longtemps rêvé en successeur de François Mitterrand, a pour sa part pris l’habitude d’escalader le mont Beuvray dans son fief de Saône-et-Loire. Mais pourquoi une telle ivresse des sommets ?

Mythique et religieux

Bien organisé, ce rituel revêt un aspect religieux qui permet de flatter l’ego d’hommes politiques désirant notoriété et crédibilité. "Il y a clairement une dimension christique dans ce type d’événement qui n’est pas sans rappeler l’ascension du Mont des Oliviers. Comme le Christ, l’homme politique est entouré de ses disciples avec qui il partage son pain et son vin sous la forme d’un buffet champêtre ou d’un pique-nique. Il n’est donc pas étonnant que la presse utilise fréquemment le mot pèlerinage pour ce type de rassemblement. D’autant plus qu’ils sont organisés à date fixe", souligne Olivier Ihl, professeur de sciences politiques spécialisé dans les rituels des élus.

Au-delà de l’aspect religieux, la montagne est un lieu riche de symbole. "L’élu s’y montre dans l’effort, la conquête des sommets, la prise de distance", explique l’universitaire. Un avis partagé par Pierre Bréchon, professeur à Sciences Po Grenoble : "Le sommet est un symbole de pureté, ce qui est important pour un homme politique souvent perçu comme spécialiste des petites combines."

"Le sommet est un symbole de pureté, ce qui est important pour un homme politique souvent perçu comme spécialiste des petites combines"

Ancrage local

Ce besoin de se mettre en scène au pied d’une montagne obéit également à une volonté d’ancrage local. L’élu en profite pour se montrer chez lui auprès des siens, sur une terre avec laquelle il est lié. Si le point de rendez-vous incarne une tradition séculaire, c’est encore mieux : "La Roche de Solutré est un site préhistorique et incarne les années de résistance de François Mitterrand, le Mont Beuvray est un ancien oppidum gaulois où Vercingétorix a unifié les tribus, le plateau des Glières symbolise la lutte contre le nazisme. En bref, les lieux choisis en plus d’être esthétiquement beaux représentent une certaine idée de la France", analyse Olivier Ihl pour qui la finalité est simple : "Il ne s’agit pas de rencontrer les Français mais d’aller au-delà en faisant corps avec la France dans ce qu’elle possède de plus charnel. Ainsi, l’élu s’inscrit dans la continuité de cette Histoire et montre qu’il n’est pas un homme comme les autres."

Compter ses forces

Mais ce n’est pas uniquement pour le plaisir de randonner dans un lieu cher et pétri d’Histoire que certains responsables de premier plan organisent ce type de rassemblement qui s’avère un bon moyen de compter ses forces et de se placer au centre de sa famille politique. En rassemblant sa famille politique, Laurent Wauquiez cherche à montrer qu’il est un homme d’union. Pour placer ses pions comme figure centrale du PS, quoi de mieux que de réunir un maximum d’élus à ses côtés comme était habitué à le faire Arnaud Montebourg ? 

Très naturellement, l’organisateur de la marche occupe la place centrale. Et un phénomène de cour s’organise peu à peu. Comme le fait remarquer Olivier Ihl, "chaque année les observateurs scrutent qui est là, qui est placé où. Tout est organisé autour du chef qui distribue les sanctions et les gratifications via les positions spatiales occupées."

"Chaque année les observateurs scrutent qui est là, qui est placé où. Tout est organisé autour du chef qui distribue les sanctions et les gratifications via les positions spatiales occupées" 

Que ce soit à la fin août ou à la Pentecôte, ces rituels sont bien souvent organisés en période d’actualité calme. Pas une surprise s’amuse Pierre Bréchon : "Il n’est pas facile de se faire entendre dans un paysage politique très concurrentiel. Si on peut trouver un moyen d’appâter les journalistes, on le fait". Et pour cela, mieux vaut ne pas être avare en petites phrases. Ce qu’a très bien compris Laurent Wauquiez qui en 2015 a annoncé sa candidature à la présidence de la région Auvergne-Rhône-Alpes au mont Mézenc… Arnaud Montebourg a pour sa part transformé sa paisible marche en rassemblement de frondeurs.

De la politique à l’ancienne ?

Bottes de foin, buffet, campagne reculée, amour de la terre, militants souvent âgés… Ces rituels ont-ils encore leur place à l’heure où la nouvelle majorité se targue d’incarner une autre vision de la politique ? Oui, estime Pierre Bréchon qui ne croit pas à la différence entre ancien et nouveau monde : "Gravir une montagne chaque année est un bon moyen de s’incarner dans la durée et de s’ancrer dans un territoire. Ce que cherchent à faire les élus macronistes. Je ne serais pas étonné si plusieurs d’entre eux se laissent chaque année gagner par la fièvre des sommets."

Lucas Jakubowicz

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