L’ÉVÉNEMENT. Décrétée par l’Arabie saoudite et l’ensemble des pays du Golfe il y a quelques semaines, la mise au ban du Qatar sous prétexte de « soutien au terrorisme » peine à convaincre. Retour sur une crise diplomatique et économique plus proche de la guerre d’influence que de la mesure sécuritaire.

Il y a un mois, l’Arabie saoudite – entraînant à sa suite les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Yémen et l’Égypte – déclarait la mise en quarantaine du Qatar. Motif invoqué : le soutien supposé de ce dernier au terrorisme. Une décision aux effets doublement bénéfiques puisqu’elle permettait à la fois d’apporter un gage de solidarité aux gouvernements occidentaux – qui, depuis le 11-Septembre, n’envisagent plus ces régions du globe « qu’à travers le prisme du terrorisme », note Agnès Levallois –tout en recadrant le Qatar, partenaire mais également rival de longue date.

Sanction disciplinaire

Pour la vice-présidente de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée et Moyen-Orient, ces accusations, sans être totalement infondées, demeurent une parade d’autant plus grossière qu’elles émanent d’un pays qui a, lui-même, souvent à y répondre. « On a vu l’Arabie saoudite accorder son soutien à des groupes d’islamistes radicaux considérés comme terroristes par les autorités internationales, rappelle-t-elle, convaincue que ces mesures brutales – la rupture diplomatique s’accompagnant d’un embargo économique – ne sont en réalité que des sanctions disciplinaires ayant pour objectif de « tourner définitivement la page des Printemps arabes ».

« Le Qatar n’a de cesse de vouloir faire entendre sa voix pour prouver sa capacité à exister »

Cet épisode qui, en bouleversant les équilibres régionaux, aura permis au Qatar de multiplier les prises de positions dissidentes, notamment en faveur des Frères musulmans que Doha a toujours ouvertement soutenus alors que les Émirats arabes unis et l’Égypte y voient une menace, tout comme l’Arabie saoudite en voit une dans l’Iran, avec qui le Qatar entretient des relations « normales ». De quoi emmener le pays à cristalliser les mécontentements.

Quête de visibilité

D’autant que, désireux de compenser sa petite taille par une visibilité maximale, celui-ci s’emploie depuis des années à se démarquer du discours et des positions officielles invariablement dictées par l’Arabie saoudite dans un objectif unique : occuper la scène régionale et internationale. « Le Qatar n’a de cesse de vouloir faire entendre sa voix pour prouver sa capacité à exister, explique Agnès Levallois qui souligne que, pour limiter le risque encouru, « il a multiplié les alliances auprès de puissances du monde entier pour se doter d’assurances vie ». Notamment à coups d’investissements lourds dans les économies occidentales qui, au fil des ans, ont permis de rendre le petit état gazier diplomatiquement incontournable. Pour preuve : la Coupe du monde dont il a obtenu l’organisation et qui, en 2022, le placera sous les feux médiatiques planétaires. Un coup de maître qui a sans doute incité les Saoud à siffler la fin de la récré.

Leadership national

« Pour l’Arabie saoudite, tout l’enjeu de cette crise relève d’une question de leadership régional, » résume Agnès Levallois. Et pour s’assurer que celui-ci revient bien à l’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salman, nouveau prince héritier à la tête du pays, n’a visiblement pas l’intention de s’en tenir aux arguments du soft power. « Pour affirmer la prédominance saoudienne sur la région, poursuit-elle, il entend être à la manœuvre. » Et remettre le Qatar à ce qu’il estime être sa place légitime : « celle de satellite de l’Arabie saoudite ». Une rétrogradation que la forte tête du Golfe aura sans doute du mal à accepter, si ce n’est que, le calendrier des constructions prévues pour la Coupe du monde ne pourra être respecté sans levée prochaine de l’embargo. Si celui-ci devait s’éterniser, le pays se verrait contraint de renoncer à accueillir l’événement et, avec lui, sa couverture médiatique. Une perspective suffisante, de l’avis de beaucoup, pour inciter le Qatar à montrer rapidement des signes de cohésion régionale.

Caroline Castets

@CaroCastets1 

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