Jean-Paul Servais (FSMA) : « Nous faisons preuve de créativité ! »
Décideurs. Comment s’organise la répartition des compétences entre votre autorité et le juge judiciaire en matière de poursuite des délits financiers ?
Jean-Paul Servais. La loi belge donne la compétence à l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA) d’imposer des sanctions administratives en cas d’infraction aux dispositions des législations dont elle assure le contrôle. Il s’agit notamment des dispositions légales concernant l’abus de marché, le contrôle des produits financiers et les règles de conduite. Si le comité de direction de la FSMA constate des indices sérieux de l’existence d’une pratique susceptible de donner lieu à une amende administrative, il charge l’auditeur d’instruire le dossier. À l’issue de l’instruction, un rapport est établi par l’auditeur. Ce rapport indique si les faits relevés sont susceptibles de constituer un manquement pouvant donner lieu à l’imposition d’une amende administrative. Sur la base de ce rapport, le comité de direction peut décider de classer le dossier, d’accepter un règlement transactionnel ou de saisir la commission des sanctions de la FSMA. La commission des sanctions de la FSMA est un organe indépendant institué au sein de la FSMA et composé de magistrats et d’autres experts indépendants. Le rapport de l’auditeur indique aussi, le cas échéant, si les faits relevés sont susceptibles de constituer une infraction pénale. Si tel est le cas, le comité de direction transmet le dossier aux autorités judiciaires ainsi que les dossiers de mises en garde pour des offres irrégulières de produits et services financiers.
Décideurs. Les sanctions administratives que vous prononcez ne s’apparentent-elles jamais à des peines pénales ?
J.-P. S. La procédure de sanction administrative est autonome et sans préjudice de sanctions pénales éventuelles, étant entendu qu’une personne ne peut pas être condamnée deux fois pour les mêmes faits. Les procédures de sanction administrative doivent respecter toutes les garanties prévues par la Cour européenne des droits de l’homme et c’est la raison pour laquelle les décisions peuvent faire l’objet d’un recours devant la cour d’appel de Bruxelles.
« La lutte contre les abus de marché se joue plutôt au niveau mondial qu'au niveau européen »
Décideurs. Quelle est la plus forte amende que vous ayez prononcée ?
J.-P. S. La loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers fixe les montants des amendes administratives. La FSMA peut infliger au contrevenant une amende administrative qui ne peut être inférieure à 2 500 euros ni supérieure, pour le même fait, à 2,5 millions d’euros. Si l’infraction a procuré un avantage patrimonial au contrevenant, ce maximum est porté au double du montant de cet avantage et, en cas de récidive, au triple de ce montant. Dans ses décisions, la commission des sanctions de la FSMA a notamment tenu compte de l’importance de l’avantage patrimonial pour fixer le montant de l’amende administrative. Le montant le plus important payé dans le cadre d’une procédure de sanction administrative concernait un règlement transactionnel d’un montant de 8,8 millions d’euros.
Décideurs. L’objectif de prévention de la FSMA est-il important ? Comment évaluez-vous l’efficacité de vos actions de prévention ?
J.-P. S. Depuis sa création en 2011, la FSMA a pris de nombreuses initiatives pour faire évoluer constamment le régime de protection des consommateurs de services financiers. Elle a, par exemple, mis sur pied une équipe d’inspection qui va sur place dans les agences bancaires pour contrôler le respect des règles de conduite. La FSMA a également commencé à utiliser le mystery shopping comme outil de contrôle. Dans le domaine du contrôle des produits financiers, la FSMA a instauré une interdiction de commercialisation de produits structurés trop complexes. Cette initiative a été accueillie très positivement par le FMI, qui a considéré que la FSMA s’est attaquée de façon créative, par le biais d’une approche innovante, au problème de la complexité des produits structurés. En ce qui concerne la lutte contre les abus de marché, la FSMA a investi – notamment en collaboration avec d’autres autorités de contrôle étrangères - dans des outils de contrôle encore plus performants pour détecter des abus potentiels.
« Le montant le plus important payé concernant un règlement transactionnel de 8,80 M€»
Décideurs. Pensez-vous qu’une autorité européenne d’enquête en matière de délits boursiers soit une bonne idée ?
J.-P. S. La lutte contre l’abus de marché s’organise via une collaboration déjà existante et de bonne qualité entre les autorités de contrôle nationales. Ainsi, la FSMA est signataire des accords de collaboration au sein de l’Autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Markets Authority- ESMA) et de l’Organisation internationale des valeurs mobilières (International Organization of Securities Commissions – IOSCO). Grâce à ces accords de collaboration, les autorités de contrôle s’échangent des informations nécessaires dans le cadre des enquêtes d’abus de marché potentiel. La FSMA s’est ainsi déjà vue adresser quarante-deux demandes de coopération par des autorités compétentes étrangères en 2014, contre vingt-neuf en 2013. Il a été donné suite à toutes ces demandes dans un délai moyen de trente-quatre jours. Les devoirs en question portent souvent sur l’identification du bénéficiaire d’une opération. Ces devoirs peuvent également porter sur la collecte d’informations auprès d’un émetteur ou d’un opérateur de services de télécommunication, ou encore sur l’organisation d’auditions de personnes suspectées d’avoir commis un manquement ou de témoins. Par ailleurs, au cours de la même période, la FSMA a adressé quarante-cinq demandes de coopération à des autorités compétentes étrangères, contre trente-deux en 2013. Tenant compte de la globalisation des marchés financiers, la lutte contre les abus de marché se joue plutôt au niveau mondial qu’au niveau européen.