Guerre politique, monétaire, bientôt militaire ? C’est le scénario que craint Yann Galet, Dirigeant fondateur de G Consult Finances. L’effet boule de neige provoqué par la pandémie n’en est qu’à ses débuts, entre hausse des prix et altérations des habitudes de consommation. Décryptage.
Décideurs. Quel état des lieux faites-vous du contexte actuel ?
Yann Galet. Le bloc Chine et Russie est préoccupant. La Chine est en train d’installer une sorte de guichet de compensation sur l’île Maurice, afin que sa devise soit utilisée pour les achats de matières premières en Asie. Cela exclut le dollar et donc la juridiction américaine de l’équation (de leur côté le Brésil et l’Argentine souhaitent lancer une monnaie commune). Historiquement, les valeurs pour exprimer les forces d’une monnaie sont soit l’économie du pays, soit les stocks d’or. Comme ce sont des pays qui n’ont pas encore su rassurer quant à leur capacité économique interne, ils se disent qu’ils vont d’abord asseoir leur devise pour rassurer leurs alliés – les Brica – afin de créer une force économique et ainsi se défaire du système Swift américain au profit d’un outil interne beaucoup plus moderne, pour enfin se défaire du dollar.
Quelles en sont les conséquences ?
Ceci pourrait déclencher une guerre mondiale. Il suffit que la Chine envahisse Taïwan pour que les États-Unis se lâchent. Au milieu, l’Europe, comme un bon soldat, sert les intérêts de tous sauf des siens. Tous les actifs peuvent être dégradés à partir du moment où il y a un impact sur la valeur de la monnaie. C’est pour cela que nous sommes dans une guerre de monnaie clairement établie avec de vraies attaques sur le dollar.
"Au milieu, l’Europe, comme un bon soldat, sert les intérêts de tous sauf les siens"
Ce qui m’inquiète c’est qu’à chaque fois que les États-Unis ont été attaqués sur leur monnaie, ils ont répondu par la guerre : diplomatique, militaire… sans aucune retenue. La pandémie en a été le déclencheur ? Plusieurs points essentiellement depuis 2008 ont entraîné la crise économique actuelle mais la Covid-19 a totalement déstabilisé le marché en donnant de grandes inquiétudes quant aux comportements des consommateurs. L’autre point est la chaîne logistique qui a dû être redémarrée après cette période. De plus, d’autres facteurs viennent s’ajouter, comme l’immobilier et la baisse importante des demandes de permis de construire il y a un an et demi. Cela va impacter l’offre, laquelle va être également touchée par la hausse des prix des matières premières. Tout cela a entraîné des déstabilisations très fortes à tous les niveaux, notamment sur la dévaluation monétaire.
Comment réagissent les clients face à cette situation économique ?
En apparence, le contexte économique actuel n’est pas inquiétant, les clients n’expriment pas d’inquiétudes démesurées à ce sujet. Seulement, nous sommes face à un endettement grandissant qui devra tôt ou tard être payé, mais c’est une chimère, jamais l’Europe ne sera capable de la rembourser. En revanche, de nombreux clients viennent chercher quelques réponses à des questions dites de sécurité en investissant sur l’or par exemple, afin de garder leur capacité à protéger leur capital sur une vision de court à moyen terme.
Quels sont les produits à privilégier dans ce contexte ?
Le fonds euro reste dans l’esprit des Français une garantie de l’État. Seulement, cet argent n’est plus disponible si un grand nombre d’épargnants le demandent en même temps. Les produits structurés sont intéressants dans une optique de garantie du capital selon le sous-jacent, cependant, il y a des phases pendant lesquelles il est plus intéressant de se positionner sur les actions directement car la performance sera plus importante sur du moyen terme.
La finance responsable est un placement qui séduit vos clients ?
Les stratégies vertes partent d’une idée intéressante et même indispensable, cependant ce n’est pas à la finance d’être responsable, mais aux citoyens. C’est très bien de flécher les investissements vers des solutions plus vertes, mais le changement aura de l’impact lorsque les solutions proposées par les entreprises, comme la recherche et le développement autour du recyclage, inciteront les consommateurs à être clients de ces sociétés. Le véritable relai est de créer des business models rentables dans un écosystème écologique par des entreprises pionnières qui nécessitent des capitaux. Si nous ne réagissons pas, nous ne pourrons plus vivre dans dix ans comme nous le faisons aujourd’hui.
Pouvez-vous nous parler de vos convictions sur ce sujet ?
Je ne favorise pas l’ESG car c’est déjà ancré dans mon quotidien, par des petites actions qui, collectivement, auront un effet réel. La mission demandée aux gérants est de générer un retour sur investissement. À moins qu’un nouveau modèle économique soit mis en place, fléché sur l’écologie, l’épargnant ne fera pas plus fructifier son capital sur des placements répondant aux critères ESG que sur de l’action Total, par exemple.
Côté produit, 2023 s’annonce comme l’année de l’obligataire…
Le marché obligataire est une opportunité en ce moment. Nous avons décidé d’y aller par petites touches régulières pour revenir progressivement sur ces investissements, délaissés depuis deux ans et demi.
Comment capter de la valeur en 2023 ?
Nous souhaitons développer notre réseau d’experts à Singapour car nous pensons que c’est un territoire qui permet de capter de la valeur sur la zone de la grande Asie. L’Europe va devenir un champ de bataille pris entre deux feux : les Américains et les Brica. Si nous souhaitons capter de la valeur, il va falloir jouer selon la nouvelle redistribution des cartes, rattrapée par ceux qui vont fabriquer des matières premières et de l’énergie.
"Nous souhaitons développer notre réseau d’experts à Singapour car nous pensons que c’est un territoire qui permet de capter de la valeur sur la zone de la grande Asie"
Nous avons actuellement cinq ans de retard sur l’avancée technologique par rapport à la Chine. C’est par exemple le cas en matière d’énergie atomique par fusion nucléaire alors que nous étions les leaders mondiaux il y a dix ans. Nous nous devons, pour nos clients, d’aller là où les marchés sont les plus attractifs. La France est encore très bien positionnée sur les valeurs du luxe avec de belles opportunités, cependant, les seules raisons qui maintiennent les cours de Bourse sont le fait que les investisseurs continuent d’acheter et que les banques centrales continuent de prêter pour l’instant. Nous surveillons le frein du crédit, qui sera alors le début d’un éventuel krach immobilier voire même boursier. Nous vivrons alors peut-être un changement de monnaie, numérique cette fois ?...
Comment définissez-vous votre rôle au coeur de cette situation ?
La finance est le sang de l’économie, les médecins du corps financiers – CGP, banquiers privés, MFO…, doivent comprendre et anticiper les fluctuations de marchés et ses effets néfastes. Il n’y a malheureusement pas de solutions complètes, le mieux que nous puissions faire est de diversifier les allocations. Le métier de family officer est de mieux en mieux reconnu en France… Il y a une montée du métier depuis maintenant dix ans. J’ai été l’un des premiers conseillers en gestion de patrimoine à utiliser ce terme pour la pratique que j’utilisais dans mon métier. Les changements du métier concernent selon moi les single family offices et multi FO qui conseillent des familles à partir d’un ticket d’entrée de 30 millions d’euros. Ces métiers-là évoluent et prennent la forme de majordome des familles. C’est un mixte entre finance et coaching, la protection des secrets de la famille au centre. Nous avons tout intérêt à avoir la capacité à protéger tout cela. Finalement, notre métier consiste à donner aux clients les moyens de ne plus dépendre de nous. Il est très important de savoir quoi faire des données pour que ce qui a été vécu trois générations plus tôt soit explicable aux petits-enfants qui souhaitent faire perdurer les valeurs et affaires familiales. En ce sens, j’ai créé un logiciel, "Séve", qui compile et sauvegarde la totalité des données concernant les familles clientes en toute sécurité.