C’est un fait, les petites et moyennes capitalisations ont souffert en 2022. Quelles en sont les causes ? Comment gérer un portefeuille et les allocations dans ces conditions ? Et comment une entreprise du segment telle qu’Elis a-t-elle traversé la période ? Éléments de réponse avec Diane Bruno, gérante du fonds ELEVA Leaders Small & Mid Cap Europe, Louis Guyot, CFO d’Elis, et Pierre Bermond, président d’EOS Allocations.

Décideurs. Comment le segment des small et mid caps s’est-il comporté cette année ?

Diane Bruno. Le contexte est difficile, avec une sous-performance historique du Stoxx Europe Small 200, en baisse de 25 %, par rapport au Stoxx Europe 600 qui baisse de 11,50 %. Depuis les années 2000, lorsque les small & mid caps sous-performaient, l’écart était limité à 5-6 %, même lors de la crise financière de 2008.

Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. Tout d’abord, depuis 15 ou 20 ans, les petites et moyennes capitalisations ont tendance à sous-performer quand on craint une récession ou lorsque que celle-ci est actée. À l’inverse, elles sont procycliques dans les reprises. La crise du Covid a finalement été très courte avec un fort rebond des small caps lors de la réouverture. Depuis mi-2021, les small et mid ont commencé à sous-performer anticipant le pic du cycle. La guerre en Ukraine a amplifié l’aspect récessif.

"Le profil d’endettement des small & mid caps s’est fortement amélioré"

En revanche, contrairement aux crises financières de 2008 et 2011, le profil d’endettement des small & mid caps s’est fortement amélioré et est aujourd’hui assez similaire à celui des grandes capitalisations. Cela rend l’aspect "taux" moins important que ce que l’on pourrait penser. Dans un contexte inflationniste, les sociétés et les gérants sont à la merci des actions des banques centrales, qui semblent elles-mêmes être dans le flou. Cela crée de l’incertitude, aux dépens des small & mid car dans ces conditions les flux s’orientent davantage vers les grandes capitalisations.

Enfin, la composition des indices influence les performances. Les secteurs sur-représentés tels que la santé, l’industrie et la technologie, souffrent en ce moment pour des raisons diverses.

Pierre Bermond. C’est l’une des classes d’actifs qui ont le plus baissé dans les portefeuilles. Nous n’en avions cependant pas beaucoup dans les allocations. En revanche, le segment fait partie des classes d’actifs que nous réétudions pour le prochain mouvement. De manière globale, nous sommes positionnés de façon défensive. La prochaine étape ne sera donc pas de sécuriser les portefeuilles – ils le sont déjà – mais plutôt de les réexposer. Nous regardons ainsi les classes d’actifs dynamiques ou "risqués". Dans ce cadre-là, les petites capitalisations sont intéressantes mais il est peut-être encore trop tôt pour les réintégrer.

Comment l’activité d’Elis s’est-elle comportée ces derniers temps ?

Louis Guyot. Notre activité dépend principalement de celle de nos clients. Étant assez symétrique en facturation, cela fait de nous un très bon thermomètre de l’économie. Notre chiffre d’affaires est composé d’un quart d’hôtels et restauration, un quart d’industrie mais nous sommes plus présents dans des secteurs résilients que sont la pharmacie, l’agroalimentaire et les services, un quart dans la santé, essentiellement des hôpitaux, puis un quart en commerce et services qui incluent les grands réseaux de retail, catering et cleaning.

Le secteur le plus cyclique est l’hôtellerie. En avril 2020 nous perdions 90 % de l’activité hôtelière. En général, pour le secteur industriel, cela ne bouge pas, c’est même parfois contracyclique avec l’industrie pharmaceutique qui peut accélérer en temps de crise, là où la santé est relativement stable. De même, l’activité commerce et services se porte globalement bien dans les périodes de crise.

"La frénésie de consommation que l’on constate depuis la sortie du confinement se maintient"

Dans les faits, aujourd’hui, nous n’observons rien de particulier. La frénésie de consommation que l’on constate depuis la sortie du confinement se maintient, les hôtels sont à leur niveau pré-covid si ce n’est plus, alors même que les Asiatiques ne sont plus là. Lorsque l’on tend l’oreille, les indicateurs avancés se trouvent dans les médias qui réduisent leur budget publicité, et dans le retail où le panier reste le même qu’auparavant à ceci près que les consommateurs choisissent des produits moins chers.

Quelle est votre approche d'investissement ?

D. B. Nous sommes stock-pickers mais nous considérons que très peu de sociétés sont immunes de l’environnement macroéconomique : notre sélection est donc influencée par le contexte économique.

Le fonds est donc réparti entre deux grandes poches. Au moins 55 % du fonds est positionné sur des thématiques de long terme qui nous permettent de traverser les cycles.  L’autre partie permet d’aller chercher des sociétés bénéficiant de mini-cycle de croissance plus conjoncturel : nous allons donc chercher la croissance là où elle se trouve !

Quel est l’impact de l'environnement macro et de la hausse des taux sur les smids ?

P. B. Les sociétés les plus "croissance" sont les plus touchées, et ce quelle que soit la capitalisation. La hausse des taux a entraîné une baisse de marché qui s’est transformée en bear market. Dans ces conditions de marché, les petites capitalisations, étant par définition plus risquées que les grandes, avec en plus une problématique de liquidité, ont plus souffert.

…et sur l’activité d’Elis ?

L. G. Nous avons vu arriver une détérioration des conditions financières, mais qui ne s’est pas matérialisée immédiatement dans les taux. Entre 2018 et 2021, nous étions très actifs pour reprogrammer la dette et l’allonger jusqu’en 2032, à taux fixe sur le marché obligataire. Nous avons donc le temps pour nous refinancer et n’avons pas à nous précipiter dans des mauvaises fenêtres.

Pourquoi revenir sur les small caps ?

P. B. C’est l’un des segment les plus sous-valorisé du marché aujourd’hui, ce qui n’est pas le cas des grandes capitalisations. Certes, le pan value de la cote est en dessous de sa moyenne historique, mais ce n’est pas si attractif que cela. En revanche sur les petites capitalisations, la cote est relativement peu chère par rapport à leur historique, et par rapport aux big caps. D’autre part, les moments de reprise sont ceux où les small surperforment le plus.

Quelles sont les spécificités du fonds ELEVA Leaders Small & Mid Cap Europe ?

D. B. Notre parti pris est de réduire de manière drastique l’univers de départ pour ne garder que les leaders, à savoir les sociétés ayant une de ces trois caractéristiques : une absence de concurrent coté en Europe, une part de marché mondiale de plus de 20 %, une spécificité géographique ou un business model distinctif. D’autre part, nous utilisons l’ELEVA Capital Index, un indicateur macroéconomique propriétaire développé par Éric Bendahan, permettant de positionner au mieux le fonds selon les cycles.

Quels sont vos critères de sélection de fonds dans vos portefeuilles ?

P. B. Sur les actions européennes, nous regardons d’abord la taille de capitalisation et le style de gestion – croissance ou value – qui sont deux éléments typiquement Fama-French. Nous étudions ensuite le taux de rotation du portefeuille, les frais, la concentration, l’expérience et la stabilité de l’équipe de gestion, ou encore la méthode, c’est-à-dire l’originalité et l’innovation. Par exemple, l’ELEVA Capital Index est un outil intéressant afin d’ajuster le positionnement des fonds entre value-croissance et cyclique-défensif par rapport à leur lecture top-down.

Comment les critères ESG sont-ils intégrés dans votre fonds ?

D. B. Nous implémentons dans un premier temps des exclusions, le fonds étant labellisé ISR et Article 8 SFDR. Puis, grâce à la matrice propriétaire développée par l’équipe Impact, nous sélectionnons les sociétés afin que le fonds ait à tout moment une note ESG supérieure à la moyenne des 80 % meilleures notes de l’univers. Cette notation s’accompagne d’un engagement avec la société sur les axes d’amélioration ESG. La méthodologie nous permet de renforcer notre connaissance de la société et ainsi de mieux gérer certains risques non couverts par une analyse financière traditionnelle.

Vous l’avez fait pour Elis…

Exactement, en les interpellant notamment sur l’impact environnemental de leurs produits et services, les problématiques d’absentéisme et la diversité de nationalités au niveau du conseil d’administration.

Quelle relation avez-vous avec des investisseurs comme ELEVA Capital ?

L. G. Comme toute société cotée, nous avons un dialogue actif avec eux, à la fois des investisseurs actionnaires chez Elis, et des prospects à qui il faut donner envie de se positionner. Les maisons d’analystes suivant le titre Elis font également de l’évangélisation afin de faire connaître le dossier. Nous rencontrons les investisseurs régulièrement lors de roadshows ou de conf-calls.

Comment gérez-vous les demandes d’améliorations particulières des investisseurs ?

L. G. Ce sont les propriétaires de l’entreprise, leurs demandes sont donc tout à fait légitimes. C’est un processus démocratique. Quand un point de vue est partagé par une majorité de la base actionnariale, nous en tenons compte et le rapportons au conseil de surveillance, au sein duquel les deux plus gros actionnaires sont représentés et jouent un rôle actif dans la gouvernance. Cela va permettre le cas échéant, et si nous sommes en accord avec les recommandations, d’affiner la stratégie d’entreprise.

"Il faut savoir garder un certain recul et une vision long terme"

Forcément, le poids de l’actionnaire compte. Néanmoins, il faut savoir garder un certain recul et une vision long terme. Des asset managers peuvent aller et venir sur le dossier Elis afin de réaliser des plus-values court-terme. D’autres peuvent également changer d’avis en très peu de temps en fonction des conditions de marché.

Avez-vous déjà eu des investisseurs "activistes" ?

L. G. Nous n’en avons pas tout simplement car il n’y a pas d’angles d’attaque sur Elis, nous sommes un pure player, la stratégie est lisse. Il y a dix ans, il existait des fonds activistes agressifs, mais finalement, avoir un dialogue avec l’entreprise cible et lui suggérer des points améliorations est une pratique saine. Aujourd’hui cela se fait toujours pour réorienter la stratégie d’entreprise, mais de façon bienveillante et moins radicale.

Qu'est-ce qui est attrayant pour ELEVA Capital dans une entreprise comme Elis ?

D. B. Elis correspond tout d’abord à notre critère de leadership puisque c’est la seule société mondiale de blanchisserie industrielle cotée en Europe. Ensuite, elle appuie sa croissance sur plusieurs piliers : le cycle, l’internationalisation, l’innovation et la consolidation du marché grâce à ses acquisitions. Enfin, Elis tire son épingle du jeu en matière ESG par sa capacité à traiter les sujets environnementaux et sociaux.

L. G. Notre business model est très vertueux car nous favorisons l’économie circulaire, qui constitue l’ADN d’Elis. Par ailleurs, tous nos process sont orientés vers de l’efficacité financière et environnementale, notamment en matière d’économie d’énergie, d’eau et de linge durable.

"Notre travail en tant que gérant est de trouver des entreprises dont le bénéfice net par action est en croissance"

D. B. Sur le plan financier, notre travail en tant que gérant est de trouver des entreprises dont le bénéfice net par action est en croissance. C’est le cas d’Elis, dont la croissance bénéficiaire n’est pas, selon nous, encore bien reflétée dans le cours de Bourse. C’est également une activité avec un aspect contracyclique, les volumes en cas de crise financière ayant tendance à bien résister. S’ils venaient à baisser, Elis limiterait ses achats de linge et son free cash-flow s’améliorerait grandement.

L. G. En cas de ralentissement d’activité effectivement, deux effets adviennent : le CA peut se tasser, qui est plus que compensé par la diminution du Capex linge, un gros amortisseur immédiat. L’autre amortisseur est le compte client puisque les clients nous paient à deux mois, et lorsqu’une chute d’activité survient, nous continuons de percevoir des recettes. C’est typiquement ce qui s’est passé durant le Covid.

Elis vient de faire une acquisition au Mexique, quelle est votre stratégie ?

L. G. Un de nos piliers stratégiques est de consolider nos positions sur nos marchés nationaux tels qu’en France, en Suède, au Danemark et au Brésil. Un autre consiste à pénétrer occasionnellement un nouveau pays en visant la position de leader, soit immédiatement comme nous l’avons fait au Mexique, soit en la construisant, ce qui a été le cas au Brésil. Au Mexique, Elis a fait l’acquisition d’un groupe privé centenaire, acteur leader sur le marché mexicain. L’activité est en forte croissance organique, portée par un marché mexicain en développement accéléré, et le groupe devrait générer une croissance organique annuelle proche de 10 % dans les prochaines années.

 

Propos recueillis par Marc Munier

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