G. Sentilhes (Nextstage AM) : "Permettre aux Français de mettre au travail efficacement leur épargne"
Décideurs. Dans un environnement économique difficile, de nombreuses PME et ETI doivent renforcer leurs fonds propres pour maintenir leur capacité d’investissement et d’innovation. Les solutions mises en place par les pouvoirs publics depuis le début de la crise sontelles à votre sens suffisantes ?
Grégoire Sentilhes. Pour notre pays, renforcer les fonds propres de nos entreprises est un enjeu crucial. Et la crise n’a fait qu’accentuer ce problème. Lors du premier confinement, l’État a réagi très vite en mettant en place le Prêt garanti par l'État (PGE) pour répondre aux problèmes de trésorerie à court terme. Mais sur le long terme ces dispositions ne régleront pas la question. Ce n’est d’ailleurs pas à l’État d’y répondre en premier lieu. La priorité doit être de diriger l’épargne financière des Français qui est considérable (près de 2 500 Mds € entre l’assurance-vie en euros, le livret A et le PEL), vers l’investissement dans les fonds propres des entreprises. La part de l’épargne des Français allant vers l’économie réelle est encore très insuffisante. Votée en 2019, la loi Pacte s’est fixée cet objectif.
Aujourd’hui, l’épargne monétaire et financière des Français offre une rémunération à peine supérieure à zéro. Les sommes considérables placées sur des livrets réglementés, dans les assurances-vie ou les contrats d’épargne retraite ne rapportent quasiment plus rien. Cette épargne offre une manoeuvre considérable pour soutenir nos entreprises et, par ricochet, permettre aux Français de mettre au travail plus efficacement et de manière plus productive, leur épargne.
"La priorité doit être de diriger l’épargne financière des Français vers l’investissement dans les fonds propres des entreprises"
Quels rôles doivent tenir les acteurs du monde de la « finance » dans cet environnement ?
Un effort de pédagogie doit être réalisé sur toute la chaîne de valeur : des épargnants aux conseillers en gestion de patrimoine, aux agents d’assurance, et conseillers bancaires, en passant par les institutionnels. L’épargne des Français est en train de basculer vers un système permettant d’investir au capital des entreprises et ainsi alimenter leurs fonds propres, à l’image des dispositifs mis en place dans tous les autres grands pays occidentaux. C’est un élément essentiel pour sortir le plus rapidement possible de la crise. L’enjeu est de mobiliser une part significative des 2 500 milliards placés en produits de taux fort peu rémunérateurs.
C’est ce vivier qui peut favoriser l’émergence de champions nationaux dans le secteur de la tech, de la santé intelligente, ou de l’innovation environnementale. Ce basculement pourra notamment se faire par l’intermédiaire du nouveau plan d’épargne retraite (PER) ou par l’assurance-vie. Sur ces contrats, les assureurs font un travail important pour proposer une diversité de placements plus importante, ouvrant ainsi la voie à des investissements sur des fonds de capital-investissement.
Vous avez récemment affirmé que la crise catalysait l’émergence d’une révolution industrielle, non seulement digitale, mais aussi dans l’innovation environnementale et la santé intelligente. Comment se matérialise cette stratégie d’investissement ?
Certains exemples d’investissement traduisent nos convictions. Nous sommes notamment actionnaires de Coorpacademy, une société participant à la révolution de la Edtech, c'est- à-dire des Mooc (Massive Open Online Courses) et proposant une plateforme de formation en ligne à destination des entreprises et de leurs collaborateurs. 2020 a été pour eux une très belle année, avec une belle rentabilité et des perspectives de croissance toujours aussi importantes. Autre entreprise dans nos portefeuilles : Attestation légale, aussi connu pour sa solution « Once for all ».
Cette entreprise propose une plateforme de mutualisation de documents BtoB en mode SaaS offrant l’opportunité à chaque entreprise de mettre en ligne « une fois pour tous » son dossier administratif unique. Un service qui favorise la digitalisation des appels d’offres, notamment dans le BTP.
Dans le domaine de la santé intelligente, nous accompagnons Yseop dans son développement. Spécialisée dans l’intelligence artificielle, la société est l’une des pionnières dans la technologie de génération de texte en langage naturel. Son offre intéresse notamment de grands laboratoires pharmaceutiques car elle leur permet de diviser par deux la vitesse de mise sur le marché des médicaments.
Enfin, sur le thème de la performance environnementale, nous avions investi dans Soleo il y a quatre ans, une entreprise participantà la dépollution et proposant des solutions de traitement des sols et des eaux souterraines, qui a doublé sa taille pour donner naissance avec Ortec au leader français.
"Nous nous montrons très sélectifs dans nos décisions d’investissement, en particulier dans les périodes d’euphories dont il faut savoir se méfier"
Quel regard portez-vous sur le Label Relance lancé par le gouvernement en 2020 ? Ce Label doit-il être amélioré ?
Ce label est un succès. Lancé au mois d’octobre, celui-ci a déjà dépassé les 10 milliards d’euros d’encours. Cette dynamique démontre qu’il y a une réelle demande des investisseurs institutionnels comme des épargnants pour des thèmes d’investissement citoyens soutenant la relance économique.
Nous avons d’ailleurs toutes les raisons de penser que cette tendance va encore s’amplifier. Je trouve à ce titre pertinente l’idée du gouvernement de mettre en place un système qui permet aux grands institutionnels de réaliser un reporting sur la part des sommes investies allant vers l’économie réelle et les fonds propres des entreprises.
Votre fonds de capital-investissement FPCI NextStage Championnes III a été labellisé « Relance ». Celui-ci est positionné sur des PME innovantes et de croissance en France. Comment sont sélectionnées ces entreprises ?
Nous pouvons nous appuyer sur un deals flow important. Nos équipes reçoivent plus de 400 opportunités d’investissement par an. Ces dossiers peuvent venir de plusieurs sources. D’une part, être envoyés par les acteurs de l’écosystème (CGP, notaires, avocats, experts-comptables) avec qui Nextstage collabore depuis une vingtaine d’années.
D’autre part, les recommandations apportées par les nombreux entrepreneurs que nous avons accompagnés depuis notre création en 2002. Enfin, nous nous appuyons sur une équipe d’investisseurs aguerris qui réalisent un grand travail de sourcing. Nous nous montrons toutefois très sélectifs dans nos décisions d’investissement, en particulier dans les périodes d’euphories dont il faut savoir se méfier. Nextstage ne concrétise en effet à peine cinq à dix dossiers chaque année. La crise a favorisé l’essor de l’analyse extra- financière et l’application des critères ESG (environnemental, social et de gouvernance) dans le choix des entreprises dans lesquelles les fonds sont investis.
"Un épargnant se constitue une allocation d’actifs en fonction de son horizon de temps, et non plus un profil de risques"
Est-ce une grille de lecture qui peut donner envie aux investisseurs privés de se positionner de manière plus importante dans les fonds propres des entreprises ?
Les épargnants aspirent à donner du sens à leurs investissements, notamment les plus jeunes générations. Nous percevons depuis bien longtemps cette sensibilité. Dès 2009, nous avons travaillé sur ces enjeux. NextStage AM s’est notamment engagé en étant signataire des Principes pour l’investissement responsable (PRI) parrainés par l’ONU en 2012. Nous avions par exemple investi dans GreenFlex en 2014 qui s’est imposé comme un des leaders de la performance environnementale. Nous avons été également parmi les premiers acteurs à signer la Charte Sista en octobre 2019, afin de favoriser la mixité dans le numérique et d’accélérer le financement des projets menés par les femmes entrepreneures. Un travail d’éducation sur toute la chaîne de valeur ajoutée de l’épargne doit également s’opérer avec l’émergence du financial planning.
Dans ce cadre, un épargnant se constitue une allocation d’actifs en fonction de son horizon de temps, et non plus un profil de risques. C’est une vraie évolution du devoir de conseil. Suivant cette logique, on ne vend plus un produit mais un service par rapport à ce nouvel objectif.
L’assurance-vie a connu une année 2020 difficile, avec une décollecte importante. Doit-elle aujourd’hui se réinventer ?
Oui. Il faut que cette épargne puisse être plus utile qu’elle ne l’est actuellement. L’assurance- vie doit s’inspirer de l’épargne retraite pour être dans une logique d’horizon de temps. Cela permettrait aux assureurs de se concentrer sur la plus-value générée pour les clients et de créer un cercle vertueux intéressant.
En France, seul 1 % de l’allocation d’actifs des épargnants est dirigé vers le capital-investissement. Ce chiffre est supérieur à 15 % aux États-Unis ! C’est un chemin sur lequel il convient d’avancer. C’est clé pour l’épargne des Français comme pour la performance de notre économie, si nous voulons savoir faire émerger les champions du XXIe siècle, et ne pas les laisser émerger aux USA ou en Chine seulement…