S. de Lassus (Charles Russell Speechlys) :"Le pacte Dutreil n’est pas toujours adapté aux besoins des serial entrepreneurs"
Décideurs. La transmission d’entreprise est au cœur du débat depuis quelques années. L’environnement économique, juridique et fiscal est-il favorable aux cédants ?
Stéphane de Lassus. La réponse est forcément partagée. La génération du BabyBoom arrive à la retraite. Plusieurs solutions s’offrent à eux pour transmettre leur outil de travail. D’une part, céder à titre onéreux leur entreprise. D’autre part, arrêter définitivement leur activité sans chercher de repreneurs – un chemin qui concerne principalement les petits commerçants, et, enfin, transmettre à un repreneur, dans un cadre familial ou non.
Les premières mesures prises par Emmanuel Macron à son arrivée à la présidence de la République ont apporté une nette amélioration à l’environnement juridique et fiscal. La « flat tax » qui concrétise à un taux unique de 30 % – jusqu’à 34 % en prenant en compte la contribution sur les hauts revenus – va dans le bon sens pour les entrepreneurs. Il en est de même pour le dispositif de l’apport cession, très apprécié des cédants. Au-delà de ces outils, le contexte économique est aussi plus favorable. Les fonds d’investissement ont levé énormément d’argent ces dernières années. Avant l’arrivée de la Covid-19, tous les clignotants étaient donc au vert.
Quels sont les écueils à éviter pour les cédants ? À quels risques s’exposent-ils en ne planifiant pas cette transmission ?
L’anticipation est la clé. Ces décisions doivent venir du chef d’entreprise luimême. C’est aussi un équilibre à trouver. Il convient de ne pas se noyer dans un océan de démarches et de considérations. C’est pourquoi je préconise de choisir un scénario principal, autrement dit un mode de transmission privilégié, et une voie de secours, un plan B. S’entourer de trop nombreux conseils ne me semble pas non plus opportun.
"Des entrepreneurs ont profité de valorisations moins élevées pour anticiper la transmission de tout ou partie de leur société à leurs héritiers"
Le travail de préparation est-il très différent selon que la transmission concerne une start-up, une PME familiale ou un groupe d’une taille plus importante ? Quels conseils donneriez-vous aux différentes catégories ?
Bien sûr ! Il y a des éléments identiques mais on ne s’entoure pas des mêmes personnes. On ne réfléchit pas de la même façon. Il y a des prérequis qui sont les mêmes pour tout le monde, d’où l’importance d’avoir une stratégie claire. Les chefs d’entreprise ont développé une véritable culture de la prise de décision opérationnelle et stratégique.
Lorsqu’il s’agit de transmettre leur outil de travail, on constate qu’ils perdent parfois de vue cette faculté. Il sera à ce titre très intéressant de voir quel sera l’impact de « la féminisation des business ». L’univers entrepreneurial a longtemps été quasi exclusivement masculin. Les choses sont en train de changer et heureusement l'entreprenariat se féminise de plus en plus. Ces dernières ont créé de nombreuses start-up ces dernières années et seront donc amenées à les transmettre dans la décennie qui vient.
La question de la valorisation d’une entreprise est aussi très importante. La coronacrise a-t-elle modifié la donne en la matière ?
Ce sont toujours les critères traditionnels qui prédominent, avec notamment celui des multiples d’Ebitda. Mais toute crise est source d’opportunités. Celle-ci n’échappe pas à la règle. Il y a en effet ce que l’on pourrait appeler « des effets d’aubaine » en matière de transmission, notamment dans le cadre de donations. Des entrepreneurs ont profité de valorisations moins élevées pour anticiper la transmission de tout ou partie de leur société à leurs héritiers. Principal avantage : la valeur de l’entreprise étant moins élevée qu’il y a quelques mois, la base taxable est moins importante et elle peut parfois être cumulée avec un engagement Dutreil alors extrêmement réduite.
Quel bilan peut-on faire des mesures prises dans le cadre de la loi Pacte visant à moderniser la transmission d’entreprise et qui assouplit notamment le dispositif du pacte Dutreil ?
Depuis quelques années, le législateur souhaite proposer un environnement juridique plus accommodant pour le chef d’entreprise. Le pacte Dutreil a donc été assoupli, notamment dans le cadre de chaînes de participations. Tout ceci va dans le bon sens.
"J’aimerais que le législateur offre un peu plus de sécurité aux entrepreneurs sur la question de la valorisation"
Quels outils souhaiteriez-vous voir créer ou améliorer ?
Un certain nombre de régimes individuels ou collectifs sont déjà favorables à l’entreprise. J’aimerais cependant offrir un peu plus de sécurité aux entrepreneurs sur la question de la valorisation. Je pense que des progrès pourrait être faits en matière de ruling, c’est-à-dire sur les accords qu'un contribuable ou une entreprise concluent avec l'administration fiscale dans le but d’établir les modalités de leur imposition. C’est peut-être le bon moment pour mettre en place des « rulings transactions ».
Le chef d’entreprise pourrait alors exposer son projet avec des professionnels du droit et du chiffre et instaurer le dialogue avec l’administration. En parallèle, je propose la création d’un poste de médiateur de la transmission d’entreprise afin de faciliter les échanges avec l’administration fiscale. Les mentalités sont en train de changer. Les différentes parties prenantes doivent pouvoir échanger en amont avec l’administration fiscale. La procédure du rescrit est malheureusement trop encadrée pour cela.
En parallèle, les contribuables doivent aussi jouer le jeu en ne faisant pas de montages trop agressifs et proposer des valorisations cohérentes.
Le pacte Dutreil est un outil de transmission d’entreprise très apprécié des praticiens du droit. Quel regard portez-vous sur ce dispositif ? Doit-il être manié avec précaution ?
Le pacte Dutreil est un outil très performant pour les entreprises familiales. Mais il n’est pas toujours adapté aux besoins des serial entrepreneurs ou des start-uppers. Pour cette catégorie
d’entrepreneurs, l’obligation de conservation des titres sur une durée conséquente est alors un frein souvent rédhibitoire à son utilisation. Le capital de ces entreprises peut être amené à évoluer en effet très rapidement. Des changements d’actionnaires sont fréquents. Ces entrepreneurs n’hésitent pas non plus à monétiser leur participation pour financer une nouvelle aventure entrepreneuriale ou investir dans d’autres structures.
Un nouveau « Dutreil start-up » à échéances plus courtes mais réinvestissements obligatoires pourrait être inventé !
"Je propose la création d’un poste de médiateur de la transmission d’entreprise afin de faciliter les échanges avec l’administration fiscale"
La nouvelle génération d’entrepreneurs est également très impliquée sur les sujets de philanthropie. La période de cession ou de transmission leur permet souvent de passer à l’acte. Quel montage préconisez-vous ?
Effectivement. Si le cédant pense qu’il vaut mieux conserver la société car son potentiel de développement est intact ou que les valeurs des titres vont continuer à croître, il peut faire le choix de créer un fonds de dotation et d’y apporter les titres de sa structure. Si tout se passe bien, l’outil caritatif va s’enrichir. Dans ce cas, l’entrepreneur est aussi l’actionnaire d’un fonds qui n’est pas liquide, qui ne génère pas de dividendes. Si un jour l’entreprise est vendue ou qu’elle génère des dividendes, le fonds de dotation profitera d’un effet de levier conséquent et pourra œuvrer pour les causes caritatives qui tiennent à cœur à l’entrepreneur.
La France propose un cadre fiscal favorable aux entrepreneurs qui souhaitent réinvestir les fruits de la cession de leur entreprise, à travers notamment le mécanisme de l’apport-cession. Quelles sont les contraintes pesant sur les réinvestissements ? Les avantages du dispositif ?
C’est un dispositif qui s’adapte parfaitement aux entrepreneurs qui veulent prendre des risques sur une partie des fruits de leurs cessions. Il convient alors d’apporter une partie de ces titres à une holding personnelle. Celle-ci doit ensuite les céder. Elle dispose alors de deux ans pour réinvestir au moins 60 % des sommes générées par la vente. La plus- value est, quant à elle, alors gelée au niveau de la holding. Je recommande aux cédants de bien étudier leurs différents projets entrepreneuriaux en amont. Vingt-quatre mois pour réinvestir, c’est à la fois très long mais aussi très court.
Investir via des fonds d’investissement est aujourd’hui possible mais n’est pas toujours conseillé eu égard au nombre limité de fonds éligibles actuellement sur le marché et qui ne sont pas forcément les meilleurs produits disponibles. Les investisseurs doivent aussi se montrer vigilants sur l’éligibilité ou non des projets au dispositif de l’apport-cession.
Propos recueillis par Rodolphe Clargé et Aurélien Florin