Thierry Bosly est le responsable de la pratique "family offices" de White & Case et des opérations belge et luxembourgeoise. Il détaille les changements intervenus dans le paysage de l'investissement et donne son point de vue sur l'état actuel du marché.

Décideurs. Quels ont été les principaux changements qui ont eu lieu dans les fusions et acquisitions ces dernières années ?

Thierry Bosly. Sur ce marché, tant au niveau local que mondial, il y a eu des développements contradictoires. D'un côté, il reste encore une quantité importante de poudre sèche à distribuer (plus que jamais, en fait, qu’auparavant), associée à des taux d'intérêt très bas et à d'autres conditions favorables telles que les États-Unis qui envisagent l'émission d'obligations à cent ans. Il y a donc un excédent de capital à allouer et une absence de rémunération sur les dépôts bancaires, qui, lorsqu'ils sont combinés, sont des facteurs favorables à une augmentation des activités des fusions et acquisitions.

D'autre part, on ne peut pas simplement ignorer l'état actuel du monde, avec son conflit géopolitique et sa guerre commerciale importante, notamment entre les États-Unis et la Chine, les tensions entre les États-Unis et le Mexique, l'instabilité au Moyen-Orient, le Brexit, la montée du populisme en Europe… Ces éléments dressent un sombre tableau. Je suis prudemment optimiste en ce qui concerne les fusions et acquisitions, il y a des signes positifs, mais aussi des zones d'incertitude et s'il y a une chose qui effraie le monde des affaires, c'est bien l'incertitude.

"Je suis prudemment optimiste en ce qui concerne les fusions et acquisitions"

Néanmoins, le marché est actuellement assez actif, mais les inquiétudes s'accumulent, en particulier pour ceux qui sont impliqués dans des investissements stratégiques. Cette pression est moins présente dans l'industrie du capital-investissement. Comme toujours, il y a des exceptions à la règle, tel que le secteur de la biotechnologie, qui connaît actuellement un essor remarquable. Les fusions et acquisitions dans ce secteur sont très actives et je ne prévois pas que cela change de sitôt. La croissance exceptionnelle à laquelle nous assistons dans ce secteur s'explique par l'augmentation des investissements dans la recherche médicale, en particulier dans le secteur de technologies, et par l'importance croissante de l'intelligence artificielle. À cet égard, il y a une anecdote qui illustre le contexte actuel de la biotechnologie. C'est celle d'un jeune Américain qui, arrivé très fatigué chez lui, est monté dans sa chambre et a eu une crise cardiaque au moment d’aller se coucher. L’Apple Watch qu’il portait a détecté le problème et envoya un message aux services d’urgence qui dépêchèrent une ambulance chez le jeune homme, lui sauvant la vie.

Apple, qui est essentiellement un fabricant d’ordinateurs et de téléphones, a annoncé qu’il consacrerait plus de 50 % de ses investissements à la recherche et au développement dans le secteur de la santé. Ce secteur connaît une croissance fulgurante, avec toutes les opportunités d'investissement que l'on peut attendre, et nous sommes très actifs dans ce domaine.

Quel est le positionnement de votre Luxembourg Desk ?

Au cours des dix-huit derniers mois, nous avons mis en place un Luxembourg Desk, qui a rencontré un vif succès, confirmant ainsi l’importance du Grand-Duché dans la structuration des opérations de fusions et acquisitions transfrontalières. C’est lié au Brexit, bien sûr, mais aussi à la stabilité politique et législative du Luxembourg et à la qualité des services fournis par les membres des professions juridiques présents, ainsi qu’à un environnement propice aux investissements économiques et au développement des activités industrielles et financières.

Nous avons également un nouveau partenaire local chargé de la pratique luxembourgeoise, Habiba Boughaba, ancienne directrice juridique du groupe IQ-EQ, à la tête d’une équipe de huit avocats.

Quel est l’état actuel du secteur du capital-investissement selon vous ?

Dans ce contexte de taux d’intérêt relativement bas, associés à une volatilité relativement élevée des marchés boursiers, le secteur du capital-investissement constitue une alternative viable pour ceux qui souhaitent diversifier leur portefeuille d’investissement. C’est un type d’investissement qui est sur le point de jouer un rôle plus important lorsqu'il s'agit d'assurer la croissance d’une entreprise, bien plus important qu'auparavant lorsque les fonds d'investissements privés ne plaçaient qu'en capital.

"Le capital-investissement constitue une alternative viable pour ceux qui souhaitent diversifier leur portefeuille d'investissement"

Aujourd’hui, le secteur est en train d’élargir son éventail d’activités d’investissement. De plus en plus de personnes engagées dans le capital-investissement, des tournent vers les instruments de couverture, ce qui permet aux entreprises d'être moins dépendants des prêts bancaires classiques à une période où les banques sont beaucoup plus réticentes à accorder des prêts, souvent pour des raisons réglementaires. Le secteur du capital-investissement n’a pas tardé à prendre avantage de cette situation et est devenu partie intégrante du financement des entreprises modernes. C’est une situation que je ne vois pas changer de sitôt. La croissance tirée par ce secteur du capital-investissement continuera de prospérer.

De nature très discrète, les family offices sont les principaux partenaires des entrepreneurs et des particuliers fortunés. Quelles tendances voyez-vous dans ce domaine ?

Depuis l’arrivée du family office dans le secteur du capital-investissement, nous assistons à un haut niveau de professionnalisme de ces véhicules, qui a permis de diversifier la richesse des familles fondatrices. Historiquement, le family office limitait son rôle dans ce secteur à des investissements dans des fonds de capital-investissement. Cependant, ces dernières années, les family offices ont demandé à devenir des co-investisseurs, et dans les sociétés de portefeuille de faire des co-investissements. Mais une nouvelle évolution est en cours. Les family offices sont autonomes et réalisent des investissements totalement indépendants de tout fonds de capital-investissement – dans ce cas, le family office est à l'origine de la transaction et prend la direction de l’investissement au côté de fonds dans lesquels il investi. Cela a évidemment été un changement de paradigme pour le secteur des investissements et a vu les family offices devenir des rivaux directs des fonds de capital-investissement.

En règle générale, un fonds d'investissement traditionnel a une durée de vie de trois à cinq ans, maximum dix ans, l'objectif étant de disposer d'un échéancier de sortie clair. Les family offices voient les investissements très différemment. Les family offices sont avant tout des gestionnaires de patrimoine, leurs actionnaires se présentent comme des détenteurs temporaires de richesses qui ne leur appartiennent pas et qui doivent être préservées pour les générations futures. Les types d’investissement à très long terme pratiqués par les family offices ont des conséquences sur le marché, le premier étant évidemment la valeur de tel ou tel investissement et le résultat souhaité. Les family offices sont très intéressés par les interventions liées à la gestion et à la motivation du personnel. Ce type d'investissement est conçu et fonctionne d'une manière totalement différente de celle d'un fonds de capital-investissement.

De même, s’il existe un pacte d’actionnaires portant sur un investissement, l’investisseur et l’actionnaire minoritaire prévoient une sortie après dix ans ou plus, où parfois il n’existe aucun délai pour une sortie. Il s’agit clairement d’une approche radicalement différente de celle d’un fonds de capital-investissement et l’arrivée du family office dans le secteur des fusions et acquisitions est donc tout à fait disruptive. 

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