L'enseignant à HEC, s’est associé aux dessinateurs et aux scénaristes de Largo Winch pour nous livrer une BD en forme d’Introduction à la finance (éditions Dupuis). Une plongée moins ludique qu’il n’y paraît dans l’univers des loups de Wall Street.

Décideurs. Quel type de PDG est Largo Winch ?

Olivier Bossard. Comme Bernard Arnault (LVMH), Largo Winch a le sens des affaires dans le sang. La frontière entre la vie privée et la vie professionnelle n’existe plus vraiment. Dans les premiers albums, il est assez jeune et inexpérimenté, mais il a déjà une vraie qualité d’écoute. Il incarne un précurseur de la disruption comme on peut le voir dans OPA Business Blues où il impulse le changement face aux chefs de division de son entreprise. Les éditions Dupuis l’ont d’abord nommé « le milliardaire en blue-jeans » avant d’opter plus récemment pour « le milliardaire humaniste » au moment où la Fondation Winch for War Children joue un rôle prépondérant dans la narration. Une manière d’incarner le versant bienveillant de la finance. Dans le diptyque Le prix de l’argent et La loi du dollar, il s’évertue à éviter les licenciements au sein de l’une de ses filiales. Pour que le groupe survive à la crise de 2008, il reclasse des cadres de la division banque vers d’autres départements. La jeunesse éternelle de Largo Winch en fait un frère aîné d’Elon Musk ou de Jeff Bezos, deux philanthropes et businessmen. Pour ce qui est du côté Indiana Jones de Largo Winch, c’est une autre histoire…
 

"La jeunesse éternelle de Largo Winch en fait un frère aîné d’Elon Musk ou de Jeff Bezos"


Le personnage de Largo Winch est créé en 1977. Que garde-t-il aujourd’hui de la finance des années 1970 ?

L’entreprise Winch reste, au fil des albums, un groupe assez traditionnel avec des divisions axées sur les domaines de l’industrie des années 1970 : l’automobile, l’aéronautique, l’aviation, la banque, l’hôtellerie. Ce n’est pas une holding orientée vers les services, mis à part le tourisme. Mais l’actualité économique a nourri les aventures de ce héros de BD. OPA Business Blues, le deuxième album paru en 1992, s’inspirait du monde des raiders à l’époque de Wall Street d’Oliver Stone et de son héros Gordon Gekko. Le Prix de l’argent et La loi du dollar, au début des années 2000, abordaient les stock-options et leurs aspects parfois néfastes qui permettent à un dirigeant de s’enrichir en faisant chuter le prix de l’action. Éric Giacometti, l’auteur qui a pris la suite de Jean Van Hamme dans la conception de la bande dessinée, souhaite remettre Largo Winch au goût du jour, en l’inscrivant notamment dans le secteur des hautes technologies.

Vous mettez en avant des sujets peu évoqués au grand jour. Notamment les data avec lesquelles les banques travaillent sur les modèles financiers…

Les financiers ont beaucoup travaillé avec les data des sociétés qui sont dans le domaine public : les entreprises cotées en Bourse. Pour ce faire, il existe des pourvoyeurs en data financières, notamment Bloomberg ou Reuters qui donnent accès, en temps réel, à toutes les cotations des places boursières mondiales. Les analystes agrègent ces données et essaient d’en dégager des tendances. Aujourd’hui, les acteurs financiers s’intéressent de plus en plus à tout ce qui est non coté, le private equity. Ils veulent avoir accès aux données, aux bilans de ces sociétés. 

Une thématique clé d’Introduction à la finance est le focus sur Dubaï et la finance islamique. Quelle part d’information et de fiction existe-t-il dans les albums de la série Largo Winch à ce sujet ?

Ce thème ne nourrit pas d’arche narrative dans la série Largo Winch. Il existe une seule vignette où l’on voit le protagoniste passer au-dessus de Dubaï. C’était davantage mon souhait de recouper la finance et la géographie. Je tenais à introduire au monde islamique qui tient un rôle non négligeable dans l’économie. Son univers y est soumis aux règles strictes de la charia qui supposent des astuces pour structurer les produits et rester charia compliant. Outre l’interdiction d’investir dans le secteur de l‘alcool et des casinos, la religion prohibe tout ce qui est lié à la spéculation. Ainsi, il est défendu d’injecter des capitaux dans des produits soumis à de trop grands risques. Tout est structuré différemment grâce à des artifices, par exemple l’adossement à un prêt.

Quelque chose d’aussi commun qu’une option de protection, ce qu’on appelle un put dans notre jargon, est problématique dans le monde arabe. En effet, il est hasardeux, puisqu’on ne gagne que si le marché baisse. Pour le structurer dans le monde islamique, ce produit sera adossé à un actif qui permet de n’avoir aucune exposition à un cours à la baisse. Pour les cyniques, tout cela n’est que du packaging. Mais il ouvre un monde ancré dans des traditions et des lois à l’ensemble des outils financiers.

Propos recueillis par Nicolas Bauche

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