Les prix de l’immobilier de bureaux parisiens s’envolent tandis que les SCPI collectent toujours plus. Une situation qui inquiète Frédéric Puzin, le président de Corum L’Epargne. Celui-ci estime, en effet, que lorsque les sociétés de gestion achètent à un prix aussi élevé, quelqu’un devra régler l’addition un jour ou l’autre. Et il est convaincu que c’est l’épargnant qui en paiera les pots cassés.

Décideurs. L’ADN de Corum peut-elle se résumer à la phrase suivante : « réaliser une prise de risque importante est la seule manière d’obtenir un rendement » ?

Frédéric Puzin. C’est la petite musique du marché. La prise de risque maximum est aujourd’hui réalisée par les investisseurs qui acquièrent des immeubles à un prix très élevé, notamment dans l’immobilier parisien et allemand. La raison est simple, les taux d’intérêt sont bas et poussent les investisseurs à reporter leurs liquidités sur des marchés dits alternatifs. En parallèle, les indices boursiers posent question en raison de leur volatilité. Certaines valeurs sont donc complètement déconnectées des réalités économiques. Or, l’immobilier est une équation économique très simple : quelle est la prime de risque qu’on est prêt à lui donner au regard des rendements des obligations d’État ? Pour ces investisseurs, les taux d’intérêt bas justifient les prix d’acquisition élevés. Cela a fait mécaniquement baisser le rendement des biens immobiliers. L’appréciation du marché immobilier se fait donc par la fuite en avant d’investisseurs qui ont de plus en plus de liquidités à dépenser.

Quelles pourraient-être les conséquences de cette fuite en avant que vous décrivez ?

Si les taux d’intérêt venaient à remonter, la « machine » repartirait immanquablement dans l’autre sens. Par exemple, si vous achetez un immeuble avec un rendement à 3% quand les taux d’intérêt sont à 0%, une remontée de ces taux à 2%, à prime de risque de l’investissement immobilier identique, va faire passer la valeur de capitalisation de votre immeuble à 5 %. A loyer équivalent, ce que vous avez acheté 100 vaut maintenant 60, soit une perte de valeur de 40. Dit autrement, cette perte représente huit ans de loyers… Qui accepterait un risque de vacance de huit années ? Et pourtant,  c’est bien le risque pris en niant le risque de remontée des taux. Un rapport publié par Le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) soulignait déjà, il y a trois ans, la trop grande cherté du marché immobilier parisien. Les principaux acteurs de l’immobilier ont balayé ces conclusions d’un revers de main prétextant que l’immobilier était une valeur « refuge ». L’immobilier n’est en rien une valeur refuge. C’est en revanche une valeur tangible : c’est ce qui rassure avec l’immobilier. Mais la confusion entre ces deux notions est dangereuse.

"Notre seul objectif est d’optimiser le cash-flow" 

Pourquoi les investisseurs continuent-ils à investir si les risques sont parfaitement identifiés ?

D’une part, ils considèrent que les taux d’intérêt ne pourront pas remonter. L’industrie financière est soumise, d’autre part, à un conflit d’intérêts. Elle a comme seul tropisme le fait d’avoir un maximum d’encours sous gestion. L’intérêt des épargnants et des gérants de leur épargne n’est donc plus aligné. Il me paraît essentiel aujourd’hui de limiter sa collecte à ce que l’on est capable d’investir et à l’objectif de performance annoncé aux gens qui vous ont donné leur confiance. Vous n’avez ainsi plus la pression de l’argent et du temps. Cela permet d’acheter dans de bonnes conditions, de mieux préparer un éventuel retournement de marché. Et, en achetant des biens au rendement plus élevé, vous vous donnez la faculté de mieux amortir mécaniquement l’impact d’une remontée des taux… J’estime donc que je prends moins de risques en achetant aujourd’hui en Angleterre, où le marché s’est déjà retourné, qu’en Allemagne par exemple ou dans le QCA (Quartier central des affaires).

Vos principaux moteurs de performance que sont l’immobilier en Espagne et aux Pays-Bas sont en train de s’essouffler. Quels seront vos prochains relais de croissance ?

C’est vrai que l’Espagne est derrière nous. Nous avions de fortes convictions aussi sur les Pays-Bas en 2014. Les prix ayant bien progressé (quand nous sommes entrés aux Pays-Bas, c’était un marché de 8 Mds€ de transactions annuelles, aujourd’hui il dépasse les 20 Mds€), nous sommes en train de vendre certains de nos biens et de réaliser de belles plus-values. La Finlande et surtout l’Angleterre sont des zones sur lesquelles nous voyons du potentiel. Nous recherchons aussi des accidents de marché pour acheter au bon prix comme ce fut le cas en 2014, lorsque Peugeot a connu quelques difficultés. Les annonces sur les grands locataires peuvent créer d’importantes décotes sur le marché immobilier et donc de belles opportunités si on sait se projeter au-delà des annonces de circonstance et de la « glaciation » d’un locataire. L’arrivée de Dongfeng au capital de PSA Groupe offrait une belle projection industrielle et financière. Nos équipes ont donc cherché à acheter des immeubles occupés par le groupe. Et c’est ainsi que nous avons acquis dans d’excellentes conditions un immeuble à Francfort avec comme locataire PSA Banque, société au demeurant très rentable, à travers sa filiale finançant les concessionnaires et les clients sur les marchés allemand, suisse et autrichien.

"Les Français arrivaient tardivement sur un marché en retournement"

Quels est le profil des biens que vous visez ?

Nous sommes agnostiques. Notre seul objectif est d’optimiser le cash-flow. Un investisseur étranger m’a demandé un jour si je connaissais le plus bel immeuble du monde ? Je lui ai répondu que non. Il m’a alors affirmé que c’était Versailles. Mais il y avait un problème : nous avions eu l’idée saugrenue de couper la tête du locataire !  Celui qui crée de façon certaine de la valeur dans l’immeuble, c’est le locataire : il est le générateur de cash le plus fiable. En tout ca,s avec une plus grande fiabilité que le marché, un autre investisseur, qui vous achètera un jour, peut-être, à un prix supérieur à celui auquel vous l'avez acquis. C’est avant tout sur le locataire que vous devez compter pour créer de la richesse. Un bel immeuble est celui pour lequel vous avez un locataire engagé sur un bail de 9 ans, un locataire qui surtout a la capacité de payer son loyer dans les temps et un immeuble sur lequel il n’y a pas de travaux à faire.

Vos performances ne reposent-elles pas trop sur des paris macroéconomiques ou financiers, comme vous pouvez le faire sur les devises par exemple ?

Ce ne sont pas des paris, mais des constats. On utilise les marché immobiliers et devises pour créer de la valeur. Pourquoi les subir ? Par exemple, nous avons récemment réalisé de nombreuses acquisitions au Royaume-Uni avec une livre à 1,12 euro en moyenne. Les vendeurs de ces immeubles les avaient acquis quand la livre était à 1,48 euro avec un prix au mètre carré 30 % plus cher 4 ou 5 ans auparavant. Ce sont les vendeurs de ces immeubles qui ont fait des paris risqués en achetant dansun marché immobilier au plus haut et une devise chère. Pourquoi ? J’observe d’ailleurs qu’un certain nombre d’investisseurs français ont annoncé s’intéresser à nouveau au Royaume-Uni. C’est un signal intéressant, car j’ai constaté souvent que les Français arrivaient tardivement sur un marché en retournement, comme ce fut le cas en Espagne ou plus récemment aux Pays-Bas.

Corum AM a lancé un fonds de dette d'entreprise, Corum Eco, investi sur des obligations et autres titres de créance notés entre BB+ et CCC-. Quelle est sa valeur ajoutée par rapport aux autres fonds obligataires de la place ?

Fidèle à nos convictions, nous avons développé une approche prudente. Corum Eco est géré par notre équipe expérimentée, basée à Londres et Paris au sein du groupe Butler Corum. La particularité du fonds est d’avoir une très faible volatilité et la possibilité de revendre les titres très rapidement en cas de retournement de marché. Nous sommes positionnés sur des titres à haut rendement dans une optique de conservation jusqu’à l’échéance sur des entreprises réalisant plus de 100 M€ d’Ebitda telles que Burger King, Picard ou Energizer.

Propos recueillis par Aurélien Florin

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