Marc Bertrand (La Française REM) : « L’environnement de taux a fait monter le prix de l’immobilier »
Décideurs. Au plus fort de l’engouement sur les SCPI, vous aviez estimé qu’un ralentissement de la collecte était salutaire. Votre vœu a été exaucé puisque la collecte nette sur l’ensemble des SCPI du marché est en repli de 20 %, mais demeure toujours soutenue à + 5 M€. Quel bilan faites-vous de cette année pour le marché ?
Marc Bertrand. Si nous raisonnons en termes de collecte, le pic d’activité s’est localisé au cours du premier semestre 2017. Nous avons cependant rapidement constaté un retour à la normale, dès la fin d’année 2017. Des changements sur le plan fiscal et le besoin du marché de reprendre son souffle peut expliquer cette accalmie. Nous sommes aujourd’hui revenus à un rythme tout à fait honorable. Si la collecte pour ce début d’année est plus fort qu’anticipé, il est encore trop tôt pour dessiner une tendance de long terme. Toujours est-il que nous ressentons nettement les effets de report des marchés financiers. Le deuxième semestre 2018 a été particulièrement agité pour les principaux indices boursiers. Échaudés, de nombreux épargnants souhaitent se positionner sur l’immobilier, beaucoup moins volatil.
Si nous nous concentrons sur les performances, le marché locatif des bureaux s’est très bien comporté. La demande de bureaux s’est raffermie tandis que le taux de vacances s’est réduit, ce qui a eu des effets positifs sur les rendements des SCPI.
Le point haut du cycle du marché immobilier de bureaux français a-t-il été atteint ?
Les niveaux de valorisation sont très élevés en France mais aussi en Europe. L’environnement de taux a fait monter le prix de l’immobilier. Mais la prime de risque proposée n’a jamais été aussi élevée. Il faut bien comprendre que les banques centrales ne peuvent pas déverser autant de liquidités sur les marchés sans qu’il y ait un effet sur le prix des actifs. Si le prix de toutes les classes d’actifs a progressé, l’immobilier n’a absolument pas surréagi par rapport à cet environnement inédit. Aujourd’hui, le taux prime de l’immobilier de bureaux parisiens se stabilise autour de 3 %, contre 0,40 % pour l’OAT. Cette prime de risque de 260 points de base est nettement supérieure à ce qui existait par le passé, avec en plus avec un niveau d’inflation très faible.
« Échaudés, de nombreux épargnants souhaitent se positionner sur l’immobilier, beaucoup moins volatil »
Selon les chiffres transmis par l'Association française des sociétés de placement immobilier (ASPIM), 31 % des investissements des SCPI sont dirigés vers d’autres pays européens. Est-ce une façon pour elles de s’adapter à la forte concurrence sur notre territoire ? Cette tendance s’inscrit-elle sur le long terme ?
Diversifier les investissements n’a jamais fait de mal. Étant donné la masse des capitaux levés, il est normal que le marché s’internationalise. Une partie des gérants immobiliers, dont la Française REM, ont constitué des équipes spécialisées. Chemin faisant, on a découvert que la SCPI était un bon véhicule pour investir à l’étranger, notamment sur le plan fiscal. En vertu de leur transparence fiscale, les SCPI permettent d’être soumis à la fiscalité applicable dans le pays dans lequel elle va investir, et non la fiscalité française. Le marché de la pierre-papier s’est internationalisé de manière durable comme l’ont fait les marchés actions, il y a une trentaine d’années.
La thématique du Grand Paris est mise en avant par de nombreux investisseurs. La Française REM en fait partie. En 2018, votre SCPI Française Pierre est devenue LF Grand Paris Patrimoine. Comment se différencie-t-elle des autres SCPI investies en région parisienne ?
Plutôt que de créer une SCPI ex nihilo, nous avons fait le choix de nous appuyer sur une SCPI existante. Cette stratégie a pour but d’offrir aux épargnants une meilleure mutualisation des actifs et des revenus distribués. La Française Pierre avait déjà une très grande partie de son patrimoine dans le Grand Paris. À l’origine, cette SCPI était dédiée aux investisseurs institutionnels. Les immeubles sont, par conséquent, d’une taille importante, ce qui nous paraît adapté aux enjeux du Grand Paris et à la demande des locataires. Ces derniers sont, en effet, à la recherche de biens d’une taille plus importante, dans lesquels ils pourront bénéficier de nombreux services annexes (conciergerie, salle de sport). Une offre qui est plus facile à organiser dans des immeubles de 10 000 m2 accueillant plusieurs locataires.
Comment expliquez-vous le taux d’occupation financier décevant de cette SCPI (84 %) ?
Nous avions enclenché pour la SCPI Française Pierre quelques restructurations d’immeubles. Ce processus n’a pas été terminé en 2018. Nous avions donc un certain nombre de surfaces vacantes en 2018. Aujourd’hui, le taux d’occupation a nettement progressé. Le taux d’occupation physique est de 87,4 % et devrait rapidement tendre vers les 90 %.
« L’idée n’est cependant pas de démultiplier les nouveaux produits car nous avons déjà une gamme bien fournie »
Votre OPCI LF Cerenicimo + a beaucoup fait parler de lui en 2018, avec une performance de plus de 19 % alors que les OPCI « grand public » ont affiché une performance globale moyenne de + 0,8 %. Ce résultat est notamment dû à la hausse des valeurs d'expertises de vos biens, principalement des résidences gérées (résidences de tourisme …). Comment expliquez-vous des conditions d’achats aussi favorables ?
Nos équipes et celles de Cerenicimo ont usé de tout leur poids pour négocier l’acquisition de lots dans les meilleures conditions possibles. Bien sûr, L’OPCI ne réalisera pas une performance de 20 % chaque année. Nous avons rapidement estimé que nos premiers investissements avaient été réalisés en dessous de la valeur du marché. Les experts l’ont confirmé. Si cette revalorisation est une très bonne nouvelle, nous ne perdons pas de vue notre priorité : distribuer un rendement attractif à nos porteurs de parts. Et pour l’instant, le rendement n’est pas encore au niveau souhaité. Avec cette SCPI, nous achetons des biens neufs en VEFA, en signant des baux de longue durée (neuf ou douze ans) avec des exploitants identifiés. Tous les biens achetés sont donc déjà loués. Aujourd’hui, nous sommes en train de rééquilibrer le portefeuille pour acquérir des biens dont le potentiel de revalorisation immédiate est moindre mais qui seront davantage producteurs de rendement immédiat.
La Française Real Estate Managers a réalisé un taux de croissance proche de 40 % entre 2015 et 2017. Quels seront les leviers de croissance pour les prochaines années ?
Notre croissance est tirée par deux grands segments de clientèle : les institutionnels et les particuliers.
S’agissant des institutionnels, la France demeure attractive pour les investisseurs étrangers. Le projet du Grand Paris, la résilience de son économie et, par effet de contraste, les difficultés en Angleterre sont des atouts à faire valoir. Cet environnement nous offre de belles perspectives de croissance.
Concernant les particuliers, l’immobilier se porte toujours bien et les performances sont stabilisées. Certaines de nos SCPI (LF Grand Paris Patrimoine, LF Europimmo, Épargne foncière) demeurent bien identifiées par les épargnants. 2019 devrait encore être un bon cru. Nous allons, par ailleurs, annoncer le lancement d’une SCPI résidentielle investie dans le Grand Paris, sur des biens neufs éligibles au dispositif Pinel. L’idée n’est cependant pas de démultiplier les nouveaux produits car nous avons déjà une gamme bien fournie.
« Le Brexit se révèle de plus en plus pour ce qu’il est : une énorme bêtise »
Un dernier mot sur le Brexit. En voyez-vous déjà les effets sur votre activité ? Sur le comportement des investisseurs ?
Nos équipes en Angleterre ont beaucoup de peine à expliquer le Brexit à des investisseurs internationaux tout simplement parce qu’il se révèle de plus en plus pour ce qu’il est : une énorme bêtise. Mais, Brexit ou pas Brexit, Londres restera un excellent marché d’investissement. Des opportunités vont apparaître à moyen terme. Aujourd’hui, nous ne le conseillons pas à nos clients. On attend que la poussière retombe.
Certains investisseurs internationaux, je pense notamment aux Coréens, délaissent l’Angleterre pour se concentrer davantage sur l’Allemagne et la France. Mais est-ce que les entreprises qui déménagent de Londres ont créé une demande supplémentaire en France ? Je ne crois pas que l’on puisse parler d’un mouvement de marché. Pour l’instant, le Brexit n’a pas encore d’incidence mesurable sur les loyers pratiqués en région parisienne.
Propos recueillis par Aurélien Florin