L’intérêt général n’est plus l’apanage de l’État. Les tardifs efforts des pouvoirs publics pour développer la philanthropie en France semblent enfin porter leurs fruits. Portrait d’un écosystème en pleine ébullition, porté par un renouvellement générationnel salutaire.

Incarnée par John ­Davison Rockefeller, associée aux vieilles familles fortunées et grands business men, conçue comme l’héritière de l’aumône religieuse, la philanthropie a fait long feu. La mondialisation, l’émergence de la génération Y, l’aspiration à participer au développement de l’intérêt général ont fait entrer, sans coup férir, la philanthropie dans le XXIe siècle. La France, longtemps distanciée dans le domaine par ses voisins européens et nord-américains, commence à rattraper son retard. La preuve : le nombre de fondations hexagonales a doublé en quinze ans.

« Meilleur outillage au monde »

« Depuis quelques années, un glissement s’est opéré : l’État s’est désengagé de nombreux domaines de l’intérêt général », rappelle Francis Charhon, ancien directeur de la Fondation de France. Une situation aujourd’hui plutôt assumée par des pouvoirs publics désargentés désireux de favoriser d’autres acteurs prêts à prendre le relais. « L’État passe d’un rôle de gérant de l’intérêt général à celui de garant de l’intérêt général », confirme l’expert. Cette transition s’est traduite par la diversification de l’arsenal juridique à disposition des donateurs. Avec une option entre huit formes statutaires possibles pour les initiatives philanthropiques, la France peut enfin se targuer d’avoir créé un environnement favorable à la générosité. « L’outillage français est l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur, au monde, complet et efficace », assure François Mollat du Jourdin, président-fondateur du family office MJ & Cie. En plus des célèbres fondations reconnues d’utilité publique, dont la création et le fonctionnement répondent à un formalisme très lourd, et des associations, les fonds de dotation ont le vent en poupe. Plébiscitées pour leur souplesse et leur accessibilité (le capital minimum requis s’élève à 15 000€), ces structures se multiplient. Le régime d’incitation fiscale (déduction d’une partie du don) doit finir de décider les potentiels donateurs, même si « la philanthropie répond d’abord à une envie d’aider, de participer à la vie du pays, tempère Francis Charhon. Les avantages fiscaux associés n’agissent que sur le montant du don, pas sur son principe ».

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Millenials à la manœuvre

Passées à la tête des fondations familiales ou désireuses de créer les leurs, les nouvelles générations font bouger les lignes depuis quelques années. « Les quadras d’aujourd’hui sont plus sensibles à la cause philanthropique : ils veulent laisser une trace, un peu sur le modèle anglo-saxon », confirme Bruno Julien-Laferrière, président du directoire de la Banque Transatlantique. Une tendance encore plus nette chez les millenials dont la générosité prend des formes bien différentes de celle de leurs aînés. Au-delà des secteurs qui attirent leurs dons (inclusion financière, énergies renouvelables, technologies de l’éducation …), ils privilégient les actions globales dont ils attendent des impacts immédiats là où les babyboomers préfèrent les initiatives régionales et savent se montrer plus patients. Autre spécificité de la génération Y, son implication professionnelle. Souvent qualifiés de « philantrepreneurs », ces jeunes ont réussi tôt et se montrent généreux alors qu’ils entament leur vie active. Cet attrait générationnel pour la culture collaborative a bien été intégrée par les entreprises. Depuis peu, le social value et la RSE gagnent du terrain et la philanthropie corporate est devenue un élément de fidélisation des salariés. « La fondation est devenue un ciment entre les collaborateurs, ce qui est primordial dans une entreprise très internationale », analyse Gilles Vermot Desroches, directeur général de la fondation Schneider Electric.

Les jeunes font évoluer le secteur en voulant y transposer les règles qui régissent leur quotidien d’entrepreneur

Venture philanthropy

Qui dit nouvelles générations dit nouvelles méthodes. En prenant la suite de leurs prédécesseurs, les jeunes font évoluer le secteur en voulant y transposer les règles qui régissent leur quotidien d’entrepreneur. Dorénavant, les projets philanthropiques sont menés à l’image de n’importe quel projet professionnel avec un suivi poussé, un système de management éprouvé en entreprise et la nécessité d’une mesure précise des résultats. Pour Francis Charhon, ce phénomène de venture philanthropy, transforme « les donateurs-distributeurs en donateurs-acteurs » et contribue à la professionnalisation du secteur. Regroupés sous le terme générique de « grantmakers », les professionnels de la gestion de fondations, des programmes et de la redistribution de fonds peinent à se faire connaître. « C’est un métier auquel on ne sait pas donner de nom en français », abonde Béatrice de Durfort, déléguée générale du Centre français des fonds et fondations (CFF). Tout un symbole. Cohabitant avec une multitude d’autres acteurs (avocat, banquier privé, conseiller en gestion de patrimoine, expert-comptable, notaire ...), leur montée en compétences est nécessaire pour promouvoir une philanthropie efficace et attirer les talents.

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Savoir s’entourer

Dans ce contexte, savoir s’entourer est primordial puisque la philanthropie a ses codes et ses cercles. Tenter l’aventure ne se fait pas en dilettante, sous peine de déconvenues et de déceptions. Le projet philanthropique ne se conçoit que dans la durée, il doit être longuement mûri pour parvenir à identifier ses attentes et déterminer les moyens susceptibles d’être déployés pour atteindre ses objectifs. « Cette phase, essentielle, est la plus longue », prévient Francis Charhon. Pour la faciliter, s’attacher les services d’un professionnel est fondamental. Parmi la myriade d’intervenants potentiels, le family officer tire son épingle du jeu. Véritable chef d’orchestre de tous les intervenants susceptibles d’accompagner une famille dans la définition et la mise en œuvre de sa stratégie patrimoniale, il dispose d’une vue d’ensemble des besoins, des spécificités et des envies de ses clients. Un rôle de « facilitateur et d’éclaireur » en somme, comme le résume le deuxième livre blanc publié sur le sujet par l’Association française du family office (Affo). Un soutien précieux alors que l’outil philanthropique n’est pas encore devenu un réflexe pour les Français fortunés, même si des progrès sont palpables. « Recourir à la philanthropie n’est pas systématique mais cela devient de plus en plus fréquent, reconnaît François Mollat du Jourdin. La moitié de nos clients sont aujourd’hui actifs dans ce domaine que ce soit en France ou à l’international. Il y a encore dix ans, la proportion était bien plus faible.»

« Raconter l’histoire familiale »

Plus encore qu’un outil patrimonial, la philanthropie est un formidable moyen de construire et cultiver le lien familial. En la matière, nul besoin d’être multimillionnaire. Se retrouver autour d’une cause « permet de raconter l’histoire familiale, de travailler sur ses racines, de donner du sens et définir des valeurs communes », explique François Mollat du Jourdin. Il s’agit d’un donc formidable moyen de perpétuer un héritage et de s’inscrire dans une lignée. La philanthropie a décidément toutes les vertus.

Sybille Vié

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