Présomption irréfragable de fraude fiscale et trusts, le clap de fin ?
Le 1er mars 2017, le Conseil constitutionnel a rendu une décision remettant partiellement en cause le dispositif de dissuasion fiscale existant à l’égard des contribuables français qui sont constituants ou bénéficiaires de trusts ou de fondations (ou autres structures offshore de détention d’actifs)[1]. Cette décision est relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article 123 bis du code général des impôts (CGI).
Rappel des dispositions de l'article 123 bis du CGI
Pour mémoire, cet article pose deux principes :
– un principe de transparence fiscale de ces structures, d’une part ;
– et un principe d’imposition d’un résultat fictif pour les structures établies dans les ETNC, d’autre part.
Premièrement, aux termes de cette transparence fiscale, l’ayant droit économique d’une telle structure se trouve directement imposé sur les revenus dégagés par cette dernière (dans la limite de sa quote-part dans les droits de cette structure). En outre, la base taxable de ces revenus est majorée de 25 %. Cette transparence fiscale découle d’une présomption irréfragable selon laquelle un tel montage ne peut avoir que pour seul but la fraude fiscale (donc exit le sacro-saint principe de présomption d’innocence !). Pour se conformer aux règles du droit de l’Union européenne[2], les dispositions de l’article ajoutent qu’il s’agit d’une présomption simple lorsque la structure est établie ou constituée dans un État membre de l’UE. Le contribuable peut alors apporter la preuve selon laquelle l’existence de la structure ne participe pas « d’un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française ». Si cette preuve est rapportée avec succès, le contribuable est exonéré du régime de transparence fiscale.
Deuxièmement, l’article 123 bis du CGI prévoit que, lorsque la structure en question est établie dans un État ou territoire non coopératif (ETNC) ou dans un État qui n’a pas conclu de convention d’assistance administrative avec la France, son bénéfice ne peut être inférieur à un résultat fictif ou «revenu fictif» déterminé en multipliant le montant des actifs détenus par la structure au 1er janvier de l’année considérée par un pourcentage, défini chaque année en application de l’article 39, I, 3° du CGI. À titre d’illustration, pour la détermination des résultats de l’année 2008, le pourcentage applicable était de 6,21 % ! On comprend donc que, dans un tel paysage fiscal, les trusts rencontraient quelques difficultés à prospérer… En effet, ces dispositions empêchaient de facto l’utilisation d’un trust ou d’une fondation pour structurer le patrimoine d’une personne ayant son domicile fiscal en France, quand bien même aucun avantage fiscal n’aurait découlé d’une telle structuration.
La décision du Conseil constitutionnel
Les juges constitutionnels n’aiment pas les présomptions irréfragables. Et ils l’ont fait savoir une de fois de plus en rendant cette décision. Sur les principes posés par l’article 123 bis du CGI, ils ont tenu à préciser deux points essentiels. D’abord, les juges ont considéré que le régime de la présomption simple ouvert aux structures établies ou constituées dans un État de l’UE devait également s’appliquer aux structures situées en dehors de l’Union européenne. Ensuite, s’agissant de l’imposition du « revenu fictif », le Conseil constitutionnel a décidé qu’en toute hypothèse, il devait être permis au contribuable d’apporter la preuve que le revenu réellement perçu est inférieur au revenu fictif. Si cette preuve est apportée avec succès, l’imposition aura lieu sur le montant du revenu réel. Cela n’écarte certes pas la majoration d’assiette de 25 %, mais rétablit une cohérence entre le revenu perçu et le revenu imposé.
Les conséquences de la décision
La décision rendue par le Conseil constitutionnel ce 1er mars 2017 emporte des conséquences importantes quant à la fiscalité désormais applicable en matière de trust et fondation. En premier lieu, le champ d’application de l’article 123 bis du CGI est réduit. Une telle structure peut désormais être constituée dans n’importe quelle juridiction, à condition de pouvoir justifier que son existence ne participe pas d’un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française. Cette réserve lève une contrainte importante pour les contribuables français qui sont aujourd’hui bénéficiaires (en rang utile) d’un trust ou d’une fondation. Ceux-ci, dès lors qu’ils annoncent correctement l’existence de la structure auprès de l’administration fiscale et, le cas échéant, mentionnent les avoirs qu’ils y détiennent indirectement dans leur déclaration de patrimoine, ne seront plus imposés de manière prohibitive. En d’autres termes, celui qui est bénéficiaire d’une telle structure ne sera plus irrémédiablement considéré comme un fraudeur. Cela permet également de ne pas systématiquement exclure les résidents français des planifications patrimoniales organisées autour d’un trust (ou d’une fondation) par des constituants (ou fondateurs) qui résident à l’étranger, dans un État où le recours à ce type de structure est possible. En effet, le trust constitue, à l’instar du testament, un moyen de pré - parer la transmission de son patri - moine d’une façon très précise et très sécurisante.
En second lieu, la décision du Conseil constitutionnel vient nuancer les modalités d’application de l’article 123 bis du CGI en remettant en cause l’imposition systématique d’un revenu fictif quand l’entité juridique concernée est établie dans un ETNC ou dans un État non conventionné. Dès lors que le contribuable est en mesure de prouver l’existence d’un revenu réel inférieur au revenu fictif, ce qui est souvent le cas en pratique, il sera imposé sur le revenu réel (après une majoration de l’assiette de 25 %). Comme indiqué par les juges eux-mêmes, cette décision est applicable dès sa publication, soit dès le 1ermars 2017. Celle-ci emporte donc un effet immédiat sur tous les dossiers de mise en conformité fiscale qui sont actuellement instruits par les services de traitement des déclarations rectificatives (STDR), et pour lesquels la transaction n’a pas encore été retournée signée par le contribuable. En effet, dans la grande majorité de ces dossiers, il est parfaitement possible de déterminer les revenus des trusts ou autres entités juridiques de détention d’actifs, car ils détiennent bien souvent des avoirs bancaires. Les relevés de compte sont alors suffisants pour déterminer le bénéfice net de l’entité juridique concernée et, le cas échéant, pour prouver que celui-ci est inférieur au revenu fictif. Cette évolution dans le traitement fiscal des structures de détention d’actifs constitue un nouveau « coup dur » pour Bercy qui voit, pour la deuxième fois en quelques mois, disparaître une arme très rentable pour les finances publiques. En effet, par une décision du 22 juillet 2016, la même juridiction avait déjà considérablement diminué le montant des amendes pouvant être prononcées pour défaut de déclaration d’un compte ouvert hors de France[3]. Sur ce dernier point, on notera aussi une nouvelle décision rendue le 16mars 2017 par le Conseil constitutionnel[4] qui, dans la logique de celle précédemment rendue en juillet 2016, censure l’amende de 12,5 % pré - vue à l’article 1736 IV bis du CGI sanctionnant le défaut de déclaration des trusts en France. Cette décision est toutefois de moindre portée puisque déjà anticipée par la loi de finances rectificative pour 2016 qui a, d’une part, maintenu l’amende forfaitaire de 20000 euros et, d’autre part, remplacé l’amende proportionnelle par une majoration de 80 % applicable au rappel d’impôt résultant du défaut de déclaration des avoirs placés dans les trusts non déclarés (art. 1729- 0 A du CGI). Elle a néanmoins un impact sur les dossiers de régularisation en cours pour les années antérieures où seule peut désormais être réclamée l’amende forfaitaire de 10000euros jusqu’en 2013 et portée par la suite à 20 000 euros. Il y a bien longtemps que la mise en conformité des avoirs détenus à l’étranger par l’intermédiaire d’une entité juridique interposée ne s’était pas présentée dans des conditions si favorables. Pour tous les contribuables encore hésitants, il est temps de franchir le pas avant que le STDR ferme définitivement ses portes.
Yves Bonnard, Jean-Philippe Mabru et Aymeric Serre, avocats associés du cabinet Bonnard Lawson
[1] Décision n°2016-614 QPC du 1er mars 2017.
[2] Notamment le principe de liberté d’établissement.
[3] Décision n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016.
[4] Décision n° 2017-618 QPC du 16 mars 2017.