Jean-Marc Delfieux (Tikehau IM) : « Au mieux, le marché du haut rendement est bien pricé »
Décideurs. Les Coco bonds ont-elles toujours votre préférence ?
Jean-Marc Delfieux. Les subordonnées bancaires, communément appelées Coco bonds, nous semblent toujours être la classe d’actifs qui présente le plus de valeur dans l’univers de la dette en Europe. La qualité du bilan des établissements bancaires continue de s’améliorer. Ces derniers profitent également de l’assouplissement réglementaire qui est en train de se préparer. Les régulateurs leur ont notamment redonné des marges de manœuvres en ce qui concerne le besoin de capitalisation réglementaire. Sur le plan technique, un débat est en train de s’ouvrir à la Commission européenne sur le fait de donner la priorité au paiement des coupons des AT1 plutôt qu’au paiement des dividendes. Cela nous semble plus en ligne avec l’échelle chirographaire qui veut qu’un créancier même subordonné soit mieux traité qu’un actionnaire, en cas de difficulté. Enfin le positionnement des investisseurs est nettement plus constructif qu’à fin 2015, après la secousse de février cette année : nous ne voyons plus de vendeurs marginaux, mais au contraire des acheteurs qui reviennent progressivement sur cette classe d’actifs. Nous apprécions notamment, pour son caractère défensif, le titre Crédit Agricole 6.5 Perp./ call 2021 offrant rendement au call 2021 6.5%, et un rendement à perpétuité de 5.40%.
Les taux seront une nouvelle fois la clé de l’évolution des marchés au cours des prochains mois.
Le marché du high yield européen recèle-t-il encore un potentiel ?
Au mieux, le marché du haut rendement est bien pricé dans son ensemble. Pour certains segments de marché, il nous semble cher. Lorsque vous rapportez la prime de risque que vous offre une obligation high yield par rapport à son endettement, vous voyez que celle-ci diminue au fur et à mesure des mois et des trimestres. Dans certains cas, elle atteint même des niveaux proches de ses plus bas historiques. En d’autres termes, pour une même unité de risque, vous êtes donc, en moyenne, de moins en moins rémunéré. Ceci dit, il existe encore des émissions intéressantes, plutôt sur les émetteurs notés B.
Comment l’expliquez-vous ?
C’est la conséquence directe de la forte baisse des taux d’intérêt et de l’écrasement des primes de risque. Pour aller chercher du rendement, les investisseurs doivent donc descendre dans l’échelle de notation en passant de l’investment grade au high yield, ou souscrire à une émission obligataire de plus longue durée. Il y a eu un accroissement de la duration moyenne offerte aux investisseurs sur le marché primaire. Or, des interrogations subsistent sur la capacité mais aussi la volonté des Banque Centrales de faire perdurer les politiques monétaires accommodantes. Les taux seront donc une nouvelle fois la clé de l’évolution des marchés au cours des prochains mois.
Il n’y a pas d’évidence sur le fait que la valorisation rémunère justement le risque
Quelle est donc la stratégie à adopter pour gérer au mieux son portefeuille obligataire ?
Il n’y a pas d’évidence sur le fait que la valorisation rémunère justement le risque. Il convient de faire preuve d’une grande flexibilité, notamment sur le degré d’exposition générale. Les investisseurs qui se positionnent pleinement et sans discernement sur le marché obligataire, sur la seule idée que les Banques Centrales supporteront le marché, le font à leurs risques et périls. Les taux sans risque ont été, pendant des années, une bonne protection lorsque les actifs à risque traversaient une phase difficile. Cette relation inverse historique nous semble fragilisée dans ce contexte de taux négatifs. C’est pour cela que nous avons sur l’ensemble de nos fonds des montants de liquidités significatifs, celles-ci pouvant représenter jusqu’à 35 % des portefeuilles. Cette prudence s’inscrit non seulement dans une logique de préservation du capital face aux nombreuses incertitudes présentes sur les marchés, mais également et surtout, permet d’être positionné de façon opportuniste lorsque les primes de risques s’écarteront.
Et pour la partie investie ?
Nous ne sommes pas investis sur des obligations d’États et avons réduit la duration de nos portefeuilles. Nous voyons encore des opportunités ciblées sur le segment du high yield européen et les financières. S’agissant plus particulièrement des titres à haut rendement, nous évitons ceux notés BB car ils demeurent trop sensibles à la hausse des taux. Nous privilégions en conséquences les entreprises notées B avec une duration moyenne, comme Verallia ou Novafives.
Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurelien)