Malgré plusieurs tentatives de l’administration fiscale pour y mettre fin, la « technique » qui consiste à donner des titres sociaux avant de les faire céder reste particulièrement efficace.

Purge de plus-value et transmission patrimoniale

 

Le point de départ de la réflexion est souvent le suivant?: un investisseur, propriétaire de droits sociaux, envisage de les vendre à court terme afin d'en dégager une plus-value substantielle et d'en faire profiter ses enfants et/ou son conjoint séparé de biens. Deux choix s'offrent alors à lui. D'abord, celui de céder personnellement les titres, puis à en transmettre le produit aux membres de sa famille. Ce choix présente toutefois un grand inconvénient dans la mesure où le processus subit une double taxation?: un impôt de plus-value (calculé sur la différence entre le prix d'achat et le prix de cession), puis un impôt de donation (calculé sur le produit net de la cession). C'est donc une seconde solution alternative qui est largement préconisée par les professionnels du conseil patrimonial. L'idée consiste à inverser les éléments de l'équation, ou plus exactement les temps de l'opération?: donner, à charge pour les enfants de vendre. Dans ce cas de figure, il n'y aura pas (ou très peu) d'impôt de plus-value, puisque le prix de cession sera égal (ou à peine supérieur) à la valeur des titres transmis le jour de la donation. L'expression idoine est ici celle la «?purge?» des plus-values latentes, l'opération emportant réactualisation du prix de revient entre les mains de celui qui reçoit (le donataire). Prenons l'exemple d'un chef d'entreprise, séparé de biens, avec deux enfants. Il envisage de vendre, pour la somme de 2?millions d'euros, les actions de la société qu'il a créée (son prix de revient est donc proche de zéro). S'il cède avant de donner, l'imposition globale (plus-value et donation) sera de l'ordre de 970?000?euros. À l’inverse, avec une donation pré-cession, «?seul?» l'impôt de transmission à titre gratuit sera perçu pour une somme globale d'environ 426?000?euros. D'une solution à l'autre, l'imposition globale est donc réduite de plus de 50?%, et le «?net en poche?» au profit des enfants passe de 1?030?000 à 1?574?000?euros (soit une amélioration de 47?%?!).

 

Le «?Conseil des Sages?» aime le contribuable

 

Nonobstant une jurisprudence constamment en faveur du contribuable, ce schéma fut dans le collimateur de l’Administration fiscale pendant plusieurs années. Elle estimait généralement y déceler un abus de droit. Après un échec cuisant essuyé devant le Conseil d’État en 2011, on pensait la polémique définitivement enterrée… jusqu'à un projet de loi qui, fin 2012, envisageait de modifier la donne pour l’ensemble des donations. Ce projet instaurait un principe de taxation des plus-values – calculé par référence au prix d’acquisition payé par le donateur - sur la tête du donataire qui cédait les titres reçus avant un certain délai de détention. En d’autres termes, la donation n’opérait plus purge des plus-values. L’avènement de la «?dépression pré-cession?» semblait inéluctable… jusqu’à la censure rendue le 29?décembre 2012 par le Conseil constitutionnel. Les neuf sages estimèrent en effet que ce projet, mettant à la charge du donataire une fiscalité incombant normalement au donateur, ne se conformait pas au principe d’égalité des citoyens devant l’impôt.

 

Rester chronologique

 

Un nouvel âge d'or des donations pré-cessions est donc en vigueur depuis cette décision salutaire. Cependant, pour ne pas crier victoire trop vite, tout donateur doit respecter quelques fondamentaux. D’une part, le respect scrupuleux de la chronologie «?donation, puis cession?». Ainsi, le calendrier idéal consiste à donner avant tout accord sur la chose et sur le prix qui forme la vente. À défaut, on insérera dans le protocole d’accord de cession des conditions suspensives suffisantes pour ne pas considérer le «?deal?» comme d'ores et déjà définitivement scellé. Point positif?: la jurisprudence considère que le critère de la courte durée entre la donation et la cession est à lui seul insuffisant pour présumer de l’absence d’intention libérale et donc la fictivité de l'opération. Aussi, il demeure essentiel pour le donateur de s’abstenir de toute réappropriation du produit de la vente. À condition de les rédiger avec précaution dans l'acte authentique de donation, certaines clauses - restrictives des droits des donataires - restent compatibles avec cette prescription. Tel est le cas de la condition d’exclusion de communauté, l’interdiction d'aliéner sans l’accord du donateur, ou encore la condition de remploi du prix de cession (y compris dans une société civile à constituer entre le donateur et les donataires). 

 

Julien Trokiner, notaire, 1768 Notaires

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