Par Hervé Zapf et Betty Toulemont, avocats associés. TZA
Les schémas de type coquillard sont constitutifs d’un abus de droit
L’acquisition des titres d’une société «?liquide?» suivie de la perception des dividendes distribués par cette dernière en franchise d’impôt sur les sociétés du fait de l’application du régime mère fille et de la constitution d’une provision pour dépréciation de titres fiscalement déductible constitue un abus de droit.
Les schémas d’optimisation fiscale de type coquillard consistent pour une société à combiner, d’une part, la perception de dividendes exonérés d’impôts sur les sociétés en application du régime mère-fille ou du régime de l’intégration fiscale et, d’autre part, la déduction d’une moins-value à court terme issue de la cession ou de l’échange des titres de la société distributrice. Alors même que le législateur est intervenu afin de mettre fin à ces schémas pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2010, le Conseil d’État, par une décision en date du 17 juillet 2013 (1) a jugé que de tels schémas constituaient un abus de droit au sens de l’article L 64 du Livre des procédures fiscales.
La Haute Juridiction a ainsi considéré que les deux conditions de l’abus de droit, à savoir la poursuite d’un objectif exclusivement fiscal (condition subjective) et le non-respect de l’objectif du législateur (condition objective) étaient remplies au cas particulier.
La condamnation de principe des schémas de type coquillard
Dans le cadre de l’affaire soumise au Conseil d’État, une société a acquis des titres de sociétés dont l’actif était essentiellement constitué de liquidités, qu’elle a inscrit en comptabilité en tant que valeur mobilière de placement et, afin de bénéficier du régime mère fille, a pris l’engagement de les conserver pendant deux ans. Dans la foulée, les sociétés rachetées ont distribué leurs liquidités à leur nouvel actionnaire, qui en application du régime mère-fille, a été exonéré d’impôt sur les sociétés au titre des dividendes ainsi perçus. À la clôture de l’exercice, la valeur des titres ainsi acquis étant, du fait de ces distributions, inférieure à leur valeur d’acquisition, la société a comptabilisé une provision pour dépréciation qu’elle a pu déduire de son résultat fiscal, les dépréciations de titres de placement étant soumises au régime fiscal des moins-values à court terme. L’Administration y a vu un abus de droit et a remis en cause l’application du régime mère fille aux distributions de dividendes et le Conseil d’État lui a donc donné raison considérant que ce montage avait été inspiré par un but exclusivement fiscal et avait méconnu les objectifs du législateur. Cette condamnation de principe revêt un grand intérêt d’un point de vue contentieux dans la mesure où selon les conclusions du rapporteur public, Monsieur Aladjidi, « de nombreux autres dossiers reposant sur cette technique d’exonération-déduction sont en instance d’appel ou de cassation ». Bien que certains de ces dossiers renvoient à des configurations partiellement différentes, il semble néanmoins, au regard de la rédaction de la décision commentée, qu’il leur sera difficile, sauf circonstances particulières, d’échapper à la qualification d’abus de droit.
Une évolution des modalités d’appréciation du motif exclusivement fiscal d’une opération
Au cas particulier, la société cessionnaire se prévalait d’un gain de trésorerie réalisé afin d’écarter le but exclusivement fiscal de l’opération. En effet, alors que les trois acquisitions litigieuses avaient été conclues pour un prix global de 1 074 465 euros, les dividendes distribués dans la foulée par les sociétés acquises s’élevaient au montant global de 1 090 575 euros. Le Conseil d’État a mis en parallèle ce gain de trésorerie (égal à 16 110 euros) avec l’avantage fiscal issu de la déduction de la provision pour dépréciation qui s’est traduite par une économie d’impôt d’un montant de 185 988 euros. Il en a conclu que l’avantage de trésorerie, retiré par la société était minime par rapport à l’avantage fiscal que lui avait procuré l’opération si bien que cette dernière doit être réputée comme ayant été conclue dans un but exclusivement fiscal. Eu égard à la modicité de l’avantage de trésorerie par rapport à l’avantage fiscal, lesquels ont pu en outre être précisément chiffrés, la décision du Conseil d’État paraît parfaitement justifiée. Une telle démarche visant ainsi à mettre en parallèle les avantages fiscaux et les autres avantages procurés (qu’ils soient économiques, financiers ou juridiques) sera-t-elle transposable à des situations où ce chiffrage se révèle en tout ou en partie impossible ? En réalité, selon certains auteurs (2), il faut « partir de l’idée que le motif autre que fiscal ne peut être écarté par le juge que s’il présente un caractère négligeable ou minime sans commune avec l’avantage fiscal tiré de ces opérations. Cela signifie qu’il y aura abus de droit si l’avantage juridique recherché n’apparaissait pas en lui-même suffisant pour que soit mise en œuvre l’opération litigieuse (…) ».
Une évolution de l’appréciation des objectifs du régime mère fille
Par la décision commentée, le Conseil d’État considère que le schéma mis en œuvre a eu pour effet de contourner les objectifs du régime mère fille, instauré par l’article 27 d’une loi du 30 juillet 1920. Selon les conclusions du rapporteur public Monsieur Aladjidi, l’objectif de ce régime est de structurer et de renforcer l’économie française, en favorisant la création de groupes de sociétés unies par des liens capitalistiques et en recherchant des synergies entre elles sous l’impulsion de sociétés mères s’impliquant dans le développement de leurs sociétés filles. Ainsi, l’acquisition de sociétés ayant cessé leur activité initiale et liquidé leurs actifs, dans le seul but d’en récupérer les liquidités par des distributions de dividendes exonérés d’impôt sur les sociétés ne serait pas compatible avec les objectifs de ce régime, dès lors que l’appréhension de ces liquidités prive les sociétés filles de la possibilité de retrouver une activité. Une telle approche semble critiquable. En effet, selon une doctrine autorisée (3), il ressort des travaux parlementaires de 1920 que ce régime était en fait destiné à assurer la transparence fiscale des groupes de sociétés afin que la circulation des bénéfices en leur sein s’effectue sans frottement fiscal. L’objectif du législateur était donc de veiller à ce que les règles fiscales n’entravent pas le fonctionnement des groupes de sociétés. Tout au plus pourrait-on considérer que la méconnaissance de l’intention du législateur proviendrait des motifs de la détention des titres qui correspondent uniquement à la recherche d’une économie fiscale.
1-CE, 17 juillet 2013, n°352989, Concl. Frédéric Aladjidi.
2 -Florence Deboissy et Guillaume Wicker, Rachat de sociétés liquides et abus de droit : le Conseil d’État écarte le motif autre que fiscal présentant un caractère négligeable et précise la finalité du régime des sociétés mères ; Droit fiscal, n°41, 10 octobre 2013
3-Florence Deboissy et Guillaume Wicker, op cit
Les schémas d’optimisation fiscale de type coquillard consistent pour une société à combiner, d’une part, la perception de dividendes exonérés d’impôts sur les sociétés en application du régime mère-fille ou du régime de l’intégration fiscale et, d’autre part, la déduction d’une moins-value à court terme issue de la cession ou de l’échange des titres de la société distributrice. Alors même que le législateur est intervenu afin de mettre fin à ces schémas pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2010, le Conseil d’État, par une décision en date du 17 juillet 2013 (1) a jugé que de tels schémas constituaient un abus de droit au sens de l’article L 64 du Livre des procédures fiscales.
La Haute Juridiction a ainsi considéré que les deux conditions de l’abus de droit, à savoir la poursuite d’un objectif exclusivement fiscal (condition subjective) et le non-respect de l’objectif du législateur (condition objective) étaient remplies au cas particulier.
La condamnation de principe des schémas de type coquillard
Dans le cadre de l’affaire soumise au Conseil d’État, une société a acquis des titres de sociétés dont l’actif était essentiellement constitué de liquidités, qu’elle a inscrit en comptabilité en tant que valeur mobilière de placement et, afin de bénéficier du régime mère fille, a pris l’engagement de les conserver pendant deux ans. Dans la foulée, les sociétés rachetées ont distribué leurs liquidités à leur nouvel actionnaire, qui en application du régime mère-fille, a été exonéré d’impôt sur les sociétés au titre des dividendes ainsi perçus. À la clôture de l’exercice, la valeur des titres ainsi acquis étant, du fait de ces distributions, inférieure à leur valeur d’acquisition, la société a comptabilisé une provision pour dépréciation qu’elle a pu déduire de son résultat fiscal, les dépréciations de titres de placement étant soumises au régime fiscal des moins-values à court terme. L’Administration y a vu un abus de droit et a remis en cause l’application du régime mère fille aux distributions de dividendes et le Conseil d’État lui a donc donné raison considérant que ce montage avait été inspiré par un but exclusivement fiscal et avait méconnu les objectifs du législateur. Cette condamnation de principe revêt un grand intérêt d’un point de vue contentieux dans la mesure où selon les conclusions du rapporteur public, Monsieur Aladjidi, « de nombreux autres dossiers reposant sur cette technique d’exonération-déduction sont en instance d’appel ou de cassation ». Bien que certains de ces dossiers renvoient à des configurations partiellement différentes, il semble néanmoins, au regard de la rédaction de la décision commentée, qu’il leur sera difficile, sauf circonstances particulières, d’échapper à la qualification d’abus de droit.
Une évolution des modalités d’appréciation du motif exclusivement fiscal d’une opération
Au cas particulier, la société cessionnaire se prévalait d’un gain de trésorerie réalisé afin d’écarter le but exclusivement fiscal de l’opération. En effet, alors que les trois acquisitions litigieuses avaient été conclues pour un prix global de 1 074 465 euros, les dividendes distribués dans la foulée par les sociétés acquises s’élevaient au montant global de 1 090 575 euros. Le Conseil d’État a mis en parallèle ce gain de trésorerie (égal à 16 110 euros) avec l’avantage fiscal issu de la déduction de la provision pour dépréciation qui s’est traduite par une économie d’impôt d’un montant de 185 988 euros. Il en a conclu que l’avantage de trésorerie, retiré par la société était minime par rapport à l’avantage fiscal que lui avait procuré l’opération si bien que cette dernière doit être réputée comme ayant été conclue dans un but exclusivement fiscal. Eu égard à la modicité de l’avantage de trésorerie par rapport à l’avantage fiscal, lesquels ont pu en outre être précisément chiffrés, la décision du Conseil d’État paraît parfaitement justifiée. Une telle démarche visant ainsi à mettre en parallèle les avantages fiscaux et les autres avantages procurés (qu’ils soient économiques, financiers ou juridiques) sera-t-elle transposable à des situations où ce chiffrage se révèle en tout ou en partie impossible ? En réalité, selon certains auteurs (2), il faut « partir de l’idée que le motif autre que fiscal ne peut être écarté par le juge que s’il présente un caractère négligeable ou minime sans commune avec l’avantage fiscal tiré de ces opérations. Cela signifie qu’il y aura abus de droit si l’avantage juridique recherché n’apparaissait pas en lui-même suffisant pour que soit mise en œuvre l’opération litigieuse (…) ».
Une évolution de l’appréciation des objectifs du régime mère fille
Par la décision commentée, le Conseil d’État considère que le schéma mis en œuvre a eu pour effet de contourner les objectifs du régime mère fille, instauré par l’article 27 d’une loi du 30 juillet 1920. Selon les conclusions du rapporteur public Monsieur Aladjidi, l’objectif de ce régime est de structurer et de renforcer l’économie française, en favorisant la création de groupes de sociétés unies par des liens capitalistiques et en recherchant des synergies entre elles sous l’impulsion de sociétés mères s’impliquant dans le développement de leurs sociétés filles. Ainsi, l’acquisition de sociétés ayant cessé leur activité initiale et liquidé leurs actifs, dans le seul but d’en récupérer les liquidités par des distributions de dividendes exonérés d’impôt sur les sociétés ne serait pas compatible avec les objectifs de ce régime, dès lors que l’appréhension de ces liquidités prive les sociétés filles de la possibilité de retrouver une activité. Une telle approche semble critiquable. En effet, selon une doctrine autorisée (3), il ressort des travaux parlementaires de 1920 que ce régime était en fait destiné à assurer la transparence fiscale des groupes de sociétés afin que la circulation des bénéfices en leur sein s’effectue sans frottement fiscal. L’objectif du législateur était donc de veiller à ce que les règles fiscales n’entravent pas le fonctionnement des groupes de sociétés. Tout au plus pourrait-on considérer que la méconnaissance de l’intention du législateur proviendrait des motifs de la détention des titres qui correspondent uniquement à la recherche d’une économie fiscale.
1-CE, 17 juillet 2013, n°352989, Concl. Frédéric Aladjidi.
2 -Florence Deboissy et Guillaume Wicker, Rachat de sociétés liquides et abus de droit : le Conseil d’État écarte le motif autre que fiscal présentant un caractère négligeable et précise la finalité du régime des sociétés mères ; Droit fiscal, n°41, 10 octobre 2013
3-Florence Deboissy et Guillaume Wicker, op cit