Face à la complexité croissante des défis auxquels sont confrontées les entreprises, les projets collectifs prennent une place de plus en plus stratégique. Intelligence artificielle, changement climatique, gestion de pandémie ou pénurie de médicaments, ces situations demandent qu’une solution globale soit imaginée entre concurrents, très souvent au sein d’organisations professionnelles. Malgré leur objet vertueux, ces projets suscitent des risques nouveaux au regard du droit de la concurrence, risques qu’il convient de maîtriser par l’adoption de mesures de conformité renforcées.

Les associations professionnelles font face à un risque accru, résultant de la conjonction de trois nouvelles approches des autorités de la concurrence : la prise en compte de facteurs de concurrence innovateurs ; l’adoption de règles permettant de relever le montant des sanctions ; et l’utilisation de nouvelles méthodes d’enquête, adaptées aux canaux de communication utilisés au sein des organisations.

De nouvelles zones de risque

En tant que point de rencontre entre concurrents, les associations professionnelles comportent naturellement des risques concurrence. De manière générale, les entreprises ont maintenant formé leurs équipes à ces risques, notamment afin d’éviter les échanges d’informations sensibles, telles que les prix.

Cependant, les autorités évoluent en étendant le champ des facteurs sur lesquels il est prohibé de se concerter. Des facteurs comme la communication sur l’impact environnemental d’un produit peuvent avoir une incidence sur le choix du client, et toute coordination sur ce sujet peut dès lors être analysée comme une entente visant à amenuiser l’intensité de la concurrence entre les entreprises.

Ainsi, dans la décision de l’Autorité de la concurrence (ADLC) de fin 2023 sur le Bisphénol A ou BPA, les échanges sanctionnés ne portaient sur aucun des éléments traditionnels de concurrence ; ils avaient pour seul objet la pertinence d’utiliser la mention "sans BPA" sur des emballages alimentaires. Dans un contexte de forte incertitude réglementaire, des associations professionnelles avaient notamment émis la recommandation de s’abstenir d’apposer cette mention afin d’éviter toute confusion.

Les autorités évoluent en étendant le champ des facteurs sur lesquels il est prohibé de se concerter

L’ADLC a sanctionné plusieurs entreprises et associations, considérant que la communication sur l’absence de BPA constituait un facteur essentiel de concurrence et que les entreprises s’étaient en réalité concertées sur leur stratégie marketing.

Or ces nouveaux enjeux (santé publique, environnement, ressources humaines…) constituent le domaine naturel des associations professionnelles, dès lors qu’ils appellent souvent une solution collective. Les organisations ont en effet souvent la charge de l’interprétation de nouvelles règles, l’adoption d’un nouveau standard pour la profession ou la gestion de projets collectifs, tels que, par exemple, la création d’une plateforme permettant de collecter du big data.

Si les opérationnels ont généralement pris conscience de l’interdiction d’échanger sur des facteurs "classiques" de concurrence, ils sont en revanche moins formés à la gestion des nouveaux risques. Concernant les projets collectifs, cela demande en particulier de se poser les bonnes questions en amont, pour vérifier que l’objectif et les modalités de ce projet sont bien conformes aux règles de concurrence.

Ces questions peuvent même faire l’objet d’une vérification auprès de certaines autorités de concurrence, comme l’ADLC. Celle-ci a ainsi mis en place un dispositif visant à donner des orientations informelles aux organisations qui s’interrogent sur la compatibilité avec les règles de concurrence de leurs projets poursuivant un objectif de développement durable.

Des sanctions accrues

La maîtrise de ces risques est d’autant plus importante que les autorités de concurrence se sont dotées d’instruments leur permettant d’augmenter considérablement le niveau des amendes imposées aux associations et à leurs membres.

Depuis la transposition de la directive ECN+, l’amende imposée à une association peut aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires cumulé de l’ensemble des entreprises membres, contre un plafond de 3 millions d’euros auparavant. Cette nouvelle disposition ne prévoit pas les modalités de répartition du paiement de l’amende entre les membres de l’association, ce qui risque de donner lieu à des discussions complexes, pouvant constituer un facteur additionnel de dissuasion. En outre, l’ADLC s’est dotée en 2023 de nouvelles lignes directrices sur le calcul des sanctions, qui lui laissent une ample marge de manœuvre pour augmenter encore le niveau des amendes.

Si les cas récents restent pour l’instant à un niveau relativement modéré d’amende, ils constituent un sérieux avertissement, ces nouvelles sanctions venant s’ajouter aux risques déjà existants : préjudice d’image, coût de la défense, risque d’actions privées indemnitaires, etc.

De nouvelles méthodes d’enquête

Les autorités de concurrence au niveau international étendent sans cesse la panoplie des méthodes utilisées dans les enquêtes de concurrence, afin de pouvoir contrôler au plus près les nouveaux canaux de communication utilisés par les entreprises. Depuis de nombreuses années, les investigations portent sur les messageries électroniques, beaucoup plus que sur les documents papier, mais cette tendance s’étend aujourd’hui à tous les supports de communication : WhatsApp, chats Teams ou réseaux sociaux, par exemple.

L’amende imposée à une association peut aller jusqu’à 10 % du CA cumulé des entreprises membres

Par ailleurs, l’ADLC n’hésite pas ces dernières années à saisir les autorités pénales lorsque les faits le justifient, ce qui permet d’appliquer des mesures additionnelles. Dans une affaire très récente, dans laquelle des entreprises du BTP ont été condamnées à plus de 75 millions d’euros, l’ADLC avait transmis un rapport au parquet, à la suite duquel le juge d’instruction a notamment fait procéder à des interceptions d’appels téléphoniques.

Ces méthodes en constante évolution sont particulièrement adaptées au contrôle des activités des associations professionnelles qui, à côté des réunions présentielles, ont recours à des réunions virtuelles, des groupes de discussion par mail ou chat et des plateformes virtuelles collaboratives. Il devient ainsi particulièrement important d’encadrer ces échanges par des préconisations claires de conformité, d’autant plus qu’ils peuvent parfois se prolonger pendant des semaines, voire des mois, ce qui rend plus difficile de maintenir un niveau constant de vigilance.

Prise en compte dans les programmes de conformité

Si les règles traditionnelles (demander l’agenda des réunions, se distancier des échanges sensibles) restent bien entendu d’actualité, il apparaît nécessaire de les compléter par une réflexion plus globale :

  • au niveau de l’entreprise : faire un audit des associations du secteur, avec une analyse bénéfices/risques, et garder une liste des personnes désignées pour y assister ;
  • au niveau de l’association : les organes dirigeants doivent s’assurer que le fonctionnement de l’association est conforme aux règles de concurrence, sur un plan global (règles d’admission, mécanismes sécurisés d’échange d’informations) mais également concernant des projets concrets : l’objectif poursuivi par le projet est-il véritablement légitime ? Quels sont les informations et points d’accord indispensables afin d’atteindre cet objectif ? Quelles mesures de sauvegarde mettre en place afin de s’assurer que les discussions ne portent pas sur des sujets allant audelà du périmètre du projet ?
  • au niveau individuel : les personnes assistant aux réunions doivent vérifier que les règles sont respectées au jour le jour, et doivent soulever le point au cas contraire, soit auprès de l’association, soit de leur propre service juridique.

Ces mesures traduisent une approche plus stratégique de la conformité concurrence, afin de se prémunir contre des risques de plus en plus complexes et divers.

SUR LES AUTEURS

Marta Giner Asins est responsable de la pratique sciences de la vie et santé au sein du bureau parisien de Norton Rose Fulbright et dirige la pratique droit de la concurrence et distribution. Elle est membre des barreaux de Valence, en Espagne, et de Paris.

Adrien Barrocas est avocat en droit de la concurrence et se concentre sur les pratiques anticoncurrentielles et le contrôle des concentrations.

Avec la collaboration d’Adrien Perrier, élève-avocat.

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Marta Giner Asins

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