Guérir quelqu’un d’un coup de seringue, voilà l’espoir porté par les thérapies personnalisées. Un idéal et des coûts que le système de remboursement français peine à digérer. Associés du cabinet Hogan Lovells et experts de l’industrie de santé, Charlotte Damiano et Mikael Salmela, livrent les meilleures pistes pour nous saisir de ces traitements innovants.

Décideurs. Les thérapies innovantes, dont les thérapies géniques, peinent à être intégrées au système français. S’agit-il d’une adoption lente ou d’une incompatibilité ?
Charlotte Damiano. De prime abord, les autorités françaises ne se sont pas saisies du sujet des thérapies géniques. Tant en matière de financement que celui du remboursement, les prix fixés par les laboratoires leur semblaient trop élevés. Dans un deuxième temps, les effets d’annonce en faveur de l’innovation ont suivi. En ce moment, s’amorce la mise en musique de ces annonces avec des arrivées sur le marché des nouvelles thérapies après les premières, emblématiques.

Pour l’État et le ministère, une thérapie génique avoisine les 150 000 euros de budget. La tarification pose problème. Le budget général en France dépend de la sécurité sociale et du cadre de fixation du prix des médicaments de thérapie innovante qui a été récemment modifié. Les premiers contrats de prix entrant dans ce cadre légal sont en attente du cadre réglementaire en passe d’être finalisé.

Mikael Salmela. J’interviens sur des dossiers relatifs à la préparation et la mise en œuvre des thérapies. La contractualisation souffre régulièrement autant de lenteurs que de difficultés, ou plutôt d’une combinaison des deux. Les accords qui préparent l’arrivée et la mise à disposition des produits s’avèrent souvent trop éloignés de la réalité du terrain. Par exemple, la sélection des patients ou encore le traitement des échantillons humains exigent la mise en place d’accords et de prise en charge des patients très spécifiques. La contractualisation de ces types d’intervention se fonde sur des schémas mis au point par des laboratoires. Certains acteurs français, plus habitués à des partenariats avec des entités publiques ou académiques, ne sont pas toujours à l’aise avec les mécanismes proposés et les allocations de risques/responsabilités dans ce contexte.

"Le budget général en France dépend de la sécurité sociale et du cadre de fixation du prix des médicaments de thérapie innovante qui a été récemment modifié" Charlotte Damiano

Quels écueils avez-vous pu rencontrer de manière récurrente ?
M. S. Certains fabricants pensaient initialement pouvoir opérer à partir de cadres contractuels préexistants pour des thérapies classiques. Cependant, la complexité inhérente à la production et la fourniture de thérapies géniques dépassent les cadres existants. Des clauses de garanties, par exemple, pouvaient manquer de rigueur, voire se révéler inadaptées. Si un produit livré à l’hôpital ne peut plus être administré pour des raisons non imputables au laboratoire, qui en assume le risque ? Dans une logique classique, une fois la livraison effectuée, le risque est porté par l’hôpital. Certains établissements de soins considèrent que le risque devrait être porté par le fabricant tant que la dose n’a pas été administrée au patient. Un traitement qui coûte extrêmement cher par patient exige des mécanismes bien précis.

Quels écueils, contractuels et réglementaires, entravent le développement de ces thérapies ?
C. D. La donnée de vie réelle à exploiter n’est pas toujours aisée à prendre en compte. Certains patients décèdent, d’autres ne sont pas répondants. Il devient problématique de fonder des décisions ou des critères de performance sur un seul ensemble ou base de données. Il est préférable d’inclure les registres, recouper les informations… malgré la volonté affichée, les autorités nous oppose que cela reste compliqué. Mais si le socle de données sur lequel le comité fonde ses critères est trop restreint, les contrats incluront des clauses de remises problématiques à déboucler.

M. S. Le développement de thérapies génique comporte un volet réglementaire spécifique en matière d’import/export d’échantillons humains et des contraintes en matière de données personnelles, tant pour des traitements autologues qu’allogéniques. La réglementation actuelle encadrant notamment la circulation de ces échantillons au sein de l’UE et hors de l’UE n’étant pas encore harmonisée (cela devrait changer avec le Règlement SoHo), la mise en place des projets est vue par les acteurs étrangers comme inutilement complexe. Du point de vue contractuel, la convention unique a eu le mérite de simplifier le process de contractualisation, mais sa rigidité ne permet pas toujours de faire face aux singularités des thérapies géniques (ou plus généralement des médicaments de thérapie innovante). 

Des modélisations de coûts et des études médico-économiques intègrent les gains liés à ces thérapies. Ces éléments faciliteraient-ils un remboursement de ces thérapies ?
C. D.
C’est une demande que je porte depuis au minimum cinq ans. Nous avions établi avec un laboratoire un projet de réforme clé en main au profit du gouvernement. La réforme devait porter non seulement sur le stade de l’évaluation scientifique, mais aussi ceux du remboursement et du pricing justement pour que les autorités intègrent des études multifacteurs intégrant les économies sur certains postes et non pas uniquement le coût du traitement. Cette réforme n’a pas vu le jour. Les critères multifacteurs, présentant le coût d’un produit et les économies qu’il entraîne, ne sont pas étudiés par le comité économique. Ce n’est pas non plus envisagé à court terme. Le comité, garant d’une logique budgétaire annuelle ne prend en compte que le coût d’un produit. Il considère que les économies sur d’autres postes ne relèvent pas de son office. Ce serait pourtant un moyen de mieux tarifer ces thérapies curatives.

"L’État veut financer l’innovation mais n’a pas les moyens de ses ambitions" Mikael Salmela

Pour quelles raisons, selon vous ?
C. D.
Le système de santé français, d’une part, souscrit surtout à une vision budgétaire annuelle. D’autre part, il entretient un raisonnement en silo et une mauvaise priorisation de la stratégie de santé publique où sont remboursés la plupart des actes médicaux, des arrêts maladie… L’État veut financer l’innovation mais n’a pas les moyens de ses ambitions. Personne ne définit de stratégie globale de remboursement pour les pathologies en France. Cela explique les directives limitées du comité économique.

Quel changement de paradigme pourrait constituer des pistes pérennes de financement ?
M. S.
L’éligibilité au remboursement pourrait s’appuyer sur des études médico-éco multifacteurs, des preuves et des démonstrations selon des critères de performance précis. Les industriels devront financer ces études, tout en prenant garde d’éviter les biais ou les conflits d’intérêts.

C. D. Le principal problème est budgétaire. Il faut définir des priorités de santé publique pour financer les vraies innovations en France. Désigner une personne à qui incombe une stratégie globale de financement constitue une piste. Notre stratégie globale pourrait également reposer sur des enveloppes qu’il serait possible d’adapter en cours d’année, puisqu’un produit innovant peut se développer à tout moment. Le fonctionnement de la clause de sauvegarde devrait également être revu pour financer une partie de l’innovation et non pas venir combler une partie des déficits. 

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