Fin mars, l’État annonçait un gel tarifaire pour l’hôpital privé, en 2024. Myriam Combes, directrice de la stratégie et des relations médicales du groupe d’hospitalisation privée Elsan présente les dynamiques de l’innovation à l’hôpital, également visées par l’encadrement des tarifs.
Myriam Combes (Elsan) : "Les 1 030 hôpitaux privés de France se mobilisent pour demander au gouvernement de revoir sa copie"
Décideurs. Au sein de l’hôpital, de quelle manière les innovations médicales progressent-elles?
Myriam Combes. L’hôpital demeure un haut lieu de l’innovation. Cependant, plus que dans d’autres secteurs, celui de la santé se heurte à plusieurs barrières. Les médecins, eux-mêmes, peuvent montrer une certaine réticence à mettre en œuvre une nouvelle solution ou technique dont ils ne perçoivent pas immédiatement le bénéfice. Leurs charges de travail s’opposent aux innovations qui demandent du temps, dont les praticiens ne disposent pas forcément.
Influer sur la vie ou la qualité de vie des individus doit comporter une barrière à l’entrée. Il y va de la sécurité des patients et des soignants qui seront les utilisateurs de ces technologies. Au sein des dispositifs médicaux, par exemple, les algorithmes doivent être figés pour être validés. C’est une caractéristique propre à l’industrie de la santé où la régulation sert à protéger. Les autres secteurs progressent avec moins de restrictions. En l’occurrence, les algorithmes de leurs dispositifs sont entraînés en permanence et les solutions rapidement déployées. Il est indispensable de trouver un juste milieu entre les nécessaires consignes de sécurité et l’amélioration continue des solutions.
Quel critère favoriserait l’adoption d’innovations par les professionnels de l’hôpital ?
Les soignants tendent à accepter une innovation s’ils perçoivent le bénéfice qu’elle apporte au patient. Le bien-fondé du cas d’usage doit être limpide pour le personnel médical. Prenons pour exemple la détection des fractures aux urgences. Après une mauvaise chute ou un choc, les urgentistes établissent un premier diagnostic à la lecture de radios, que les radiologues analyseront ultérieurement. Or, 20 % des fractures restent non détectées par l’urgentiste. Fort de ce constat, huit de nos établissements testent la lecture de radios par une IA, qui, elle, est fiable à 98 %. Plutôt que d’attendre de relire les radios, les radiologues sont sollicités dès que l’IA émet un doute. Ce déploiement améliore la qualité de vie des personnels soignants, ainsi que la prise en charge des patients.
"Le bien-fondé du cas d’usage doit être limpide pour le personnel médical"
De leur côté, lorsque le bénéfice est moins frappant, les médecins se fieront à des études qui reposent sur des paramètres relatifs au patient : l’expérience, la suite post-opératoire, la capacité de récupération ou encore la précision des traitements. Le point de contention le plus fort de l’innovation reste celui de son financement. Particulièrement, après ces récentes annonces.
Le 26 mars, le gouvernement annonçait la hausse du prix des prestations de 4,3% pour les établissements publics, pour une augmentation de seulement 0,3% pour celles du privé. Qu’en pensez-vous ?
Le gel des tarifs, combiné à l’inflation de 4% annoncée pour 2024, est incompréhensible pour nous. Plus l’hôpital privé soigne, plus il travaille à perte. Aujourd’hui, 40 % des établissements privés sont déficitaires. Avec cette mesure, 60 % des établissements tomberont en dessous du seuil de rentabilité. Les conséquences seront graves autant pour les soignants que pour les patients. Pour cette raison, les 1 030 hôpitaux privés de France se mobilisent pour demander au gouvernement de revoir sa copie.
"Une grève totale est prévue à partir du 3 juin 2024"
Cette incohérence ne relève pas uniquement de l’hôpital privé mais de la médecine libérale dans sa globalité. Les médecins libéraux, qui ont quitté la table des discussions avec la Cnam, se mobilisent avec la Fédération de l’hospitalisation privée appelant à un arrêt d’activité. Une grève totale est prévue à partir du 3 juin 2024.
En qualité de chirurgienne et d’ancienne cheffe de service, j’ai une grande confiance en notre intelligence collective. Nous devons trouver des solutions de complémentarité entre le public et le privé, afin de conserver le contrat social qui caractérise le secteur de la santé en France.
Comment expliquez-vous l’origine de cette décision ?
J’ai conscience des difficultés financières que traverse le pays. Les économies envisagées doivent être réfléchies. Mais il faut regarder les chiffres. Pour un acte médical identique, historiquement, celui effectué dans un hôpital privé coûte déjà, à la société française, entre 20 à 30 % de moins que celui délivré dans le public. Un patient hospitalisé dans le privé coûte donc moins cher aux finances publiques. Pourquoi pénaliser encore plus l’hôpital privé aujourd’hui, alors qu’il démontre son efficience ?
"Récemment, un certain nombre de mesures discriminatoires ont montré une préférence pour le secteur public"
Cette décision tarifaire, incohérente économiquement, semble traduire un certain mépris du gouvernement. Dans le sillage de la pandémie pourtant, celui-ci avait conscience que l’hôpital privé avait sa place et son rôle à jouer. Récemment, un certain nombre de mesures discriminatoires ont montré une préférence pour le secteur public. Ce gel des tarifs n’est que la concrétisation du manque de reconnaissance, tant envers les missions des personnels soignants qui exercent les mêmes fonctions qu’à l’hôpital public, que vis-à-vis du rôle et du poids de l’hospitalisation privée.
Si le gel tarifaire se maintenait, quelles conséquences anticipez-vous ?
Quand on affaiblit l’hospitalisation privée, c’est tout le système de santé qu’on affaiblit. Ce gel tarifaire va faire trois victimes : les patients, car l’offre de soins sera réduite, l’ensemble des personnels et les médecins qui risquent d’être privés d’exercice. Ce qui interpelle lorsqu’on sait qu’un patient sur deux est opéré en hôpital privé où sont également traités 40 % de ceux victimes de cancers et plus de 20 % de ceux qui nécessitent des soins palliatifs. Et ce, alors même que le secteur investit près d’un milliard d’euros par an, notamment dans l’innovation au service des patients.
Propos recueillis par Alexandra Bui