D. Moisy-Gouarin (Elsan) : "Pour les médecins, l’IA est une véritable aide au diagnostic"
Décideurs. Au cœur d’un secteur en constante évolution, de quelle manière l’IA s’invite-t-elle dans les parcours de soins ?
Dorothée Moisy-Gouarin. En matière d’intelligence artificielle, l’imagerie médicale constitue le secteur le plus mature. L’an dernier, nous avons mis en place un partenariat avec la société Incepto afin d’exploiter sa solution de détection radiographique de fractures. Après l’avoir testée en conditions réelles dans un de nos établissements à Agen, nous avons constaté que les fractures non identifiées avoisinaient les 18%. Grâce à l’IA, ce taux est passé à 3%. Pour les radiologues et médecins urgentistes, cet outil se présente comme une véritable aide au diagnostic face au volume d’images qu’ils traitent.
De même, l’amélioration de l’expérience patient compte parmi nos projets phare. Ils sont notamment portés par la direction de la stratégie et des relations médicales et par la direction de la qualité. Globalement, les établissements de santé s’appuient sur les retours de patients recueillis au sein de l’enquête nationale e-Satis. Pour aller plus loin, nous avons analysé 640 000 commentaires avec une brique de traitement automatique des langages dès 2018. Ce gros plan sur les verbatims permet ainsi une optimisation de l’expérience patient à l’échelle de chaque établissement Elsan.
Qu’en est-il de la réalité virtuelle ?
Si nos chirurgiens utilisent la reconstitution 3D pour préparer leurs opérations, elle peut également les accompagner jusque dans le bloc opératoire grâce à des lunettes de réalité mixte qui superposent ces modélisations directement sur le corps du patient.
Au sein de l’un de nos établissements, l’Institut H.Hartmann, nous avons lancé un simulateur de radiothérapie avec le concours de l’Institut Rafael et Dassault Systèmes. En plus d’être une première mondiale, il contribue à rassurer le patient avant une radiothérapie pour améliorer l’efficacité du traitement.
Les patients et soignants sont au cœur des innovations d’Elsan. À mesure que les médecins bénéficient de l’intelligence artificielle et de la réalité virtuelle pour un soutien au diagnostic et aux soins, la qualité de la prise en charge se perfectionne.
Et pour le bien-être des soignants, quelle démarche mettez-vous en place ?
Alors qu’elle va de soi dans de nombreux secteurs, la QVT (qualité de vie au travail) accuse un retard dans le monde de la santé. En raison des facteurs physiques du métier de soignant, les accidents de travail sont fréquents. Dès 2021, nous nous sommes dotés de l’outil Acciline + pour mesurer ces événements. L’analyse des données recueillies a notamment permis d’identifier des leviers concrets et actionnables tels que recommander l’achat de pieds à perfusion hydrauliques. Ils évitent aux infirmières de monter sur une chaise ou se blesser pour suspendre les perfusions. Ces résultats ont également mis en lumière le besoin de formation auprès des personnes les plus concernées, notamment celles qui ont moins de trois ans d’expérience. Entre 2021 et 2022, ces dispositions ont permis de réduire de 15% les journées d’absence liées aux accidents de travail dans nos établissements. Une preuve des bienfaits de la transposition des bonnes pratiques, et ce, des secteurs de l’industrie au domaine de la santé.
"La qualité de vie au travail accuse un retard dans le monde de la santé"
Qu'attendez-vous de plus sur le plan réglementaire ?
Les réglementations adoptées et en discussion vont dans le bon sens. Quel que soit l’objet, des dispositifs médicaux (DM) jusqu’aux outils basés sur l’IA, il faut trouver le bon compromis entre faciliter et sécuriser l’innovation. Si le nouveau règlement européen relatif aux DM assure une protection fondamentale en matière de certification, en particulier sur les preuves cliniques, il faut trouver des moyens de mise en œuvre qui ne ralentissent pas l’innovation. Le véritable enjeu consiste à éviter la fuite des fabricants innovants vers d’autres marchés face au rallongement des processus de mise sur le marché.
En règle générale, la réglementation des IA doit être pensée dans leur contexte global d’utilisation. Si un algorithme est solide, l’UI et l’UX [pour User interface et User eXperience, interface et expérience utilisateur en français, Ndlr] doivent également être irréprochables afin d’éviter d’induire en erreur le professionnel.
Enfin, le remboursement constitue un pilier. Les usages d’outils à base d’IA ne se développeront pas si les coûts supplémentaires ne sont pas financés de manière pérenne.
Propos recueillis par Léa Pierre-Joseph