Les Certificats complémentaires de protection (ou "CCP") prolongent de plusieurs années la protection des médicaments, conférée par les brevets. Les CCP étendent donc le monopole d’exploitation des médicaments et constituent un droit important pour l’industrie pharmaceutique. Mais une des conditions d’obtention des CCP a été rendue de plus en plus contraignante par les tribunaux ces dix dernières années. Une inversion de cette tendance peut-elle être espérée ?

Le certificat complémentaire de protection (CCP) est un titre de propriété industrielle, qui a été institué par un Règlement communautaire en 1992.

Ce droit a été créé pour augmenter jusqu’à cinq ans (et même cinq ans et demi dans certains cas) la durée de protection conférée par les brevets de médicaments. En effet, la protection par brevet dure vingt ans. Or, il faut souvent plus de dix ans avant qu’une AMM soit obtenue et que le médicament puisse être exploité. Ainsi, contrairement aux autres inventions, qui peuvent être rapidement exploitées après le dépôt du brevet, les médicaments bénéficient d’une protection effective par brevet, qui est souvent inférieure à dix ans.

Pour qu’un CCP soit délivré, il faut que les conditions fixées par le Règlement communautaire soient remplies et en particulier que le principe actif du médicament soit protégé par un brevet, qu’on appelle le "brevet de base" du CCP, et qu’une AMM ait été délivrée pour le médicament. Ce sont les offices de brevet de chaque pays (en France, l’INPI), qui examinent si ces conditions sont respectées.

Mais que faut-il entendre par "le médicament doit être protégé par un brevet" ? Il est admis, en droit des brevets, qu’un produit est protégé par un brevet lorsqu’il entre dans la portée des revendications de ce brevet. Par exemple, si les revendications du brevet portent sur un ensemble de produits définis par une formule chimique générale, tout produit entrant dans cette définition générale, qu’ils soient décrits explicitement ou non par le brevet, peut être considéré comme protégé par le brevet. Cela signifie que si un concurrent commercialise un tel produit, il commet un acte de contrefaçon. C’est pourquoi cette façon de déterminer si un produit est protégé ou non par un brevet, est appelée le "test de contrefaçon".

"Au terme des récents arrêts de la cour d’appel, il paraissait très difficile, voire impossible, d’obtenir un CCP pour une invention issue de la recherche amont"

Jusqu’en 2011, la situation était simple et on considérait qu’un CCP pouvait être délivré dès lors que le produit respectait le test de contrefaçon, et cela sans même que ce produit soit nécessairement décrit dans le brevet de base.

Mais à partir de 2011, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu une série de décisions qui toutes ont écarté le test de la contrefaçon et imposé d’autres critères pour déterminer si un produit était protégé ou non par le brevet. La dernière de ces décisions a été rendue le 30 avril 2020, dans une affaire Royalty Pharma Collection Trust (RPTC).

RPCT, un organisme qui finance la recherche, avait obtenu un brevet dans plusieurs pays européens, dont l’Allemagne et la France. Les revendications du brevet RPCT concernaient une méthode pour le traitement du diabète par injection d’inhibiteurs d’une enzyme, la DP IV. Le brevet RPCT, s’il ne décrivait qu’un seul produit exerçant cette fonction inhibitrice de l’enzyme DP IV, couvrait une invention ouvrant une nouvelle voie thérapeutique pour le traitement du diabète.

Et c’est grâce à l’invention de RPCT, issue d’une recherche amont, que plusieurs sociétés pharmaceutiques ont pu développer par la suite de nouvelles molécules inhibitrices de l’enzyme DP IV, qu’elles ont protégées par des brevets postérieurs à celui de RPCT. Ces sociétés ont obtenu des AMM pour ces nouvelles molécules et les ont mises sur le marché.

Toutefois, comme ces produits assuraient la fonction inhibitrice revendiquée par le brevet de RPCT, elles ne pouvaient être exploitées qu’à la condition de prendre une licence auprès de RPCT, ce que ces sociétés pharmaceutiques ont fait.

RPCT a ensuite déposé des CCP sur la base de son brevet pour chacune de ces nouvelles molécules inhibitrices afin de prolonger la durée de la protection de son brevet et de continuer à percevoir des royalties. Selon la jurisprudence, il est en effet possible pour le titulaire d’un brevet d’obtenir un CCP en référence à un médicament dont l’AMM appartient à un tiers, notamment un licencié.

Mais l’office allemand des brevets a refusé la délivrance de ces CCP considérant que le brevet de RPCT, qui ne décrivait pas explicitement ces nouveaux produits, ne les protégeait pas au sens du Règlement communautaire sur les CCP.

L’affaire a finalement été portée devant la CJUE qui a décidé qu’un produit est protégé par un brevet s’il entre dans la définition des revendications, s’il peut être identifié dans le brevet par un homme du métier et s’il n’a pas été développé après la date de dépôt du brevet de base, au terme d’une activité inventive autonome. À la suite de la décision de la CJUE, la cour d’appel de Paris a eu à se prononcer sur la validité des CCP déposées en France par RPCT. Elle a considéré que ces CCP n’étaient pas valables puisque les produits avaient été développés postérieurement au dépôt du brevet RPCT et faisaient l’objet de brevets, obtenus par les sociétés pharmaceutiques, les protégeant explicitement. En effet, selon la cour, le fait que des brevets ultérieurs aient été délivrés pour ces produits spécifiques prouvait qu’ils avaient été développés au terme d’une activité inventive autonome et donc, conformément à la décision de la CJUE, ils ne pouvaient pas être considérés comme protégés par le brevet de RPCT. C’est en suivant ce raisonnement, que la cour d’appel a refusé, à plusieurs reprises, des CCP basés sur des brevets issus d’une recherche amont, déposés par des organismes de recherche ou par des laboratoires pharmaceutiques, dès lors que les produits de ces CCP faisaient l’objet de brevets ultérieurs, les protégeant spécifiquement.

Au terme de ces arrêts de la cour d’appel, il paraissait très difficile, voire impossible, d’obtenir un CCP pour une invention issue de la recherche amont. Mais, dans un arrêt du 25 mai 2022 (Dana-Farber Cancer Institute), la cour d’appel de Paris a rendu une décision contraire à sa jurisprudence habituelle. Elle a en effet considéré qu’un CCP pouvait être délivré sur la base d’un brevet qui ne décrit pas explicitement le produit du CCP, quand bien même ce produit fait l’objet d’un autre brevet subséquent, le protégeant spécifiquement. La question se pose donc de savoir si à l’avenir, les CCP pourront être délivrés sur la base de brevets protégeant des inventions qui ouvrent de nouvelles voies thérapeutiques mais qui, souvent, ne décrivent pas explicitement les produits qui seront finalement mis sur le marché, ou si au contraire les CCP sont réservés aux industriels qui développent de nouvelles molécules en se servant de ces inventions amont. Une décision de la Cour de cassation sur cette question est attendue à l’automne 2022 et, on peut l’espérer, fixera la règle.

SUR L'AUTEUR 

Docteur en pharmacie, Thierry Caen a débuté sa carrière dans l’industrie, en 1985. Il rejoint le cabinet Santarelli en 1998 et en devient l’associé responsable de la pharmacie en 2004. Il consacre une part importante de son activité aux litiges brevets dans ce domaine et aux Certificats Complémentaires de Protection (CCP).

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