La télémédecine est une pratique en plein essor, encouragée par le gouvernement et les autorités de santé mais qui s’inscrit pourtant dans un cadre réglementaire laconique. La présence d’intérêts contradictoires, tels que la nécessité de partager des données personnelles de santé et celle de préserver le secret médical, complexifie la mise en place des partenariats entre les différents acteurs.

Si la télémédecine, en tant que composante majeure de l’e-santé, s’apparente au premier abord à une pratique moderne, voire innovante, il s’agit en réalité d’une pratique inscrite dans notre droit depuis plus de dix ans, introduite par la loi dite "HPST" 1.

Les pratiques relevant de la télémédecine ont naturellement évolué, les termes utilisés pour les désigner également. Après avoir déterminé des sous-catégories d’actes de télémédecine (la téléconsultation, la télésurveillance, la télé-expertise et la téléassistance) 2, la télémédecine a été distinguée en fonction de ses acteurs : la "télémédecine" est désormais réservée aux professionnels médicaux tandis que le "télésoin" désigne les actes réalisés par les pharmaciens et auxiliaires de santé. Ces deux pratiques, télémédecine et télésoin, sont regroupées sous une appellation nouvelle : la "télésanté" 3.

Accélérée par la pandémie de Covid-19, la télémédecine a connu un essor spectaculaire ces dernières années. En effet, le confinement a permis la démocratisation des techniques de consultation à distance et a rendu nécessaire une évolution rapide de la réglementation. Ainsi, en France plusieurs mesures ont été prises afin d’autoriser certaines dérogations (assouplissement des conditions de réalisation et de facturation, prise en charge à 100 % des téléconsultations pour tous les patients, ouverture du télésoin pour les orthophonistes, ouverture du télésuivi infirmier, etc.) 4. La plupart de ces pratiques temporaires sont entrées dans le droit commun et occupent désormais une place pérenne dans notre système de santé.

Une solution qui apporte de nouveaux défis

Bien que la télémédecine ait permis d’apporter une réponse aux défis rencontrés au cours de ces dernières années, aussi bien pour corriger les inégalités créées par les déserts médicaux que pour apporter des réponses concrètes lors de la pandémie, force est de constater que ces nouveaux usages s’inscrivent dans un cadre réglementaire extrêmement complexe et parfois lacunaire. 

"Force est de constater que ces nouveaux usages s’inscrivent dans un cadre réglementaire extrêmement complexe et parfois lacunaire"

Dans ce contexte, de nouvelles pratiques et techniques fleurissent, tandis que le cadre juridique, lui, peine à évoluer de concert. Parmi ces avancées, les télécabines de consultation illustrent parfaitement la complexité qui accompagne le développement de nouvelles solutions de télémédecine ainsi que les risques de dérives auxquels ils sont en proie. Il s’agit pour les acteurs du secteur de concilier ces nouvelles solutions avec les exigences fondamentales que sont notamment le respect du secret médical, des principes déontologiques, du parcours de soins, de la sécurité des données personnelles en particulier des données relatives à la santé.

Déploiement des cabines de consultation

À l’origine, développées pour pallier les déserts médicaux, les télécabines soulèvent une multitude de questions. Du dispositif médical utilisé pour la réalisation de l’acte de téléconsultation, en passant par le système qui sera mis en place pour sécuriser le flux de données du patient, ainsi que par les professionnels de santé consultés et le lieu de la consultation, le développement de ces outils suppose une analyse et une compréhension exhaustive du cadre réglementaire.

• Télécabines dans les locaux commerciaux

Une télécabine ne peut pas être installée n’importe où. Il a en effet été nécessaire de rappeler que certaines situations sont incompatibles avec un exercice déontologique de la médecine.

L’ installation de télécabines dans les centres commerciaux a poussé le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) à se prononcer sur la question : s’il a souligné qu’il ne s’agit pas d’un exercice de la médecine dans un lieu commercial, le CNOM a cependant jugé inacceptable l’installation dans les supermarchés car allant à l’encontre des principes déontologiques selon lesquels les médecins ne doivent pas exercer la médecine comme un commerce, dans des conditions de nature à déconsidérer la profession ou dans des conditions ne garantissant pas toujours la confidentialité 5.

Concernant les téléconsultations proposées dans des locaux commerciaux de professionnels de santé (par exemple, chez un opticien), le CNOM a adopté une position plus flexible, la rendant possible sous réserve du respect d’un certain nombre de conditions. Celles-ci sont nécessaires pour encadrer la participation du médecin à cette activité et ainsi éviter les risques de conflit d’intérêts et de compérage 6.

• Le secret médical et la protection des données personnelles

Les solutions de téléconsultation impliquent un partage de données médicales du patient, la confidentialité de la télécabine est donc impérative. L’assistance du patient lors de la téléconsultation est envisageable, mais possible uniquement lorsqu’il s’agit d’autres professionnels de santé ou de personnel soumis au secret professionnel.

Le secret médical revêt un caractère absolu et général, personne ne peut délier le professionnel de santé de son obligation, pas même le patient

La question de la violation du secret médical par le professionnel de santé est un point sensible. En effet, le secret médical revêt un caractère absolu et général, personne ne peut délier le professionnel de santé de son obligation, pas même le patient 7. Ainsi, le prestataire responsable de la solution doit informer le médecin téléconsultant du cadre, du lieu et du contexte de la réalisation de la téléconsultation et de sa prise en charge. Par ailleurs, il est entendu qu’un dispositif d’authentification forte sera essentiel pour en reconnaître les utilisateurs et leur donner les accès nécessaires 8.

• Les risques de mésusage de la télémédecine

Dans un rapport concernant le mésusage de la télémédecine, le CNOM rappelle fermement les risques de dérives qui découleraient d’une mauvaise mise en oeuvre de la téléconsultation et tout particulièrement des télécabines 9. Il est impératif de respecter un parcours de soins coordonné et de s’inscrire dans un cadre territorial défini afin d’éviter les relations numériques et éphémères entre patient et médecin, ceci afin de répondre aux exigences d’éthique, de qualité, de sécurité et de continuité des soins.

Conclusion

La télémédecine continue de se déployer et son bénéfice est incontestable. Il conviendrait cependant que soit également développé le cadre réglementaire dans lequel s’inscrivent ces nouvelles pratiques afin d’en permettre l’essor tout en limitant les risques de porter atteinte aux exigences déontologiques essentielles.

LES POINTS CLÉS

  • Essor et démocratisation des pratiques relevant de la télésanté depuis la pandémie de Covid-19 ;
  • Complexité et lacunes d’un cadre réglementaire parfois inadapté face à l’évolution des pratiques et techniques relevant
    de la télémédecine ;
  • Des nouvelles pratiques telles que les télécabines suscitant de nombreuses interrogations ainsi que des risques
    de mésusage ;
  • Importance de développer un cadre réglementaire conciliant le déploiement des solutions de la télémédecine avec
    le respect des exigences déontologiques et des grands principes fondamentaux (secret médical, protection
    des données personnelles, confidentialité, respect du parcours de soins).

SUR LES AUTEURS

Alexandre Vuchot, co-Managing Partner de Bird & Bird dirige le département commercial du bureau parisien. Johanna Harelimana est avocat collaboratrice au sein de Bird & Bird à Paris. Son activité est dédiée aux sciences de la vie et au droit de la santé.

Notes de bas de page 

1 Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (Loi « HPST » - Hôpital, Patients, Santé, Territoires) ;

2 Article R. 6316-1 du code de la santé publique ;

3 Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé (articles 53 à 55) ;

4 Recommandations régionales de l’ARS Île-de-France « Covid-19 : Télésanté en phase épidémique – version n° 5 – 16 novembre 2020 »

5 https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/rapports/teleconsultations-locaux-commerciaux  

6 https://www.conseil-national.medecin.fr/publications/rapports/teleconsultations-locaux-commerciaux

7 Article L. 1110-4 du code de santé publique 2

8 Fiche CNIL : Télémédecine : comment protéger les données des patients – 7 septembre 2018

9 Rapport adopté lors de la Session du CNOM de décembre 2020, mis à jour les 8 octobre 2021 et 4 février 2022.

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Alexandre Vuchot

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