Dans l’industrie pharmaceutique depuis 30 ans, l’américain Amgen s’est élevé au rang de leader en matière de biotechnologies médicales. Corinne Blachier-Poisson, directrice générale d’Amgen France, explique la transition vers les biosimilaires, ainsi que le renouvellement du rôle des laboratoires dans l’écosystème de la santé.
Corinne Blachier-Poisson (Amgen France) : "L’adoption des biosimilaires est plus lente en France qu’en Europe"
Décideurs. Depuis dix ans, Amgen s’est engagé vers les biosimilaires, les copies de molécules biologiques dont les brevets sont tombés dans le domaine public. Que pouvez-vous nous en dire ?
Corinne Blachier-Poisson. Puisque leur prix est inférieur à celui des princeps, les biosimilaires engendrent des économies au sein du système de santé, et par là-même contribuent à financer l’innovation. Dans notre stratégie de leader en biotech qui priorise l’innovation, il était logique que nous nous intéressions à l’élaboration de ce type de traitements. Aujourd’hui, nous avons plusieurs biosimilaires commercialisés en France et aux États-Unis, ainsi qu’un pipeline de produits à lancer dans les années à venir.
Cependant, le développement d’un biosimilaire est extrêmement complexe. Aux coûts d’élaboration s’ajoutent ceux des essais cliniques, ce qui n’est pas le cas des génériques. Ce processus peut occasionner des investissements de plusieurs centaines de millions de dollars. Enfin, il s’agit d’une production plus longue, où les standards sont élevés et où une seule contamination provoque un arrêt de la production. Surtout, en tant que leader en la matière, nous avons accumulé des niveaux de compétences, de connaissances et de capacités de production très importantes.
Depuis cette année, il est désormais possible de remplacer certains médicaments biologiques par leurs biosimilaires. Quelle est votre position ?
Nous sommes favorables à ce remplacement des médicaments biologiques, ou pour le dire autrement, à la pénétration du marché biologique par les biosimilaires. Nous souhaitons cependant que cette adoption se fasse en créant de la confiance chez le patient et le professionnel de santé. De fait, l’industrie a tiré les leçons du passage aux génériques il y a 25 ans, lors duquel le médecin avait été exclu du processus de décision. En conséquence, la méfiance du patient avait jeté le discrédit sur ces médicaments.
Alors qu’un nombre croissant de molécules biosimilaires arrive sur le marché, la France s’est engagée dans un processus progressif. En particulier à l’hôpital où le remplacement s’effectue rapidement. En ville, le choix d’un traitement biosimilaire est laissé au médecin. La responsabilité de l’interchangeabilité lui revient. Il est le plus à même d’expliquer cette alternative au patient, qu’il s’agisse amorcer un traitement avec un biosimilaire, ou encore le changement d’un régime existant pour celle-ci.
"L’adoption des biosimilaires est cependant plus lente en France : elle est de 69% à l’hôpital et de seulement 23 % en ville"
Si ce modèle fonctionne, notamment dans le reste de l’Europe, l’adoption des biosimilaires est cependant plus lente en France : elle est de 69% à l’hôpital et de seulement 23 % en ville. Même si elle se situe pour l’instant en dessous du seuil des 80% fixé dans la Stratégie nationale de santé, on constate une pénétration progressive. Et, surtout, elle ne se fait pas au détriment de la confiance. À terme, une fois que médecins et patients seront de plus en plus familiers avec les biosimilaires, on peut imaginer un fonctionnement proche des médicaments, où les patients décideront à l’officine de se tourner ou non vers un traitement biosimilaire.
Outre la "simple" activité de laboratoire pharmaceutique, vous avez mis en place Amgen Innovations. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le programme Amgen Innovations repose sur plusieurs piliers. En premier lieu, à travers notre collaboration avec des start-up françaises. Dans tous les domaines relatifs à la santé, nous cherchons des partenaires avec lesquels esquisser des synergies. À cette fin, Amgen s’est associée avec FeetMe, une société innovante en matière de DM, qui a développé une semelle connectée, ainsi qu’avec le service de rhumatologie de l’hôpital Cochin. Depuis trois ans déjà, ce partenariat combine les ressources et la connaissance d’Amgen en la matière. Cette étude clinique prospective déterminera des facteurs de risque de chute chez des patients ostéoporotiques. Plus récemment, nous collaborons également avec Owkin, une pépite de l’intelligence artificielle, sur différents domaines, tels que la cardiologie et l’oncologie.
Nous avons également mis en place un fonds de dotation, afin de soutenir la recherche française : le fonds Amgen France pour la science et l’humain. Chaque année, nous lançons un appel à projet pour financer des initiatives en matière de recherche, qu’il s’agisse de recherche fondamentale, comportementale ou afférant aux sciences humaines. Cette année, un projet qui facilitera la qualité de vie des patients souffrant d’un cancer a été salué.
"En tant qu’industriel, notre rôle a évolué de la R&D et la commercialisation, à celui d’acteur de solutions thérapeutiques"
Enfin, notre sens de l’innovation nous porte à nous intéresser à la santé des soignants. Avant même la pandémie, nous avions conscience qu’il s’agissait d’un sujet mal évalué. Le contexte sanitaire nous a donné raison, puisque nombre de ces professionnels ont partagé la souffrance qu’ils affrontent au quotidien. À ce titre, nous sommes en relation avec des associations spécialisées, qui œuvrent, par exemple, pour la santé des oncologues.
En matière d’innovation, de manière générale, pouvez-vous nous partager les perspectives d’Amgen ?
L’innovation commence avec les molécules mais se poursuit tout au long de la vie du médicament. En tant qu’industriel, notre rôle a évolué de la R&D et la commercialisation, à celui d’acteur de solutions thérapeutiques. Notre objectif est de participer à l’amélioration du parcours de soins, notamment à travers des partenariats avec des sociétés, des associations, ou toutes structures qui assistent le patient en vue d’améliorer son état de santé.
De nouvelles problématiques nous interpellent, dont celle de s’assurer que le patient reçoit bien son traitement. Ces dernières années, l’industrie pharmaceutique a été confrontée aux contraintes géographiques de production, ce que la crise sanitaire a d’ailleurs révélé avec des ruptures d’approvisionnement en médicaments. Pour nous, il s’agit là d’un sujet capital. En 15 ans, Amgen a su assurer la chaîne d’approvisionnement au sein de tous les marchés et pays où nous sommes présents. Et ce, sans rupture. Cela fait partie des attentes des populations envers les responsables de solutions thérapeutiques. Dans cette vision globale de l’écosystème de la santé, Amgen veut montrer le lien entre la recherche globale et les engagements que nous pouvons prendre au sein de nos filiales. À cette fin, nous avons structuré plusieurs think thank autour de différentes problématiques. En partenariat avec des acteurs publics et privés, nous avons amorcé depuis deux ans notre think tank Innovation Days. Le 4 octobre 2022, nous publierons le fruit de notre réflexion sur une projection de la santé, en 2032, transformée par l’innovation.
Propos recueillis par Alexandra Bui