À la tête d'une équipe de 150 personnes, Olivier Saguez, président de l'agence de design, Saguez & Partners, fait face à la crise. Pour la première fois, il a eu recours à une aide de l'État. Malgré ce contexte difficile, le dirigeant estime que cette période est l’occasion de repenser les usages et de les recentrer vers l’essentiel.

Décideurs. Quelles étaient vos priorités au moment du déclenchement de la crise ?

Olivier Saguez. Mes associés et mes collaborateurs sont mon capital le plus important. J’ai mis vingt ans à recruter et former les gens que je voulais, ce n’est pas pour m’affoler en cas de crise ou pour prendre le risque de porter atteinte à leur santé. Fin décembre-début janvier, nous avions déjà dû nous adapter avec les grèves. Nos équipes étaient donc équipées chez elles, même des gros appareils. Nous avons aussi la chance d’avoir conçu une agence qui est un grand bâtiment permettant de respecter les distances entre personnes, le nombre de portes est réduit au strict minimum, etc. Nos collaborateurs peuvent donc venir, en respectant des protocoles de sécurité, si une tâche le nécessite.

Au bout de trois jours d’organisation, nous nous sommes remis au travail. Le mois de mars est correct, tout comme avril. En revanche, même si des commandes sont maintenues ou réorientées, d’autres se trouvent annulées ou reportées. Ceci combiné à l’arrêt des chantiers risque d’impacter mai et juin. Nous devrions perdre 20 % à 30 % de l’activité sur l’année.

Pour la première fois, votre entreprise a recouru à une aide de l’État. Racontez-nous.

Nous avons demandé le chômage partiel. En fonction des business units touchées par la panne d’activité, mes collaborateurs sont concernés par le dispositif à des degrés différents. Je n’avais jamais recouru à une aide d’État et je trouve cela ennuyeux. J’ai toujours payé mes impôts et j’ai hâte de recommencer l’an prochain. Si nous n’avions pas été aidés rapidement nous aurions peut-être dû licencier. Là nous pouvons nous concentrer sur les commandes qui reviendront en septembre et re-calibrer notre travail pour l’an prochain.

Quel est votre état d’esprit ?

Si les chiffres sont noirs, le moral, lui, ne l’est pas. À titre personnel, mon entreprise est dans une phase de transmission. J’ai un directeur général qui, depuis deux-trois ans, la dirige très bien. J’adore cette période de vérité humaine. On découvre à certaines personnes du sang-froid, de l’intelligence dans la rapidité et l’agilité. Saguez & Partners doit traverser la tempête. Je ne sais pas où nous serons en 2021 mais nous nous serons battus à mort pour réussir à surmonter cette épreuve. Ce n’est certainement pas un moment doux où il faut rester attentiste. D’ailleurs, il fait du bien, car j’aime aussi perdre. À une époque, pendant une dizaine d’années, nous avons enchaîné les succès. Je montais les petits échecs en épingle pour réussir à avancer. J’apprécie cette période que je nomme la fraîcheur du matin. Aujourd’hui, mon rôle, qui est plus celui d’une vigie, consiste à anticiper davantage le monde de demain. C’est très intéressant.

Où vos réflexions vous mènent-elles ?

Cette période est l’occasion d’inventer un nouveau monde, de traiter en même temps la crise économique et celle du développement durable. En aidant un certain nombre d’entreprises à évoluer dans un sens plus responsable, plus solidaire, moins consommateur d’énergie.

Pensez-vous que ce soit vraiment possible ?

Bien sûr, je ne crois pas du tout que les choses vont reprendre comme avant. Nous avons consommé comme des brutes et, en deux mois, nous avons été capables de nous concentrer sur l’essentiel. C’est donc que cela est possible.

Quel est le rôle du design dans cette transformation ?

Le designer est un intercesseur entre un problème et un public. Le design est une forme de réflexion qui répond à de nouveaux usages. Prenons l’exemple des Français, qui sont les rois du bricolage : ils improvisent des masques, de nouvelles manières de vendre leurs produits, des chaînes d’entraide efficaces, etc. La France est un pays de système D et donc de design. Les solutions trouvées seront précaires. Ce ne seront pas de grandes solutions mais elles répondront aux besoins. Après une période de guerre, il faut des idées simples et aller à l’essentiel.

"Après une période de guerre, il faut des idées simples et aller à l’essentiel"

Vous construisez depuis deux ans avec Korian l’Ehpad du futur. À quoi ressemble-t-il ?

Nous travaillons autour d’une approche très humaine, partant du principe qu’il n’y a pas que la santé et les soins qui soient nécessaires pour les résidents mais aussi la joie de vivre. L’Ehpad d’aujourd‘hui ressemble un peu à un hôpital. Il faut que les proches aient envie de venir voir les seniors, que le personnel s’y sente bien. Pour cela, les structures doivent être au cœur de la ville, la nature doit y entrer, les enfants doivent pouvoir y jouer quand ils viennent et les résidents disposer des outils afin de voir leurs proches en visio en dehors des visites physiques. Cette convivialité va de pair avec plus d’hygiène : moins de portes ou des portes automatiques, des matériaux faciles à nettoyer mais qui peuvent se différencier du blanc clinique, etc.

Vous participez à des projets de mobilité. En quoi répondent-ils aux impératifs d’hygiène actuellement sur le devant de la scène ?

Nous avons travaillé sur le nouveau TGV L’Océane. Dans celui-ci, par exemple, les poubelles individuelles ont été remplacées par des plus grandes au niveau des passerelles. Ce qui est beaucoup plus hygiénique et permet de regrouper tous les déchets, réduisant ainsi le temps de ménage qui peut être consacré aux autres parties du train. Nous réfléchissons aussi avec la RATP à la période de transition post-déconfinement. Tous les acteurs concernés doivent être consultés. Par exemple, nous pouvons imaginer des wagons dédiés aux personnes fragiles. Les usagers pourraient aussi accepter de ne reprendre le travail physique que quatre jours par semaine afin de réduire le nombre de personnes dans les transports. Nous pouvons aussi envisager de communiquer sur la nécessité de faire une partie du trajet à pied afin de désengorger certaines stations, ou mettre en place des primes pour ceux qui prendraient les transports à des heures décalées, etc. C’est un travail collectif.

Vous travaillez aussi pour les aéroports. Quelles solutions pouvez-vous leur proposer ?

Nous avons un projet avec l’aéroport de Genève qui nous a demandé il y a déjà trois semaines de l’adapter aux nouveaux besoins d’hygiène… On peut penser à faire évoluer des endroits comme les toilettes. Par exemple, dans nos propres locaux, il n’y a qu’une seule porte en tout pour les WC, la disposition étant une chicane et les toilettes cachées. Par ailleurs, les aéroports sont conçus pour mixer les flux de personnes qui achètent avec ceux des gens qui se dirigent directement vers leur vol. On peut imaginer défaire ces parcours. Nous ne partirons pas d’une page blanche mais adapterons les lieux de vie à la nouvelle donne.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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