Le spécialiste de l’IoT est l’invité surprise de Delta, la dernière box internet de Free. Cette percée dans la “maison connectée” via l’opérateur Free arrive alors que Sigfox lance une nouvelle salve d’innovations depuis la fin octobre. Point d’étape avec le PDG de l’entreprise toulousaine Ludovic Le Moan.

Décideurs. Free a annoncé mi-novembre que sa nouvelle box intégrait une connectivité Sigfox. Qu’apporte le réseau Sigfox à ce nouveau produit ?

Ludovic Le Moan. Nous arrivons en double connectivité, comme une connexion de secours. C’est ce que nous appelons la « 0 G ». Si le réseau principal, ADSL ou fibre optique, tombe en panne, que ce soit avec la Wifi ou la 4G, ou que l’électricité est coupée, la box continue d'émettre grâce au réseau bas débit Sigfox. C’est important notamment pour continuer à faire fonctionner les alarmes connectées que propose la nouvelle Freebox. Le signal ne remplace pas l’ADSL. En revanche, il vient la compléter. Il permet de passer toutes les données, sauf de la vidéo et du son.

Vous faites votre grande entrée dans la domotique avec Free ?

Nous cherchons à montrer que Sigfox peut devenir un protocole intéressant dans la maison. Pourtant, ce n’est pas ce que nous voulions, encore récemment, car ce secteur est vraiment chargé. Il existe déjà le protocole de communication Zigbee, la Wifi, le Bluetooth…. Il y a pléthore de technologies. 

Mais avec Free, c’est devenu intéressant. Et nous nous sommes aperçus que nous avions un avantage par rapport à d’autres réseaux. Notamment avec le Bluetooth. Si ce réseau est utilisé pour connecter un casque audio, plus rien d’autre ne peut être connecté à côté. Sigfox erst est en mesure de connecter simultanément des milliers d'équipements dans la maison.

Vous avez présenté la Bubble lors de votre événement Sigfox Connect qui s’est tenu en octobre dernier à Berlin. Pouvez-vous nous dire comment fonctionne cette technologie ? 

La Bubble permet de géolocaliser des biens. Nous avons fait le constat qu’il manquait une offre de géolocalisation pour identifier un objet à quelques mètres près. Concrètement, cette technologie se rapproche du beacon (utilisant le Bluetooth), mais elle fonctionne grâce une connectivité radio très basse consommation. Cette technologie permet de localiser des tags de quelques dizaines de centimes, avec une très bonne précision, et surtout une consommation énergétique très faible.

Quels marchés visez-vous ?

Il y a  énormément d'applications pour ces Bubbles. Dans le secteur du voyage par exemple, la Bubble peut permettre de savoir où est votre valise. Il suffit qu’elle ait traversé le périmètre d’une « bulle » pour que nous puissions savoir où elle est est passée. La technologie pourrait également être utilisée pour réduire la durée des files d’attente. Faites l’expérience à Eurodisney… Il y a 5 ou 6 attractions phares, et tous les visiteurs doivent faire la queue debout pendant des heures avant d’y accéder. On ferait mieux d’aller boire un verre en attendant. Si des Bubbles étaient installées dans tout le parc, l’attraction pourrait nous notifier lorsque notre tour arrive. Il suffirait d’avoir un bracelet pour cela, à condition de ne pas non plus être à l’autre bout du parc. Dans l'hôtellerie, il serait possible de vérifier quelle chambre est nettoyée, ou pas, en équipant les femmes de ménage. Dans la grande distribution, les Bubbles pourraient faciliter les inventaires. Il suffirait d’allumer les Bubbles pour savoir automatiquement ce qu’il reste en rayon… Elles pourraient également permettre de lister tous les produits contenus dans un caddie. Les cas d’usages sont monstrueux.

Il n’existe pas de technologies de connectivité concurrentes ?

Avec la RFID ou NFC (Near Field Communication), il est plus compliqué de réaliser ces applications. Si je reprends la question des inventaires dans les magasins de distribution, la NFC ne permet pas de repérer tous les tags contenus dans un rayon ou dans un caddie. La RFID est très utile, et notre système en est proche. Mais elle envoie un signal permanent, qui consomme beaucoup d’énergie. Notre solution, elle, ne consomme qu’au moment où on l’allume. De plus, elle fonctionne sur de grandes distances, alors que la RFID ne marche qu’à proximité de l’antenne.

Vous avez annoncé que le module radio des tags localisables par la Bubble ne coûterait que 2 centimes d’euros. Comment espérez-vous atteindre ce prix ?

Nous savons que l’électronique n’est pas plus complexe que celle de la RFID. Si nous travaillons avec suffisamment d’industriels, nous produirons des volumes importants, et nous pourrons atteindre ce prix-là d’ici 2 ou 3 ans.

Lors de l’édition précédente de Sigfox Connect, vous avez lancé plusieurs services de géolocalisation longue distance. Quel était le sens de ces offres ?

Pour toutes les solutions de géolocalisation, il faut déterminer avec quelle précision le client veut savoir où est son objet. La question du coût devient alors primordiale. Le client n’est pas prêt à payer le même prix pour savoir où est une palette, une bouteille d’eau ou une voiture. Notre première offre, Monarch, était un service de geolocalisation traversant les pays. Le système est grossier, avec une grosse "granularité", mais le client sait dans quel pays se trouve son bien. Nous avons également lancé Atlas, une offre de géolocalisation, dont la précision peut être plus ou moins fine en fonction des besoins du client. De manière générale, le tracking d'équipements n’est pas une solution miracle, il faut avoir un portefeuille de solutions. À mon avis le marché de la géolocalisation est la meilleure opportunité pour le marché de l’IoT.

« le marché de la géolocalisation est la meilleure opportunité pour le marché de l’IoT »

Vous avez également annoncé le lancement de plusieurs nanosatellites en partenariat avec Eutelsat lors de Sigfox Connect. Quels services supplémentaires allez-vous pouvoir proposer ?

Le satellite sera un complément du réseau terrestre. Il a l’avantage de pouvoir couvrir la terre entière mais il ne peut pas traiter les zones denses contenant des millions d’objets, alors que le réseau déployé au sol peut l'adresser. En revanche, il peut apporter une couverture au-dessus des zones où il n'y a pas de devices, comme au-dessus des déserts, des campagnes, des pipelines… la couverture sera réellement mondiale.

Vous avez également annoncé atteindre les six millions d’objets connectés d’ici la fin 2018. Où en êtes-vous actuellement [novembre 2018] ?

Nous sommes proches des 5,4 millions.

De nouveaux réseaux arrivent, comme le NB-IoT, ou la 5G, sans compter le LoRa. Quels sont vos atouts pour résister à ces technologies ?

Ce que Sigfox propose est unique selon moi. Nous n’avons pas vraiment de concurrent. L’important, c’est le prix du bit transféré. Cette donnée a un vrai impact. C’est ce qui nous a conduit à inventer un réseau hyperoptimisé, où le coût du bit transféré, même si le nombre de bits est limité, est le moins cher. Cela dit, des applications ont besoin d’autres types de connectivité comme le Wifi. Et la 5G jouera aussi un rôle. Elle ne remplacera pas la 4G d’ailleurs, car elle aura moins de couverture du fait de son coût élevé. Chaque technologie, qu’il s’agisse du Wifi, du Bluetooth, de la 4G… remplit son rôle.  Quand au LoRa, il s’agit d’un réseau local, et non global. Il n’y a pas d’applications massives de LoRa. D’ailleurs les clients avec des besoins globaux, comme Total ou Michelin, choisissent Sigfox. LoRa est une technologie, Sigfox est un service de connectivité mondiale. Dans la domotique en revanche, il serait un bon candidat, mais il coûte encore trop cher, et il ne peut pas servir de back-up car il n’est pas mondial.

Imaginez-vous un jour proposer des solutions de traitement de données, en plus de votre service de connectivité ?

Nous considérons l’IoT comme un extracteur de données, et il revient au client d’en faire quelque chose. Les données que nous collectons leur appartiennent. Ensuite, il y a de plus en plus de demandes pour croiser les données récoltées, afin de créer des cas d’usage. Les données que nous collectons peuvent être anonymisées, et associées à d’autres, afin de créer de nouveaux modèles.

Nous avons travaillé, en ce sens, sur les données des congélateurs d’une grande marque de distribution de produits sugelés. Il s’agissait de mettre en place des opérations de maintenance prédictive, en fournissant des données sur la hausse de température de leurs congélateurs. Nous nous sommes aperçus que nous étions capables, à partir de ces données, de déterminer quand les frigos étaient ouverts le plus souvent, et ainsi les moments où les magasins étaient les plus fréquentés. Même si le contrat avec le client était d’assurer cette maintenance et non l’analyse des heures d’affluence, nous avons démontré que nous avions la capacité à valoriser les données de nos clients. Ces réponses seront déployées à mesure que nous travaillerons avec de plus en plus de métiers. Nous pouvons même imaginer créer des modèles mathématiques à partir de ces données métiers. N’oublions pas que nous avons monté Sigfox pour collecter des données. Il ne faut pas louper notre objectif, celui de créer un réseau mondial.

Propos recueillis par Florent Detroy (@florentdetroy)

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