Avec une industrie aérospatiale de pointe, la France dispose d’un terreau fertile pour le développement de start-up spécialisées dans l’espace. Si la matière grise est bien là, le secteur manque encore de financements pour sa croissance.

Début 2023, Latitude avance dans son projet de révolution d’accès à l’espace. La start-up rennaise, qui développe un microlanceur made in France, réussit une grande étape : mettre à feu le moteur de sa fusée qui, à terme, mesurera environ 17 mètres de haut et pourra envoyer jusqu’à 100 kilos en orbite. La société estime même pouvoir déposer les satellites de ses clients à l’endroit qu’ils voudront pour un prix oscillant entre 30 000 et 35 000 euros le kilo. Soit deux fois moins cher que ses concurrents néo-zélandais, selon son fondateur et CEO Stanislas Maximin qui s’exprimait en janvier sur BFMTV. Une précision qui n’est pas anodine, le marché des petits satellites et de leurs lanceurs étant très concurrentiel et pas encore mature. L’entreprise française espère bien figurer parmi les champions de demain. La course contre la montre pour se faire une place au soleil est lancée.

Développer de nouveaux usages

Jusqu’à présent, les satellites étaient déployés à 36 000 kilomètres de la Terre. Leur durée de vie – entre 15 et 20 ans – en faisait des équipements gros et chers. "Avec le new space, on va pouvoir déployer sur des orbites plus basses des constellations de satellites pour répondre aux besoins privés et publics", explique Rasika Fernando, responsable sectoriel aéronautique et spatial au sein de Bpifrance.

Les nanosatellites pèsent entre 1 et 25 kilogrammes, soit jusqu’à 6 000 fois moins que les satellites standards. Leurs "performances limitées sont compensées par leur utilisation en constellations (c’est-à-dire en réseaux ou en essaim) afin de proposer des services que les missions usuelles ne peuvent pas atteindre", écrivait en 2021 Antoine Tavant, directeur technique du centre spatial de l’École polytechnique. Ainsi, les entreprises mais aussi les scientifiques accéderont plus facilement à ces technologies. "De nombreux secteurs pourraient bénéficier de la Space Tech", affirme Rasika Fernando qui estime qu’"il faut encore développer les usages mais le potentiel commercial est important".

Rattraper son retard et accélérer

On comprend aisément pourquoi l’État en a fait l’une de ses dix priorités dans le cadre de son plan France 2030. Le gouvernement ne vise pas la conquête martienne ou lunaire mais bien, en grande partie, le new space. Doté de 1,5 milliard d’euros, le volet spatial est dédié aux deux tiers aux acteurs émergents. Il est construit autour de deux priorités : rattraper le retard sur certains segments clés comme les lanceurs réutilisables ou les constellations et investir dans les nouveaux usages, tels que la surveillance de l’espace ou la valorisation des données. L’aérospatiale traditionnelle n’est pas en reste, avec un gouvernement qui soutient financièrement le modèle d’exploitation d’Ariane 6 afin de le rendre compétitif à l’export. 

Le spatial fait partie des dix priorités de l’État dans le cadre de France 2030

"En France, on a des compétences très avancées dans la recherche ou l’industrie spatiale, rappelle Jean-Luc Maria, cofondateur et CEO d’Exotrail, start-up spécialisée dans la logistique spatiale. Nous disposons d’un terreau technique favorable pour faire émerger des leaders." L’Hexagone n’a donc pas à rougir pour ce qui est des compétences. D’un point de vue financier en revanche, le pays connaît encore quelques trous dans la raquette, notamment lorsqu’il s’agit de passer le stade de la série A (financements d’amorçage des entreprises). Comme pour beaucoup d’industries, certes, mais la Space Tech cumule les difficultés. Elle touche à des sujets complexes, ses développements sont chronophages, les talents valent cher pour un retour sur investissement qui ne sera pas forcément rapide ni même assuré. De quoi rendre les investisseurs frileux.

Coup de frein dans le monde

D’ailleurs l’an dernier, au niveau mondial, les investissements privés dans l’économie spatiale ont chuté de 58 % à 20,1 milliards de dollars (pour 420 tours de table), après un record en 2021, selon les données de Space Capital publiées dans le Financial Times. En cause : le contexte économique, une volonté davantage marquée de la part des investisseurs de voir la profitabilité arriver plus vite mais aussi quelques désillusions concernant des entreprises du secteur.

"La France dispose d’un terreau favorable pour faire émerger les leaders de demain"

En France, seuls deux fonds se consacrent à la Space Tech : Expansion Ventures et Cosmicapital. Le premier a été cofondé en 2022 par Charles Beigbeder, PDG fondateur de la société de gestion Audacia, et François Chopard, PDG fondateur de l’accélérateur aerospace Starburst. Au moment de son lancement, Expansion Ventures espérait lever 300 millions d’euros sur la période 2022-2023. Le second est porté par le Centre national d’études spatiales (Cnes), Bpifrance et la société de capital-risque Karista. Il atteignait à ses débuts en 2021 seulement 38 millions d’euros. "Si le but est bien de développer des technologies pour aller chasser des clients à l’étranger, il est important qu’un plus grand nombre de fonds se constituent en France pour aider ces entreprises à croître, affirme Rasika Fernando. C’est un enjeu de souveraineté."

Outre les outils de financement proposés par la banque publique aux start-up ou aux entreprises en croissance, indépendamment de leur secteur, la Space Tech peut compter sur les mesures de France 2030. Bpifrance a ainsi lancé quatre appels à projets : pour le développement des mini et microlanceurs, pour celui des systèmes pour les mises en orbite, pour les systèmes de surveillance de l’environnement orbital et le développement et l’industrialisation de constellations de satellites. Des appels d’offres sont également régulièrement publiés afin de répondre aux besoins de ministères tels que celui de la Défense et ainsi nourrir les carnets de commandes.

Une consolidation à venir

Pour peser dans le débat public, des start-up européennes ont cofondé en 2021 l’association Yeess. "Il n’existe pas de réglementation internationale sur nos sujets mais il commence à y avoir des balbutiements et, dans la décennie qui arrive, les choses vont bouger. Les entreprises qui présenteront un modèle pertinent pourront se démarquer", explique le patron d’Exotrail qui pense notamment à la nécessité de ne pas omettre le volet durabilité dans les solutions développées.

Pour devenir des champions mondiaux, les entreprises doivent grossir rapidement et des mouvements de consolidation pourraient avoir lieu prochainement. Exotrail ne s’en cache pas de son côté : "Sur la partie propulsion, il n’existe pas beaucoup d’équivalents à ce que l’on propose mais, sur le transport en orbite, le marché est plus ouvert. Nous pourrions nous appuyer sur des partenaires extérieurs mais aussi sur des innovations technologiques à travers des acquisitions afin d’accélérer notre développement ou notre industrialisation, commente le CEO. L’environnement financier étant moins bon aujourd’hui, des opportunités se présenteront peut-être." Le marché de la Space Tech n’a pas fini de faire parler de lui.

Olivia Vignaud

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