Cash is king. L’adage a démontré, s’il le fallait, tout son sens pendant la crise de Covid-19. Le président de l’association française des trésoriers d’entreprise (AFTE), Daniel Biarneix, partage les défis des professionnels de la gestion de liquidité et les travaux de l’organisation.

Décideurs. Avant de prendre votre nouvelle fonction au sein de l’AFTE, vous occupiez la présidence de la commission de notation. Quelles ont été ses principales priorités cette année ?

Daniel Biarneix. L’un des objectifs de l’AFTE est de contribuer à la réflexion européenne pour que la réglementation soutienne les entreprises. C’est donc aussi valable pour les agences de notation, avec lesquelles la commission entretient un lien permanent, très utile aux ETI notamment. La réglementation européenne a soumis les agences à une vérification de leur méthodologie par l’Esma [European Securities and Markets Authority, NdlR] et demandé aux entreprises notées d’expliquer leur choix d’agences. L’AFTE continue d’accompagner les entreprises sur ces sujets, sans oublier la question de la rémunération des agences, qui vient majoritairement des émetteurs et non des investisseurs et pose toujours question dans un système oligopolistique.

Pendant les premiers mois de Covid, la commission s’est assurée du respect du principe d’une notation fondée sur des perspectives à moyen terme et non à court terme. Cela ne veut pas dire que les agences n’ont pas dégradé de notes, mais nous veillons à ce qu’elles fassent la différence entre les entreprises dont les problèmes de structure financière préexistaient et celles dont le business model a été frappé provisoirement par la crise.

Quel rôle l’AFTE a-t-elle joué dans l’aide aux entreprises ?

L’AFTE joue deux rôles. Le premier est de recueillir les besoins de ses adhérents, et en particulier les PME et ETI, comme cela a été le cas sur le financement court terme ou le marché de l’assurance-crédit, pour les exprimer aux autorités compétentes. Le second consiste à transmettre l’information à ses membres pour les accompagner dans l’utilisation des outils mis à leur disposition, comme les Prêts Garantis par l’État. Ce dispositif a d’ailleurs été extrêmement bien conçu depuis le début, car il conjugue une aide ponctuelle à la possibilité de l’étendre. Dans leur version prolongée, ils permettent de répondre aux besoins de la grande majorité des entreprises.

"La gestion de trésorerie était déjà très dématérialisée avant la crise"

Comment la fonction trésorerie s’est-elle adaptée au contexte de crise sanitaire ?

Au premier semestre 2020, la préoccupation majeure a été d’assurer la liquidité, car les marchés étaient très perturbés. Pour une majorité de secteurs, les flux financiers opérationnels des sociétés ont été réglés au deuxième semestre et les trésoriers reviennent aux questions classiques comme l’optimisation des flux et la couverture des risques de marché. C’est surtout la façon de faire qui a changé avec la nécessité de travailler à distance. La transition s’est bien passée, notamment car la gestion de trésorerie était déjà très dématérialisée avant la crise.

La cybersécurité est-elle devenue une préoccupation plus importante ?

Plus on utilise d'outils numériques, plus on fait face à des risques de cybercriminalité. Les grèves de transport début 2020 ont servi de galops d’essai pour les organisations. La sécurité des flux a toujours été une préoccupation centrale des trésoriers. En la matière, le plus gros risque relève de l’humain. La principale protection contre les organisations criminelles, c’est d’abord et avant tout d’avoir des règles de procédures extrêmement strictes et que tout le monde les respecte.

"Couvrir, c’est transformer une incertitude en certitude"

Quelles sont les conséquences des taux négatifs à l’issue de la crise ?

Le maintien des taux négatifs de la BCE contribue à deux objectifs : d’une part stimuler la reprise économique jusqu’au retour à un niveau d’inflation raisonnable ; d’autre part assurer la viabilité de la dette publique de certains États de l’Union européenne. Les taux négatifs sont bénéfiques pour la stabilité monétaire à moyen terme, mais soulèvent plusieurs questions pour les entreprises. Si elles peuvent en bénéficier sur les marchés, la plupart des PME recourent au financement bancaire, dont le taux facturé est la somme du taux de marché et de la marge spécifique appliquée à l’entreprise selon son risque de crédit. Pour l’AFTE, l’application par les banques d’un taux plancher à zéro doit s’appliquer à la somme des deux et en aucun cas au seul taux de marché, sinon cela ferait obstacle à la politique monétaire de la BCE et générerait une marge excessive pour les banques.

Par ailleurs, les entreprises ont accumulé des liquidités face à l’incertitude et se trouvent aujourd’hui avec du cash à placer. L’AFTE comprend que les banques doivent répercuter les taux négatifs, mais leur position doit être la même sur les débits et les crédits, et ne s’appliquer qu’aux dépôts structurels élevés. Et en aucun cas sur les montants correspondant aux liquidités opérationnelles courantes des entreprises.

Dans quelle mesure les outils du trésorier ont-ils évolué ?

Traditionnellement, tant que les taux étaient positifs, les placements s’opéraient sur les comptes bancaires aussi bien que dans les Sicav monétaires. La réglementation comptable IFRS contraint les entreprises à des règles strictes pour qu’un actif soit reconnu comme du cash ou « cash equivalent », c’est-à-dire liquide et dont la valeur fluctue très peu. C’est pourquoi le Bitcoin n’a aucune chance d’être considéré comme du cash. Le nombre de placements se limite donc aux dépôts sur compte, à terme et Sicav. En matière de couverture des risques, ceux-ci concernent principalement le risque de change selon les devises dans lesquelles on facture. Couvrir, ce n’est pas spéculer ; c’est transformer une incertitude en certitude et fixer dès aujourd’hui le taux d’achat ou de vente des devises. La fonction du trésorier consiste à limiter les risques financiers pour que le management se concentre sur l’opérationnel.

"Les taux négatifs sont bénéfiques pour la stabilité monétaire à moyen terme, mais soulèvent plusieurs questions pour les entreprises"

La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) occupe de plus en plus le devant de la scène. Quelle contribution l’AFTE peut-elle apporter ?

La RSE concerne les entreprises dans leur ensemble et donc aussi l’activité trésorerie et financement, qui doit traduire les engagements d’une entreprise vis-à-vis de la communauté. L’AFTE suit avec attention l’évolution de la réglementation et des pratiques de marché, notamment en matière de notation extra financière. Les outils de financements liés à des engagements environnementaux ou sociaux se multiplient et de plus en plus de contrats de financement bancaire incluent des clauses de respect d’engagements sociaux ou environnementaux, avec une marge variable, à la hausse ou à la baisse. Sur le marché obligataire, on retrouve les green bonds, destinés à un projet qui répond à un certain nombre de critères environnementaux, et les sustainability-linked bonds, qui prennent en compte la réduction des émissions de l’entreprise dans son ensemble par exemple. Si les objectifs ne sont pas atteints, le financement sera plus onéreux. Pour les financements court terme, l’AFTE a travaillé avec deux autres associations de place et la Banque de France pour proposer aux entreprises qui le souhaitent un modèle de programme lié à des objectifs RSE. Une idée serait d’émettre du papier commercial tout au long de l’année et regarder la trajectoire à la fin. Les pénalités pourraient alors être reversées à une ONG. L’AFTE, qui a toujours défendu une approche incitative et non coercitive, souhaite que les entreprises disposent de la palette d’instruments la plus large afin qu’un plus grand nombre d’entreprises puisse s’en saisir.

Les mesures de confinement ont accéléré la numérisation des entreprises. Comment l’AFTE participe-t-elle à ce mouvement ?

Le premier axe de la démarche de l’association en la matière a pour but de simplifier toutes les formalités administratives. Au-delà de la dématérialisation des contrats, l’AFTE travaille avec les associations de banques et des fintechs pour réunir dans une même application les documents qui répondent à 95 % des questions des banques en matière de KYC [Know Your Customer, NdlR]. Le deuxième vise tout ce qui a trait aux moyens de paiement, de l’instant payment favorisé par la BCE au request-to-pay, avec un QR code sur smartphone pour valider un ordre de paiement, moins cher à traiter que les chèques et espèces et qui pourrait à terme remplacer la carte bancaire. À condition d’offrir des prix raisonnables pour que le produit se développe.

Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret

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