Le 17 février, Alstom révélait son intention d’acquérir Bombardier Transport afin de devenir le numéro 2 du secteur ferroviaire. Complexe, le montage financier mérite d’être déchiffré pour en comprendre toute la singularité.

Opération passionnante à plus d’un titre pour les avocats, les banquiers et autres parties prenantes, le deal Alstom-Bombardier Transport, dévoilé le 17 février, relève du cas d’école : international, il réunit trois parties, met en jeu des sommes considérables et adopte différents modes de financement. Le tout sans compter les étapes qu’il lui reste à franchir pour obtenir l’aval des autorités de la concurrence. De quoi stimuler les méninges des spécialistes des fusions-acquisitions et valoriser des solutions ingénieuses.

Dans le détail, Alstom s’offre 100 % de Bombardier Transport pour un prix compris entre 5,8 et 6,2 milliards d’euros. Une partie sera financée en titres. La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) – actuellement actionnaire de Bombardier Transport à hauteur de 32,5 % –deviendra le premier actionnaire d’Alstom avec environ 18 % du capital. Pour ce faire, la Caisse réinvestira dans le groupe français le produit net de cession de sa participation (environ 2 milliards d’euros) et s’engage à apporter 0,7 milliard supplémentaire.

Cet investisseur « stratégique » est reconnu pour son « approche de long terme et possède un historique d’investissement à succès dans le transport ferroviaire », fait valoir Alstom. Il s’agit-là du plus gros ticket jamais pris par la Caisse. « Contrairement à l’autre actionnaire de Bombardier Transport, CDPQ est totalement payée en actions et va même remettre au pot. En prenant des parts, elle témoigne de sa confiance dans le nouvel ensemble », souligne Hubert Preschez, co-head of global banking France chez HSBC, conseil de l’opération.

Au titre de cet investissement, CDPQ pourra nommer deux représentants au conseil d’administration ainsi qu’un censeur. La Caisse s’engage à ne pas céder ses titres pendant 21 mois mais aussi à maintenir une participation inférieure à 22 % du capital. Quant à Bouygues, actuellement  l’actionnaire principal d’Alstom, il ne détiendra plus que 10 % des parts. Le groupe avait déjà réduit la voilure en 2019, passant de 28 % à 13 %. Une opération rentable qui lui a permis de dégager 1,1 milliard d’euros. 

Une partie du deal annoncé en janvier est financée en equity : les 2,6-2,8 milliards d’euros de CDPQ, auxquels viennent s’ajouter 500 millions de Bombardier – qui touche ce montant en actions, plus 3,6 milliards en cash. Pour sa part, Alstom va émettre jusqu’à 2 milliards d’euros, à travers une augmentation de capital. « Aujourd’hui, le groupe bénéficie d’une base d’investisseurs long terme très concentrée et ceux-ci ont eu tendance à renforcer leurs positions. C’est d’abord à eux que s’adresse l’augmentation de capital, décrypte Hubert Preschez. Alstom devrait aussi profiter d’une augmentation de la demande des fonds passifs, en tant que candidat crédible à une entrée dans le CAC 40. »

Enfin, une partie proviendra de l’émission de dette (400 millions environ) et de la trésorerie disponible au bilan d’Alstom. « Compte tenu des montants en jeu, le fait que CDPQ soit rémunérée en titres a permis à Alstom de mobiliser moins de cash pour financer l’acquisition de Bombardier Transport », précise Hubert Preschez.

Se transformer

Les liens des deux côtés de l’Atlantique seront d’autant plus affermis qu’Alstom renforcera sa présence au Québec. À l’issue de l’opération, Montréal deviendra le siège des opérations du groupe pour les Amériques. Le français y installera un centre d’excellence pour la conception et l’ingénierie ainsi que pour les activités R&D de haute technologie, qui se concentrera notamment sur le développement de solutions de mobilité durable.

L’ensemble, qui comptera 76 650 salariés, bénéficiera en outre d’une présence géographique complémentaire, renforçant l’accès d’Alstom à des marchés clés, en s’appuyant sur les points d’ancrage historiques de Bombardier en Allemagne, au Royaume-Uni, en Amérique du Nord ainsi qu’en Chine. Le nouveau groupe assiera également sa présence industrielle dans des pays offrant une base de coûts attractive comme l’Europe de l’Est, le Mexique ou la Chine.

Le groupe de transport ferroviaire, qui va doubler de taille, table sur un chiffre d’affaires de 15,5 milliards d’euros et un carnet de commandes évalué à 75 milliards. De quoi rivaliser avec les 35 milliards de dollars de revenus du chinois CRRC, qui ne cache pas ses ambitions internationales.

Une opération unique

Difficile de comparer le deal entre Alstom et Bombardier Transport à des transactions françaises passées. Quant à la Caisse de dépôts et placement du Québec, ce n’est pas la première fois qu’elle s’implique dans une opération à trois bandes. En 2017, CDPQ et Suez concluaient un accord avec General Electric Company en vue d’acquérir son fournisseur de solutions de traitement des eaux, GE Water.

Outre la particularité du nombre de participants à l’opération Alstom-Bombardier Transport, il est rare qu’un investisseur rémunéré en titres devienne le premier actionnaire du nouvel ensemble. Il est également peu commun que des porteurs de parts soient rétribués différemment les uns des autres. Un exemple néanmoins : la prise de contrôle du spécialiste de fournitures et de mobilier de bureau Guilbert par PPR (devenu Kering) à la fin des années 1990. Les trois fondateurs de la cible apportaient leurs actions en échange de titres PPR, tandis qu’une offre publique d’achat (OPA) était lancée pour payer cash les actionnaires minoritaires.

La principale inconnue concernant le rapprochement Alstom/Bombardier Transport reste la réaction de la Commission européenne, qui a rejeté le mariage entre Alstom et Siemens début 2019. Mais le gouvernement français est à la manœuvre. Son but : que Bruxelles accepte l’émergence de géants capables de rivaliser notamment avec les Chinois et les Américains. L’impact du Covid-19 sur les marchés peut-il devenir un frein supplémentaire à cette union ? Les opérations de financement ne devraient pas avoir lieu avant la fin de l’année. Ce qui laisse le temps de juguler la pandémie, voire aux marchés de reprendre des couleurs.

Olivia Vignaud

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