Alors que la finance verte est en plein essor, Cesare Vitali dévoile les ressorts du processus d’évaluation des potentiels débiteurs des fonds spécialisés dans l’ISR, en particulier ceux d’Ecofi, la filiale du Crédit coopératif. État des lieux d’un secteur toujours plus sélectif.

Décideurs. Comment a évolué la finance verte ces dernières années ? Où en est-on actuellement ?

Cesare Vitali. De plus en plus de sociétés de gestion ont cessé de miser sur certains secteurs sensibles. Par exemple, depuis le 1er janvier 2019, Ecofi Investissements exclut de tous ses fonds, les sociétés impliquées dans le charbon, l’argent ou le tabac. Volkswagen a également été mis à l’écart de nos potentiels investissements, tout comme les sociétés ayant leur siège social dans un paradis fiscal.

Cela vous pousse donc à créer de nouveaux produits ?

Tout à fait, citons notamment Ecofi Agir pour le Climat, un produit dédié à la transition énergétique. Ce fonds a pour but de financer des entreprises qui respectent la taxonomie verte développée par le label Greenfin. Il existe également des fonds thématiques sociaux, comme Ecofi Enjeux Futurs qui regroupe les enjeux de services à la personne et d’éducation, de santé et d’inspection, de contrôle et de certification.

Quels sont les investissements centraux auxquels Ecofi a pris part ?

Nos fonds thématiques soutiennent des sociétés dont le business model repose sur le respect de l’environnement. Nous avons notamment investi dans la société norvégienne Tomra active dans le traitement des déchets, dans l’italienne Hera, positionnée sur la gestion optimale des ressources en eau et dans Vestas Wind System, groupe éolien danois.

Comment évaluez-vous la pertinence et les éventuelles limites de l’évaluation ESG ?

L’analyse ESG met en avant certains risques que l’analyse financière ne peut pas toujours déceler, comme les risques légaux ou de réputation. Cette idée sous-tend celle d’une amélioration du ratio de risque et donc d’une corrélation positive entre performance financière de long terme et respect des critères ESG (comme l’a démontré à plusieurs reprises la recherche académique). Même si chaque fonds développe son propre processus de sélection, la plupart d’entre eux orientent leur analyse vers l’environnement et la transition énergétique.

Quels sont vos principaux critères de sélection ?

Chaque société de gestion étant libre dans son évaluation ISR, certains fonds vont, par exemple, refuser toute collaboration avec les entreprises impliquées dans les OGM, ce qui n’est pas le cas d’Ecofi. Nous évaluons les sociétés en fonction de 330 critères ESG. Ces derniers sont davantage orientés vers le niveau de qualité du processus productif, des politiques et des engagements du top management en termes d’environnement.

"Il existe une corrélation entre performance financière et respect des critères ESG"

L’agence de notation ESG Vigeo Eiris nous fournit des données que nous retravaillons en surpondérant les indicateurs d’impact, c’est-à-dire les critèreschiffrés de performance écologique (empreinte carbone, consommation d’eau, utilisation des énergies renouvelables...) et sociale (taux de fréquence et de gravité des accidents du travail...), qui sont plus concrets etobjectifs. En se basant sur la sensibilité du comité éthique d’Ecofi, nous surpondérons également la responsabilité fiscale, la parité homme-femme et les relations responsables avec les parties prenantes.

Ce travail a donné lieu à plusieurs critères de sélectivité…

Oui, sur la totalité de notre univers ESG qui comporte 5 000 entreprises, nous appliquons ce processus avec trois niveaux de sélectivité. Les fonds les plus engagés excluent environ 60 % de cette base d’analyse ESG Monde, les fonds de niveau 2 approximativement 40 % et les fonds de niveau 1 près de 20 %.

Pensez-vous que vous puissiez être un outil de greenwashing pour vos investisseurs ?

Non, en tant que filiale du Crédit coopératif, qui fut l’un des précurseurs de la finance engagée, nos clients sont plutôt très concernés par la transition écologique. Cela ne veut pas dire que cela ne peut pas arriver, mais notre typologie de clients en est assez éloignée, donc je pense que c’est une situation assez marginale.

Le législateur accompagne-t-il suffisamment la finance verte ?

Certains progrès peuvent d’ores et déjà être constatés. La loi Pacte a proposé des évolutions intéressantes. Par exemple, les assureurs sont, dès 2020, obligés de proposer au moins une unité de compte dans les fonds, soit ISR (label ISR d’État), soit solidaire (label Finansol), soit verte (label Greenfin) et les trois (ISR, solidaire et verte) à partir de 2022. Côté entreprises, la publication d’un plan de vigilance concernant les droits de l’homme en interne et chez leurs fournisseurs est obligatoire dans les grandes entreprises françaises, depuis 2017. En 2016, la transposition de la directive 2014/95 du droit européen dans le droit national a obligé les grandes entreprises à publier la Déclaration de performance extra-financière (DPEF) concernant les droits de l’homme, l’environnement, la corruption et la parité homme-femme. Le cadre législatif est donc de plus en plus strict sur ces questions.

Comment aller plus loin ?

Pour rendre les entreprises plus responsables, il y a d’autres choses à mettre en place. Ce que nous demandons aux institutionnels, et en particulier à la Commission européenne, c’est que celles-ci publient des standards de communication ESG beaucoup plus précis. Dans les rapports extra-financiers actuels, les sociétés ne sont pas contraintes de publier une liste d’indicateurs concrets. Elles ont la possibilité de choisir quels indicateurs sont les plus pertinents, c’est-à-dire ceux qui mettent le plus en valeur leur société. Par ailleurs nous souhaiterions aussi que les entreprises soient dans l’obligation de présenter les moyens qui leur permettront d’atteindre leurs objectifs sur leur trajectoire climat, car, ils annoncent souvent leurs objectifs et non la manière d’y arriver.

"Ce que nous demandons, c'est que les entreprises aient accès à des standards de communication ESG beaucoup plus précis"

Depuis 2016, les sociétés financières sont tenues de publier un rapport annuel qui détaille les impôts payés pays par pays. Depuis 2017, l’article 173 de la loi sur la transition énergétique oblige les sociétés de gestion à publier pour leurs parties prenantes le degré d’engagement des investissements dans la transition écologique et sociale. La loi évolue donc dans le bon sens, mais nous demandons que les sociétés non financières soient soumises aux mêmes obligations.

Propos recueillis par Baptiste Delcambre

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