Airbus, Dyson, Bentley... Le Brexit est une tourmente qui pousse de nombreuses entreprises à fuir le Royaume-Uni. Une tendance qui devrait s’accélérer.

« N'écoutez pas les folies des Brexiters qui assurent que, du fait que nous avons d'énormes usines ici, nous ne partirons pas et nous resterons toujours. Ils ont tort. De nombreux pays seraient ravis de construire les ailes des avions Airbus ». Le message est clair : dans un message vidéo publié le 24 janvier dernier, Tom Enders, le patron de l’avionneur européen, met en garde les Britanniques contre un hard Brexit et laisse entendre que l’avionneur pourrait quitter le Royaume-Uni en cas de sortie sans accord de l’Union européenne.

Airbus menace

Le groupe aéronautique est très implanté outre-Manche et dispose de plusieurs usines et centres de R&D où il emploie plus de 14 000 personnes. Il est aussi présent dans l’aérospatial, notamment grâce à l’acquisition de SSTL, un des leaders mondiaux des petits satellites. Une présence sur laquelle Tom Enders est prêt à revenir : « S'il y a un Brexit sans accord, chez Airbus nous devrons prendre des décisions potentiellement très douloureuses pour le Royaume-Uni ». Et d’exprimer un sentiment partagé par de nombreux chefs d’entreprise : « C'est une honte que, plus de deux ans après le résultat du référendum de 2016, les entreprises ne puissent toujours pas planifier correctement l'avenir ».

Airbus n’est pas le seul groupe à s’inquiéter alors que le 29 mars, date prévue du Brexit, approche à grands pas. Sans accord, des droits de douanes s’appliqueront automatiquement sur les échanges commerciaux entre le continent et l’île britannique. Le probable retour d’une frontière physique devrait aussi ralentir la circulation des biens et des personnes. Enfin, alors que la livre sterling pourrait plonger, les entreprises craignent les répercussions du risque de change sur leurs bénéfices.

Dyson prend la poudre d’escampette

L’heure est donc aux décisions pour les entreprises anglaises exportatrices aussi bien que pour les groupes étrangers installés au Royaume-Uni. Le 22 janvier 2019, le britannique Dyson annonçait le déplacement de son siège social à Singapour, officiellement pour des raisons étrangères au Brexit. Le groupe a expliqué vouloir profiter de la croissance du marché asiatique sur lequel il est présent depuis de nombreuses années.

Même les entreprises "so british" quittent le Royaume...

Le choc a été d’autant plus rude outre-Manche que Dyson est un emblème de l’innovation technologique made in UK. En 2014, David Cameron, alors Premier ministre, y voyait la plus grande success story britannique. Le groupe de sir James Dyson, qui s’est fait connaître pour ses aspirateurs, ses sèche-mains ou ses sèche-cheveux et a pris le tournant des voitures autonomes, affiche 1,1 milliard de livres de bénéfices en 2018. Si l’annonce a tant surpris c’est aussi que James Dyson affiche régulièrement dans les médias ses opinion pro-Brexit.

Malgré les démentis de la direction, la décision de transférer le siège en Asie n’est pas complètement étrangère au divorce entre le Royaume-Uni et l’UE. En effet, en octobre 2018, celle-ci a signé un accord de libre-échange avec Singapour. Après le 29 mars prochain, et en cas d’absence d’accord commercial, il sera plus facile à une entreprise singapourienne de commercer avec l’Europe qu’à une entreprise britannique. De quoi expliquer, en partie du moins, la décision de Dyson de s’installer dans la cité-État.

La nouvelle du déménagement du fabricant d’électroménager s’inscrit dans la liste d’entreprises qui ont choisi de se désengager du Royaume-Uni. Ce n’est pas encore l’hémorragie fatale mais l’affaiblissement économique est sensible. Panasonic et Sony ont annoncé le déplacement de leur siège social européen vers le continent. Des mouvements qui pourraient profiter à Paris. Le groupe néerlandais Philips va fermer sa seule usine britannique et le japonais Hitachi a renoncé à la construction de centrales nucléaires mettant à mal l’objectif du gouvernement May d’atteindre les 20 % de nucléaire dans le mix énergétique anglais.

L’automobile en première ligne du Brexit

Autre entreprise britannique à s’inquiéter des conséquences d’un Brexit « no deal », Bentley. Dès 2017, son PDG Wolfgang Dürheimer avait prévenu que dans le « pire des scénarios », le constructeur automobile serait obligé de transférer une partie de sa production sur le continent. Une décision motivée par une des spécificités de l’industrie automobile (qu’elle partage avec l’industrie aéronautique) : les pièces détachées qui composent les véhicules ne sont pas produites dans un seul pays mais font des déplacements transfrontaliers.

À cela il faut ajouter le retour des taxes sur les importations (environ 10 %) qui vont peser aussi bien sur l’industrie automobile européenne que britannique. Un rapport de Deloitte estime qu’un hard Brexit aurait sur celle-ci des effets similaires à la crise de 2008-2009. Et que le coût des véhicules augmenterait de 15 %.

Début février 2019, Nissan annonçait renoncer à produire un de ses modèles, le X-Trail, au Royaume-Uni. Le constructeur japonais a en outre décidé de fermer sa plus grande usine européenne, située Sunderland dans le nord-est de l'Angleterre, contrairement aux engagements pris avec le gouvernement de Theresa May en 2016. Commentaire de Gianluca de Ficchy, le président de Nissan Europe : « Nous avons pris cette décision pour des raisons économiques, mais l'incertitude persistante autour des futures relations du Royaume-Uni avec l'UE n'aide pas des entreprises comme la nôtre à planifier l'avenir ».

Ce n'est pas encore l'hémorragie fatale mais l'affaiblissement économique est sensible

Le retrait de Nissan est symptomatique alors que l’UE et le Japon ont signé un accord commercial de libre-échange, le plus important jamais conclu. « Le risque est que l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Japon, ajouté à l'incertitude entourant les relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, signifie que les Japonais acheminent des marchandises vers l'Europe et mettent la Grande-Bretagne hors de la boucle », analyse dans le Guardian Meredith Crowley, une économiste de l’université de Cambridge.

L’industrie automobile britannique, qui emploie 850 000 personnes, subit déjà les conséquences des incertitudes liées aux Brexit. Les investissements dans le secteur sont tombés à 0,6 milliard de livres en 2018 contre 2,5 milliards en 2015.

« Le Royaume-Uni reste ouvert aux affaires et demeure une destination attractive pour les investissements directs étrangers, même pendant cette période d’incertitudes autour du Brexit », a tenté de rassurer Liam Fox, le secrétaire d'État au Commerce international britannique, en opération lors du dernier forum de Davos. Mais alors que le risque d’un hard Brexit grandit, les entreprises ne partagent pas cet optimisme. D’Airbus à Bentley en passant par l’industrie pharmaceutique, elles constituent des stocks pour affronter les semaines qui suivront le 29 mars.

Cécile Chevré

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