Autrefois perçue comme un outil de communication, la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) s’impose désormais comme un moyen de mesurer la capacité d’une entreprise à prendre des engagements durables. Un levier d’innovation source de croissance, selon Martin Richer.

Décideurs. Le capitalisme conscient suppose-t-il, pour un chef d’entreprise, d’avoir une vision à long terme ?

Martin Richer. Il est facile de couper à court terme certaines dépenses, notamment en matière de RSE ou de recherche et développement, et ainsi de faire de la marge rapidement. Mais je crois aussi qu’il n’y a pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd. D’où la montée de la notion d’« écosystème ». Impossible d’être durablement profitable tout en « massacrant » les parties prenantes. Je crois que le capitalisme est suffisamment intelligent pour se régénérer sans cesse et s’approprier les contestations de la société. L’essor de la RSE aujourd’hui montre d’ailleurs que l’économie de marché sait s’adapter. 

L’État doit-il contraindre les entreprises à adopter des pratiques plus éthiques ?

Je pense que l’évolution passe par la persuasion. Une nouvelle loi n’implique pas systé- matiquement un nouveau comportement. En 2003, le législateur a, par exemple, imposé à toutes les entreprises de disposer d’un document unique des risques. Celui-ci doit être mis à jour chaque année. Pourtant, la moitié seulement des entreprises en sont aujourd’hui dotées. Paradoxalement, on se rend aussi compte que, en France, une loi peut changer les mentalités sur un certain nombre de sujets éthiques. En matière de parité, la loi Copé-Zimmermann a fait bouger les lignes dans les conseils d’administration, qui comptent aujourd’hui 39 % de femmes. Les comités exécutifs comme les comités de direction, qui ne sont pas concernés par la loi, restent de leur côté très largement composés d’hommes. 

« Le capitalisme est suffisamment intelligent pour se régénérer sans cesse et s’approprier les contestations de la société »

La soft law permet, selon vous, de modifier les comportements sur le long terme… 

Tout à fait. Avec Terra Nova, nous pré- conisons un mélange intelligent entre réglementation et incitation. Entre le risque de réputation – le «  name and shame » – et la conduite du changement, sachant que celle-ci a tendance à progresser avec la loi.

Le projet de loi Pacte qui se profile depuis plusieurs mois va-t-il dans ce sens ? 

Oui, je le crois. Modifier le Code civil est très positif. C’est une mesure certes symbolique, mais très importante. Parallèlement, la notion de « raison d’être », consacrée dans le rapport piloté par Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, et qui sera a priori reprise dans la loi Pacte, permet de mettre en mouvement le manager d’une façon douce. Ce sera un véritable outil au service de l’entreprise.

C’est-à-dire ? 

Avec la raison d’être, le conseil d’administration devra réfléchir à la façon dont l’entreprise contribue à résoudre certaines problématiques sociales et environnementales. Elle s’inscrira ainsi dans le quotidien de l’entreprise. Il faudra la faire vivre, s’en emparer, la décliner tout au long de la chaîne managériale et en faire un outil de cohésion. La raison d’être fait écho au management responsable et s’inscrit, in fine, comme un facteur d’innovation et donc de compétitivité. 

N’y a-t-il pas, derrière cette notion de capitalisme conscient, une vieille utopie?

Je crois que l’objectif n’est pas un capitalisme conscient, mais un capitalisme responsable. Les entreprises doivent s’engager et rendre des comptes vis-à-vis de leurs parties prenantes. La raison d’être va les contraindre à s’interroger sur leur utilité sociale. À quoi servent-elles? Le monde serait-il différent sans elles? Avant, on ne pointait du doigt que les impacts négatifs des entreprises. Aujourd’hui, on regarde surtout leur impact positif.

Propos recueillis par Capucine Coquand 

@CapucineCoquand

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