En 2017, le capital-investissement a atteint des sommets. Olivier Millet, président de France Invest, décrypte les tendances qui animent le marché hexagonal, notamment depuis l’élection présidentielle. Alors que son mandat arrive à son terme, il détaille les défis qui incomberont à son successeur.

Décideurs. L’Afic vient d’être rebaptisée France Invest. Pourquoi ce choix ?

Olivier Millet. L’association professionnelle existe depuis 34 ans. Or, le marché du private equity français n’a cessé d’évoluer, de se renforcer et de se diversifier au cours de cette période. Jusque-là assez confidentiel, le capital-investissement est devenu un acteur économique reconnu comme ayant une influence positive sur la croissance du pays. Aujourd’hui, les 7 500 sociétés qui en bénéficient sur le territoire génèrent un chiffre d’affaires cumulé de 212 milliards d’euros, soit 20 % du chiffre d’affaires des entreprises du CAC 40, et emploient 1,3 million de salariés. Cette forme actionnariale a pris une place de choix dans le paysage économique. Elle n’est plus réservée aux initiés. Le capital-investissement est une clé de la transformation des entreprises et participe de l’évolution sociétale. Il nous fallait trouver une bannière, une marque fédératrice pour refléter cette évolution. Ce nouveau nom a l’avantage d’inclure tous les acteurs du private equity quelle que soit leur taille, du venture au capital-transmission et quel que soit leur modèle (equity, quasi equity, dette, infrastructure …). Il est compréhensible et facilement identifié par tous les médias, les pouvoirs publics, le grand public et les instances internationales.

 

Il y a un an, vous formuliez sept propositions adressées aux candidats à l’élection présidentielle. Comment ont-elles été accueillies par le gouvernement ?

Pendant la campagne présidentielle nous avons adressé des pistes de réforme à destination des principaux candidats. Nous avons trouvé une écoute attentive et un dialogue constructif avec La République en marche (LREM). Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, force est de constater qu’il n’y a pas une de nos seize propositions qui n’ait pas fait l’objet d’un débat, d’une réforme ou d’un projet de réforme dans la loi de finances ou dans le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (projet PACTE). La mise en place d’une flat tax en est l’exemple parfait. Certes, nous préconisions de réduire la taxation des plus-values mobilières à un taux unique de 25 % et le gouvernement a opté pour un taux à 30 %, ce qui est raisonnable, et l’esprit est le même.

« Nous sommes un pays très entrepreneurial, avec des réserves gigantesques de capitaux dont une fraction seulement est orientée vers le capital-investissement. C’est une anomalie. »

Quels sont les obstacles susceptibles de ralentir l’essor du capital-investissement en France ?

Nous sommes un pays très entrepreneurial, avec des réserves gigantesques de capitaux dont une fraction seulement est orientée vers le capital-investissement. C’est une anomalie. Le problème historique du private equity hexagonal tient à la difficulté à établir un lien entre les capitaux disponibles d’une part et les nombreux entrepreneurs de talent qui en ont besoin d’autre part. Ce décalage explique en partie qu’un créateur d’entreprise ou un dirigeant français ait accès à dix fois moins de capitaux qu’un Anglo-saxon. Le gouvernement a tout à fait conscience de ce phénomène. L’équipe gouvernementale connaît bien le secteur, ses contraintes autant que ses atouts, et fait évoluer son cadre pour le rendre plus orthodoxe et mieux le promouvoir. Les pouvoirs publics ont tout à gagner : le private equity génère des richesses à partager, soutient l’industrie, suscite des entrées fiscales et crée de l’emploi. Mais désormais le capital-investissement français doit changer d’échelle. Aujourd’hui, lever la première dizaine de millions d’euros n’est plus un problème. Atteindre la première centaine de millions d’euros est bien plus compliqué. Au point que les sociétés sont souvent contraintes d’importer des capitaux étrangers. Il faut renforcer l’accompagnement des entreprises au-delà des séries B ou C et intensifier le growth equity.

 

Quels sont les principaux enseignements de l’étude que vous venez de publier sur les chiffres du capital-investissement en 2017 ?

L’année dernière a été spectaculaire. La collecte s’élève à 16,5 milliards d’euros auprès de l’épargne française (63 %) et internationale (37 %) pour 14,3 milliards d’euros investis dans un record de 2 100 entreprises de toutes les tailles. Au cours des cinq dernières années, les montants investis ont ainsi progressé de 135 %. Autre bonne nouvelle : 57 % des investissements ont bénéficié à des entreprises qui ouvraient leur capital pour la première fois.

« L’équipe gouvernementale connaît bien le capital-investissement, ses contraintes autant que ses atouts, et fait évoluer son cadre. »

Le private equity est-il un placement rentable ?

C’est très simple : le capital-investissement est la classe d’actifs la plus rentable sur les dix dernières années, devant les stars du CAC 40. Aujourd’hui, avant de viser une introduction en Bourse sur Euronext, les sociétés modernes se cotent sur le marché du non-coté. Lorsqu’une start-up entre sur le marché et boucle des séries A à D, elle diffuse de l’information et assoit sa notoriété. C’est un prérequis pour pouvoir lever davantage au tour suivant. Le raisonnement est le même pour les PME qui enchaînent les LBO afin d’accompagner leur croissance jusqu’à devenir des leaders mondiaux. Installer sa notoriété est une étape obligatoire pour sa croissance. Ce n’est qu’une fois solidement établie qu’une entreprise envisage l’IPO et qu’elle peut séduire des actionnaires.

 

Les ETI sont souvent considérées comme les grandes oubliées du capital-investissement. Comment flécher les fonds vers ces entreprises ?

Je ne suis absolument pas d’accord avec cette idée. Notre étude démontre le contraire. Plus du quart des investissement réalisés en 2017 ont bénéficié à quelque 500 ETI. D’ailleurs, pour soutenir les ETI, encore faut-il qu’il y en ait. Accompagner le développement des PME, ETI de demain, est donc absolument central. Il est donc heureux que le capital-investissement s’intéresse à toutes les entreprises, de la start-up aux groupes. Il en va du développement économique du pays.

« Le capital-investissement est la classe d’actifs la plus rentable sur les dix dernières années »

Les fonds d’investissements sont-ils désormais considérés comme des partenaires essentiels des entreprises ? Le chantier de l’évolution des mentalités sur le sujet est-il terminé ?

L’année dernière, 2 100 patrons et équipes de managers ont choisi le capital-investissement. Ils n’ont pas été forcés de le faire ! D’ailleurs, parmi eux, près de 60% sont des primo-accédant au private equity. C’est une excellente chose : ouvrir son capital séduit plus de dirigeants et ceux qui y ont déjà goûté réalisent de nouvelles opérations. D’une manière générale, le marché s’ouvre et se popularise, c’est un fait. Si le phénomène est particulièrement évident chez les start-up, il se constate aussi auprès des ETI qui ont compris qu’il fallait gagner le match de la transformation et de la vitesse pour continuer à croître. Le travail de pédagogie commence vraiment à porter ses fruits. Nous ne devons pas relâcher nos efforts pour autant. Nous continuons de nous faire connaître à Paris et en province, en France comme à l’étranger.

 

Quel bilan dressez-vous de votre mandat dont le terme approche ? Quels sont, selon vous, les chantiers qui incombent à votre futur successeur ?

En prenant mes fonctions en juin 2016, un des anciens présidents, Xavier Moréno, m’avait prévenu : pour réussir, il faudrait répéter inlassablement dans le but de faire connaître l’écosystème et l’association tout en faisant preuve d’innovation. J’ai tâché de suivre ses recommandations. J’espère avoir apporté une nouvelle brique dans la structuration de l’image et de l’action de l’association. Mon successeur s’attellera à poursuivre dans cette voie pour réduire l’écart qui existe entre ce que fait France Invest et la perception qu’en a le public. Il faut que les différentes études que nous publions soient mieux identifiées par exemple. En arrivant, j’avais formulé l’objectif collectif d’atteindre 20 milliards d’euros de levées d’ici à 2020. Nous n’en sommes plus loin et je m’en réjouis. Aujourd’hui, la marque France est devenue très attractive parce que la conjoncture économique est bonne, que la confiance des entrepreneurs et des investisseurs est de retour et que le marché se structure. L’avenir s’annonce prometteur. À nous d’accompagner le mouvement de consolidation de notre marché qui fait émerger des acteurs de taille européenne voire mondiale. Cette structuration est indispensable pour accompagner plus solidement la transformation des start-up, des PME et des ETI du pays. Enfin, de nombreux chantiers de fond attendent mon successeur : la réforme de la fiscalité et du régime des management packages et l’accroissement du private equity dans l’assurance-vie pour ne citer qu’elles.

Propos recueillis par Sybille Vié

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