Fin observateur de l’économie française et européenne, Marc Touati décrypte, à quelques heures du résultat, les effets du référendum britannique. Pour lui, si l’option Brexit véhicule le risque évident d’une crise financière majeure au sein de l’Europe tout entière, celle d’un Bremain arraché à une maigre majorité n’aurait rien d’une victoire. L’une comme l’autre attestent des manquements d’une Union européenne qui, à force de normes et de rigidité, se sera dangereusement éloignée de son ambition de départ.

Décideurs. Quel est le risque principal si, au cours des prochaines heures, le Brexit l’emporte ?

Marc Touati. On a tendance à exagérer le risque pour le Royaume-Uni et à le minorer pour le reste des pays européens alors même qu’il est sans doute plus important pour nous que pour les Britanniques. Dans un premier temps, un Brexit entraînerait très probablement un effondrement des Bourses et une augmentation des taux d’intérêt à long terme, ce qui pourrait générer un krash boursier et obligataire pour toute l’Europe avec, à la clé, un ralentissement de la croissance et une baisse du PIB. Mais l’impact risque d’être encore plus lourd à long terme, lorsque, d’ici six à douze mois, chaque économie européenne devra compter sur sa propre capacité de redémarrage pour faire face à la crise. C’est à ce stade que le Brexit, s’il a lieu, risque de s’avérer plus dommageable à l’Europe qu’au Royaume-Uni qui, rappelons-le, peut compter sur une croissance structurelle d’environ 2,5 % alors que celle de la France comme de l’Europe en général se limite à 0,8 %. Si bien qu’à terme, le Royaume-Uni aurait plus de chance de se redresser que le reste de l’Union européenne qui pourrait alors devoir faire face à une nouvelle crise de type Lehman Brothers. À la différence que, en 2008, les pays européens avaient les moyens de relancer la machine, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

 

Décideurs. Cela signifie-t-il que tout risque est écarté si le Bremain l’emporte ?

M. T. Non, si le Bremain l’emporte ce sera de justesse, ce qui permettra d’éviter le risque de krash financier mais cela ne suscitera aucune euphorie. Car il est clair que, quelle que soit l’issue du scrutin, un ressort a été cassé et l’Europe en ressort affaiblie. C’est en cela que les enjeux liés au Brexit dépassent de beaucoup la menace d’une crise financière et renvoient au fonctionnement de l’UE elle-même. Le seul fait d’être arrivé à ce qu’un pays membre de l’Union souhaite la quitter suscite un questionnement d’autant plus légitime que l’épisode britannique risque fort de déboucher sur un mouvement de défiance généralisée. Et d’inciter d’autres pays – comme la République tchèque, la Grèce ou encore l’Espagne en fonction du résultat de ses prochaines élections… – à suivre l’exemple britannique.

 

Décideurs. Quel enseignement doit-on tirer de cette crise ?

M. T. Il est clair que cette crise est l’illustration d’un échec : celui de l’Union européenne. Cela doit impérativement nous amener à nous interroger sur les raisons de celui-ci, autrement dit, sur les manquements aux promesses de départ car rappelons que l’UE avait été créée pour générer une croissance forte. Si ce n’est pas le cas aujourd’hui, c’est parce qu’elle a été mal gérée, que son fonctionnement est entravé par un trop plein de réglementations tatillonnes. Résultat : l’Union européenne n’attire plus que pour les aides. Les pays ayant déjà atteint un certain niveau de développement jugent son carcan administratif et réglementaire trop rigide pour être source de croissance. Pourtant, l’Union européenne était une arme formidable qu’on a fini par retourner contre nous. Un outil que l’on a dévoyé à force de mauvaise gestion. Reste à espérer que cette crise débouchera sur une prise de conscience.

 

Propos recueillis par Caroline Castets.

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