Plus l’entreprise aura une bonne connaissance de la gestion de sa supply chain, mieux elle maintiendra ses garanties de carence
Décideurs. L’année 2011 a été particulièrement marquée par les événements naturels catastrophiques, quel bilan de leur sévérité pouvez-vous d’ores et déjà établir ?

Peter Solloway.
Sur 2010-2011, la moyenne des sinistres est en hausse de 30 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années. Pour cette année exceptionnelle, nous constatons pour nos sociétaires seulement trois à quatre fois plus de sinistralité liée aux catastrophes naturelles que la moyenne, ce qui est une performance relativement bonne par rapport à l’ensemble du marché. En revanche, la facture assurable des incidents liés à des catastrophes naturelles en 2011 est cinq fois plus élevée que la moyenne des dix dernières années selon Munich Re. Nous expliquons notre bonne performance relative par l’intégration, à l’ensemble de nos relations, de la mise en place de dispositifs d’assistance en prévention dès l’origine.

Décideurs. Comment évoluent ces sinistres et leurs effets sur les activités économiques ?

P. S.
L’augmentation de la sévérité de ces sinistres est liée à la complexité croissante des liens d’interdépendance économique. Les impacts en pertes d’exploitation évalués à plus d’un million de dollars sont en croissance. Les événements naturels de l’année ont été particulièrement marquants pour les supply chains : le Japon représente 14 % de la production électronique internationale, et plus de 20 % des semi-conducteurs. La crise japonaise s’est ainsi répandue dans le monde par les arrêts de production induits, en Corée, en France, etc.

Décideurs. Les crises Japonaise et thaïlandaise ont mis au jour la fragilité des supply chains. Comment se prémunir du risque de carence de fournisseurs ?

P. S.
Les entreprises doivent se poser la question de leur exposition à ces catastrophes naturelles potentielles et de la continuité de leur activité. La résilience de la supply chain est-elle évaluée au sein de l’entreprise comme un avantage compétitif ? Si oui, les mesures nécessaires sont-elles engagées ? Une analyse poussée est la clé, afin par exemple de comprendre l’importance stratégique de chaque fournisseur, même de deuxième ou troisième rang. Il s’agit alors d’identifier chez ses fournisseurs stratégiques les initiatives de gestion des risques mises en place ainsi que la gestion des expositions côté client en résultant, et prévoir des alternatives. Enfin, il est essentiel de s’assurer de l’existence d’un plan de continuité, dûment testé et alimenté par des réflexions internes sur le renforcement des dispositifs. En somme, l’entreprise doit se focaliser sur la gestion des risques davantage que sur l’assurance, et s’organiser en conséquence.

Décideurs. Peut-on parler d’une prise de conscience des entreprises des suites de la crise découlant de la catastrophe japonaise ?

P. S.
Les entreprises sortent peu à peu de leur sentiment de déni et de résignation. Le choix d’emplacement d’un nouveau site peut par exemple bénéficier d’une analyse d’exposition aux catastrophes naturelles au préalable. Pour les sites existants, il est toujours possible de mettre en place des moyens de réduire l’impact de l’événement, d’être moins touché que les autres : renforcer les toitures dans les zones exposées aux tempêtes, s’équiper en vannes antisismiques pour réduire les incendies consécutifs aux tremblements de terre, renforcer les protections contre l’inondation, etc.
En bref, les entreprises ont consacré leurs efforts à la mise en conformité réglementaire en matière de risque, de gouvernance, de transparence. Il leur faut à présent se pencher sur la gestion des catastrophes naturelles qui peuvent affecter gravement la performance de l’entreprise, notamment dans des pays fortement exposés comme la Chine. Les pays les plus enclins à subir les événements naturels sont aussi souvent ceux qui ont les infrastructures les moins résistantes, ce qui augmente les effets et conséquences des événements.

Décideurs. Justement, qu’en est-il de la situation en Chine ?

P. S.
Une enquête menée auprès des directeurs financiers d’une centaine de multinationales révèle qu’ils s’y sentent deux fois plus exposés aux catastrophes naturelles qu’au Japon. Pour l’instant, aucun événement d’envergure n’y a eu lieu, mais la concentration du tissu industriel et le degré d’exposition des territoires industrialisés placent la zone en situation de danger potentiel. Les conséquences d’une catastrophe naturelle y seraient potentiellement d’une ampleur internationale encore jamais vue : les chaînes d'approvisionnement y sont particulièrement vulnérables aux interruptions d'activité provoquées. La Chine n'a en effet appliqué que partiellement la plupart des pratiques de gestion des risques en vigueur en Europe et aux États-Unis. Or le nombre d'entreprises dépendantes de la Chine pour l'approvisionnement de leurs lignes de production clés est deux fois supérieur au nombre d'entreprises dépendantes du Japon, et une sur trois se dit mal, voire très mal, préparée…

Décideurs. Côté assureurs, comment envisager les conséquences de cette recrudescence d’événements naturels ?

P. S.
Il existe une crainte que les assureurs réagissent à l’augmentation des catastrophes naturelles en réduisant leurs capacités en garantie de carence, on en voit déjà les premiers signes. Les courtiers annoncent que les programmes cat’nat sont plus difficiles à boucler, les réassureurs passent des hausses… il existe une pression pour que les tarifs augmentent. Nous pensons quant à nous que plus la gestion des risques est ancrée au sein de l’entreprise, plus cette dernière se prémunit contre les expositions clés, moins elle sera exposée aux augmentations de tarifs. La meilleure protection contre un durcissement du marché, général et cat’nat en particulier, consiste à étoffer son outil de gestion des risques, et ainsi minimiser les expositions, à l’aide de ses différents partenaires en prévention des risques.


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