Politique fiction. Alors que l’Europe se trouve plongée dans une crise sans précédent, les principaux dirigeants du Vieux Continent sont réunis pour les obsèques nationales d’un symbole d’une Union brisée : Jacques Delors. À Notre-Dame de Paris, le spirituel s’invite en politique. Pour des dirigeants perdus, un examen de conscience salutaire ?
Apocalypse chapitre 12, verset 1
« Or il parut un grand signe dans le ciel, une femme revêtue du soleil, et ayant la lune sous ses pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles »

Dimanche 27 octobre 2015
14h30, Paris – Cathédrale Notre-Dame

La foule est nombreuse à l’intérieur de Notre-Dame. Parmi elle, aux premiers rangs de la nef, de nombreuses personnalités politiques et médiatiques sont réunies pour les obsèques nationales que l’État français offre à Jacques Delors. Sa famille est entourée du Président, de ministres, du président de la Commission européenne, des principaux chefs d’État européens… Nul ne manque à l’appel. Le ton de la cérémonie a été donné dès le début de l’office avec l’introït du Requiem de Mozart. Se tenant à l’ambon debout derrière le cercueil, le vieux cardinal sait que son public ne lui est pas acquis, que beaucoup ne sont là que par amitié ou, pour les plus cyniques, par ambition.

« Très chers frères et sœurs,
Jacques Delors. Jacques Delors. Ce nom résonne dans nos mémoires, immanquablement associé à l’énergie souriante de ce second père de l’Europe. Dès les années 1950, au sortir de ce qu’il convient de décrire comme une guerre civile européenne d’une violence inouïe, il s’est engagé plein de son ardeur juvénile au service de la démocratie chrétienne à l’exemple des Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi et Paul-Henri Spaak. D’abord membre de la CFTC, puis de la CFDT, ceux qui l’ont connu savent son attachement au personnalisme. Probablement avait-il lu le fondateur de ce courant, Emmanuel Mounier, qui écrivait : “L'action au sens courant du mot, celle qui a une incidence sur la vie publique, ne saurait, sans se déséquilibrer, se donner une base plus étroite que le champ qui va du pôle politique au pôle prophétique.” Je ne peux m’empêcher de voir dans cette unité intime de l’engagement au service de la Cité et des convictions spirituelles, un exemple pour tous ceux qui aujourd’hui doivent diriger l’Europe à travers l’une de ses crises les plus graves. »

Dans la nef, Manuel Valls glisse à l’oreille de son épouse : « Laïque. Une Europe laïque… J’avais oublié la lourdeur des sermons, et pourtant j’en écoute des discours…
- Écoute plutôt, lui chuchote Anne Gravoin sans quitter le vieil évêque des yeux. Peut-être que ça ne sauvera pas l’euro, mais au moins cela sauvera-t-il ton âme.

Pendant ce temps, l’homme d’Église continue son oraison.
« … La politique moderne a repris à son compte la fin que le christianisme s’était donné : sauver l’humanité de sa souffrance, lui obtenir cette “vie bonne” qui en serait le sens. Comme le faisait remarquer Rémi Brague citant Nietzsche, “le fait même que nous disions que la vie a un sens, ce qui est l’affirmation centrale de toute métaphysique, présuppose que la vie aurait besoin de quelque chose d’autre qu’elle-même, et de supérieur à elle, pour se justifier. ” L’Europe s’est approprié la perspective du Salut en rejetant la transcendance et le sens qui en étaient pourtant les conditions sine qua non. Ce faisant, l’Europe s’est rendue incapable de dire pourquoi il faudrait que la vie soit bonne, pourquoi il faudrait que l’homme soit sauvé.
Les leaders dont nous avons besoin dans la crise sont ceux qui peuvent penser l’homme en ce qu’il requiert pour grandir un au-delà de lui-même, un sens qui lui est extérieur et le dépasse. Les sciences économique et politique aussi parfaites soient-elles n’embrassent pas toute l’ampleur de cette crise. L’enjeu est ici de voir, de sentir, qu’une réponse aux problématiques humaines qui n’est pas ancrée dans une dimension spirituelle risque d’échouer tôt ou tard faute de prendre en compte l’aspiration ontologique de l’homme au spirituel.
Encore une fois, Emmanuel Mounier écrivait : “Seuls un travail visant au-dessus de l'effort et de la production, une science visant au-dessus de l'utilité, un art visant au-dessus de l'agrément, finalement une vie personnelle dévouée par chacun à une réalité spirituelle qui l'emporte au-delà de soi-même, sont capables de secouer le poids d'un passé mort et d'enfanter un ordre vraiment neuf.” »

Pendant une heure et demie, la crise est suspendue autour d’un cercueil. Et dès l’ite missa est, l’urgence reprend ses droits. Valls, Trichet, Juncker et consorts montent dans leur véhicule oubliant bien vite comment l’éternité s’est invitée, au détour d’un instant, dans les fuites constantes de leur quotidien. Dans sa voiture blindée, le Président relit ses fiches. Il est déjà ailleurs. Il est déjà ce soir quand il devra à son tour se tenir debout devant l’assemblée des Français et leur dire, dans une homélie républicaine, sa décision… toute « hollandaise ».

JHF

Épisode 1 - L'Allemagne exclue de la zone euro ?
Épisode 2 - " Whatever it takes "
Épisode 3 - "Sans doute n'étions-nous pas la génération qu'il fallait"
Épisode 5 - La fin des illusions




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