Les technologies devaient transformer l'art du marketing en une science exacte. Qu'en est-il vraiment ?
Sortis de l’ombre
Perçus comme créatifs, libres de mener leur tambouille tant que les résultats suivaient, voici les marketeurs confrontés à la froide réalité du chiffre. Nus devant les montagnes de données qui leur sont exposées et qui deviennent accessibles à tous. Pour ne rien arranger, les outils de mesure de retour sur investissement se multiplient, se structurent. La magie est dévoilée.

Il serait trop facile pourtant de considérer que le métier soit devenu inutile, absorbé par la technologie. Le simple fait que certaines directions performent mieux que d’autres indique qu’il y a plus à cela. « Le marketing est trop important pour être laissé au département marketing », disait David Packard, le fondateur visionnaire de HP. Outre une connaissance très fine de son marché, le marketeur qui s’en sortira le mieux est celui qui aura développé les relations les plus abouties avec ses équipes commerciales, la distribution, les chefs de projets. C’est aussi celui qui aura la connaissance la plus poussée des technologies disponibles sur son marché. Sans oublier une bonne dose de créativité et d’intuition.

Le problème avec le digital
Les promesses du marketing digital sont identifiées depuis longtemps : ciblage de plus en plus précis, timing et contextualisation des campagnes, suivi et personnalisation des messages. Elles sont tellement bien intégrées qu’au niveau global les dépenses de marketing digital n’ont cessé de croître, jusqu’à atteindre désormais un quart des dépenses totales de communication des marques.

L’expertise du chief marketing officer est essentielle dans cette phase transitoire où il est question de structurer son dispositif et d’investir dans les technologies les plus efficaces. La facture peut vite grimper. Pour chaque euro dépensé en marketing digital, il est estimé que 75 centimes sont alloués à la technologie plutôt qu’à l’achat d’espaces. Soit le rapport inverse de la publicité télévisée. Autre problème, l’Interactive Advertising Bureau (qui fédère les acteurs de la publicité sur internet) estime qu’un tiers environ du trafic internet est frauduleux, et donc inutile. Devant ces doutes et tant d’investissements à consentir, beaucoup de directions préfèrent s’en tenir à une communication plus traditionnelle. La télévision, le papier et la radio ont fait leurs preuves après tout.

Une couche supplémentaire de conseils
C’est pourtant sur leurs navigateurs ou sur leurs mobiles que se trouvent les consommateurs d’aujourd’hui et de demain. Une marque innovante ne peut se passer de ces relais de croissance. Il n’est pas évident de s’en sortir quand ce sont des dizaines d’interlocuteurs qui commercialisent leurs solutions, chacun avec sa spécialité. Des géants mondiaux comme Oracle, Adobe et Salesforce, ou des acteurs du commerce comme Amazon et La Poste s’inscrivent sur toute la chaîne de valeur avec des offres structurantes. Une pléthore d’équipes et de start-up proposent des solutions de rupture, allant toujours plus loin dans la technicité et la sophistication.

En marge des grands intégrateurs et leaders du conseil, un marché intermédiaire assez vaste s’est créé pour l’accompagnement des directions marketing. Des cabinets comme Augusta se sont positionnés à la frontière des technologies et du conseil en stratégie. Ils accompagnent les directions (dans le secteur de la distribution, notamment) dans la définition et la mise en œuvre de leur stratégie data marketing, ainsi que dans le choix des solutions technologiques les plus adaptées. Même les grands groupes, pourtant équipés, sont demandeurs.

DSI, la fausse concurrence. Vers un chief growth officer.
Les multiples points d’interaction avec les consommateurs font que le marketing est désormais de la responsabilité de chacun. Comme le CMO ne peut être partout à la fois, il faudra s’attendre à un partage des rôles ou à la création de rôles hybrides. On a beaucoup parlé du chief digital officer. À mi-chemin entre le marketing et la DSI, le poste se développe alors que les entreprises amorcent leur mutation numérique.

On a aussi vu l’éclosion de chief growth officers (CGO), notamment dans le secteur de la communication (comme Laura Maness chez Havas US ou Stephan Beringer chez Vivaki). Leur positionnement ? Entre le CEO et le CMO. Ils sont en charge du développement de la marque et de la croissance de leurs employeurs. Mais n’est-ce pas ce qu’on attend du marketing ?



Voir aussi : Didier Truchot (Ipsos) : « L'analyse d'une marque n'a d'intérêt que sur la durée »


Pierre-Henri Kuhn

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