Dans l’ombre d’un conflit militaire grandit le risque de tensions alimentaires pouvant générer des tensions géopolitiques.

Les prix alimentaires globaux n’ont pas attendu la crise ukrainienne pour s’élever à des niveaux records. L’indice de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, Food Price Index, se hissait dès le début d’année à son niveau record de 2011. Depuis janvier 2022, on constate une accélération du prix du blé en hausse de 20%.

Juliette Cohen, stratégiste chez CPR AM, explique ces hausses de prix par le décalage entre l’offre et la demande, celle-ci ne cessant d’augmenter. Plusieurs éléments entrent en considération pour analyser ce phénomène. Les événements climatiques en premier lieu, même si certains pays comme l’Inde, l’Australie et les États-Unis connaissent de belles récoltes cette année. En Europe, le marché est touché par les récentes sécheresses en Afrique du Nord et ce déséquilibre sera renforcé par le conflit Russo-Ukrainien. D’un point de vue logistique, la pandémie mondiale et la hausse des prix de l’énergie limitent les échanges, et les prix ne peuvent pas s’ajuster correctement sur un marché rigide.

La volatilité des prix peut s'expliquer, en partie, par des activités de spéculations

Juliette Cohen a récemment observé une augmentation de la volatilité du prix des céréales, ce qui peut s’expliquer par le positionnement de spéculateurs sur le marché. Le rapporteur du droit à l’alimentation dans le monde auprès de l’ONU, Jean Ziegler, expliquait dans son livre "Destruction massive – Géopolitique de la faim" le rôle des "hedge funds" dans les crises alimentaires. Après la crise de 2008, des banques comme Goldman Sachs auraient créé des produits structurés basés sur des denrées alimentaires. Dix-huit mois plus tard, le prix du maïs avait augmenté de 93 % et seulement 2 % des contrats à terme aboutissaient à des livraisons de marchandises. Qui a dit qu’on ne jouait pas avec la nourriture ?

Russie et Biélorussie représentent près de 40% des exportations de potasse, principal composant des engrais

Risque de long terme

L’augmentation des coûts de fret et de l’énergie expliquent également l’inflation sur les engrais. C'est probablement là que réside le principal risque à long terme puisque la Russie et la Biélorussie représentent à elles seules près de 40 % des exportations mondiales de potasse, l’un des principaux composants des engrais. Un instrument économique dont se sert déjà le Kremlin en réponse aux sanctions occidentales. Le 4 mars, le ministère russe a recommandé aux producteurs nationaux de suspendre temporairement leurs exportations. Une épine dans le pied de l’agriculture européenne puisqu’un quart des importations d’engrais vient de Russie.

Lorsque les tensions alimentaires se transforment en tensions politiques

Plusieurs exemples historiques confirment cette hypothèse. Le Printemps arabe avait donné suite à l’envolée des valeurs céréalières, celles-ci ayant presque doublé en l’espace d’un an. Ou plus récemment, en avril 2019, lorsque le dictateur soudanais Omar El Bechir fut renversé à la suite des manifestations causées par le triplement du prix du pain. En France un exemple marquant illustre cette théorie avec les événements du 6 octobre 1789. Les Parisiens affamés se rendirent à Versailles où Louis XVI donnait un immense banquet quelques jours plus tôt. Ce dernier fut obligé de fuir le château, la foule déclarant ramener "le boulanger, la boulangère et le petit mitron".

Clément Redon

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