Après trois mandats à la présidence de l’Association des compagnies d’assurances et de réassurances (ACA), Marc Lauer passe le flambeau à Christian Gibot. Interview croisée sur l’évolution du secteur de l’assurance-vie luxembourgeoise.

Décideurs. Quel bilan faites-vous de votre présidence ?  

Marc Lauer. Les deux dernières années ont été disruptives par rapport aux années précédentes. Nous avons vécu deux mois de confinement total et des mesures sanitaires. Cela a énormément impacté l’économie luxembourgeoise et les assurances. Cependant, la majorité de nos activités a bien fonctionné. Malgré la grande diversité de nos acteurs, tous ont subi, vécu et relevé le défi que représentait la pandémie. De plus, le Luxembourg a été frappé par une série de catastrophes naturelles sur une période très courte et les assureurs ont dû faire face à des personnes en détresse. Tout s’est passé fait de façon très rapide. Nous avons vécu des événements exceptionnels ces deux dernières années et les membres de l’ACA ont su faire leur chemin et sortir de ces crises.  

Quelles sont les priorités que vous identifiez pour l’ACA ? 

Christian Gibot. J’identifie quatre enjeux principaux pour le secteur de l’assurance luxembourgeoise. Le premier est celui de la digitalisation. Grâce au développement de la technologie et l’automatisation, les acteurs du secteur travaillent à rendre l’assurance plus facile à souscrire et à utiliser. Vient ensuite l’enjeu de la gestion des talents. Notre attractivité, que ce soit auprès des jeunes ou des experts, doit être l’un de nos points d’attention afin de réussir notre transformation sur le long terme. Le troisième point concerne l’impact de nos activités, et tout particulièrement l’impact des investissements sur l’environnement. Par ailleurs en 2022, la nécessité d’agir pour lutter contre le réchauffement climatique est devenue plus évidente que jamais. Nous devons aujourd’hui trouver des mécanismes capables de couvrir les risques de catastrophes naturelles de manière pérenne et soutenable pour tous les acteurs. Enfin, le dernier axe est plutôt un point de vigilance. L’ACA doit, selon moi, conserver cette posture de conseil et de recommandation qui fait sa force afin de construire, avec les pouvoirs publics, un marché et un cadre commun, profitable à toutes les parties prenantes. 

Où en est le secteur dans sa transformation numérique ?  

M. L. Nous avons beaucoup œuvré autour de l’ensemble des parcours de souscription, notamment par la signature électronique. Nos entreprises opèrent sur de nombreux marchés et doivent donc chaque fois adapter les parcours de souscription au cadre légal et réglementaire de ce pays. Il y a également tout un travail autour de l’échange d’information entre banques, assureurs et clients sur les inventaires d’actifs. La Covid nous a amenés à changer nos modalités d’échanges.   

"La Covid nous a amenés à changer nos modalités d’échanges"

C. G. Chacun de nos membres développe son propre business model, avec un mix entre numérique et physique. Mais la digitalisation reste sans aucun doute un moyen très efficace et incontournable pour améliorer durablement la qualité de service. En gagnant un temps précieux dans le traitement des opérations, nous pouvons concentrer le travail des équipes sur le conseil et l’accompagnement des clients et partenaires. À l’ACA, nous suivons également avec beaucoup d’intérêt tous les travaux qui sont développés pour standardiser et harmoniser les échanges de données entre assureurs et partenaires-distributeurs. 

M. L. L’assurance-vie Luxembourgeoise en unités de compte, pour des fins de structuration patrimoniale requiert beaucoup d’accompagnement et de conseil au client, elle est donc plus difficile à numériser totalement. Nous devons trouver un moyen pour que le temps administratif soit transformé en valeur ajoutée et en temps de conseil.  

Triangle de sécurité, un vrai atout en ces temps incertains. Pouvez-vous nous en dire plus ?  

M. L. Le triangle de sécurité est un mécanisme de protection légale pour les preneurs d’assurance qui est une spécificité du marché luxembourgeois. Les clients veulent que les avoirs sous-jacents à leurs contrats d’assurance-vie soient sécurisés et pour cela, le Luxembourg a choisi de prendre une option dans une directive européenne appelée "directive sur la liquidité des entreprises d’assurance". Ainsi, tous les engagements de contrats d’assurance qui existent profitent d’un privilège absolu en cas de liquidation. Pour cela, il faut d’abord que les actifs concernés soient déposés en lieu sûr, à savoir dans les banques tierces. De plus, il faut que l’argent déposé le soit en suffisance. C’est la responsabilité du management contrôlé et vérifié par les réviseurs et l’autorité de contrôle. Plus simplement, le triangle de sécurité se matérialise par une convention de dépôt tripartite entre l’assureur, une banque dépositaire et le Commissariat aux assurances (CAA) pour sécuriser de manière optimale les engagements contractuels auprès des clients.  

C. G. C’est un élément de différenciation robuste. Cette question de la disponibilité des actifs, tout comme la stabilité réglementaire au Luxembourg ou la richesse et la modernité de l’univers d’investissement accessible, constitue l’un des atouts du Luxembourg. 

Quelle est la place du private equity dans les investissements ?  

M. L. Aujourd’hui, la montée du private equity s’explique par le rendement. Cependant, la majorité des investissements des sociétés d’assurance ne se fait pas dans du private equity. Nous en avons, mais cela dépend de l’appétence du client pour les solutions patrimoniales qu’il souhaite.   

"La montée du private equity s’explique par le rendement"

C. G. Il y a globalement une demande accrue d’une offre plus diversifiée et plus sophistiquée. Les solutions en unités de compte proposées dans les contrats sont en effet de formidables outils de structuration patrimoniale. Le private equity est, de son côté plébiscité car il permet aux clients un investissement dans l’économie réelle.  

Quelles sont les attentes des épargnants pour 2022 ?  

C. G. Depuis plusieurs années, nous évoluons dans un environnement de taux bas durables modifiant complètement le secteur des placements. L’assurance-vie qui reposait en partie sur des taux garantis et sur une logique de capital disponible à tout moment, doit aujourd’hui (re)devenir un outil d’investissement et d’allocation d’actifs pour rester attractive. De plus, la période totalement inédite que nous traversons a exacerbé la sensibilité de toutes les parties prenantes face aux enjeux sociétaux et climatiques. Les assureurs cherchent désormais à apporter des réponses concrètes et durables à des clients qui souhaitent donner du sens à leur épargne et concilier rendement, sécurité et impact positif.  

Quelle est l’importance du marché français pour les assureurs luxembourgeois ? 

C.G. Le marché de distribution français représente 40 % de la collecte de l’assurance-vie luxembourgeoise, pourcentage qui reste constant chaque année. Les encours des résidents français sont eux en augmentation. Cette tendance s’explique par le fait que l’assurance-vie reste un placement bien connu et apprécié en France, avec une véritable stratégie de long terme. La sophistication des actifs proposés dans le contrat luxembourgeois ou sa capacité à accompagner les clients à l’international expliquent également cet intérêt croissant. Enfin, la cible de clientèle en France s’avère être assez large, de l’ultra high net worth individuals (UHWNI) au segment de l’affluent. Cette accessibilité est notamment possible grâce à la digitalisation et à la variété des partenaires distributeurs.  

M. L. L’essence même du contrat d’assurance-vie luxembourgeois est quelque chose qui suscite un intérêt à travers toute l’Europe, notamment grâce à sa flexibilité et sa transférabilité.  

Comment expliquez-vous que la France soit le marché le plus important ? 

M. L. Avant tout, la France est la deuxième plus grande économie en Europe. Ensuite, le Luxembourg fait partie de la francophonie, ce qui implique beaucoup de sympathie et compréhension mutuelles. Enfin, les Français aiment l’assurance-vie.  

Quelles sont vos ambitions pour l’ACA ?  

C. G. L’ACA est une association dynamique. Ma priorité est d’être le garant de l’unité de ce secteur et l’ambassadeur de la diversité de ses acteurs. Cela passe par la poursuite de la transformation numérique (je parlerai même de "révolution") et l’adaptation du secteur aux réglementations à venir, tout en veillant à ce que leurs mises en œuvre soient soutenables pour tous les acteurs. La finance durable est également un sujet central pour tous les intervenants. Les initiatives que nous développons doivent refléter nos engagements et constituer un puissant levier pour contribuer à la transition énergétique. Enfin, sur un marché en forte croissance, la gestion des talents reste clé pour garantir la solidité de nos modèles et la qualité de nos expertises.  

M. L. Notre ambition était et doit rester la garantie à nos entreprises d’un terrain aussi propice à leur développement. Notre diversité est notre chance.  

Propos recueillis par Marine Fleury  

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